"Papa, pourquoi les papillons n'ont-ils pas de sang? Ca veut dire qu'ils n'ont pas non plus de coeur?"
Il vit des gens massés le long des routes, dans les villages et des villes plus importantes. Il vit des soldats en uniformes noir aux imprimés marron, marron aux imprimés noirs, bordeaux aux imprimés verts et bleus sans imprimé du tout. Il vit des casques et des bandoulières, des cartouchières et des bâtons, des couteaux et des baïonnettes, des carabines et des pistolets, des mitraillettes et des petits canons.
Voilà ce que Mino vit, et plus encore, depuis l'autobus.
Le spectacle qui t'a arrêté alors que tu descendais la rue va te poursuivre cette nuit jusque dans ton sommeil, ce sommeil alourdi par l'alcool, où vient volontiers s'incruster brutalement une image qui refuse de se dissiper avant le réveil. Cette fois, c'était celle de deux enfants, un garçon maigre et une fillette, agenouillés tous deux près d'un chien mort, non pour s'apitoyer sur leur animal chéri qui s'est fait écraser, mais pour s'acharner au couteau sur la carcasse, dans l'intention d'en détacher des bouts de viande qu'ils rapporteront chez eux et qu'on fera cuire. Tu t'es arrêté un instant dans la poussière de la rue, en t'essuyant le front, tu étais le seul à voir ça, personne d'autre n'a eu l'air de remarquer ces gosses décharnés, tout le monde est habitué sauf toi, tu as tourné le visage et tu passes ton chemin, vers le quartier du port où tu as quelque chose à faire, comme presque tous les jours, depuis trois semaines que tu trouves dans cette petite ville, construite sur l'un des bras principaux du delta du Niger.
....la proposition que venait de faire le Premier ministre suédois, à savoir d'interdire tout chien domestique parce que huit cent mille chiens suédois consommaient une quantité de protéines qui aurait pu maintenir en vie le même nombre de personnes dans les pays pauvres ; était ce cela, une vraie politique solidaire ?
Les fourmis suivaient toujours un objectif précis, alors que bon nombre d'humains ne servaient à rien.
Il observa une belle Peperomia qui étalait ses feuilles vertes en une magnifique draperie le long du tronc de son arbre-hôte ; elle avait eu du mal à trouver une prise pour ses racines sur les plus hautes branches, seul moyen pour elle d'éviter l'ombre et l'humidité, mais aussi de déployer ses fleurs splendides au moment précis où les abeilles heeto essaimaient.Il devait forcément exister une volonté sensible derrière tout cela.
Je vis à la surface de l'eau en comptant l'humanité.La plupart des humains sont sans couleurs, ils sont comme des ombres qui s'agitent.Ils repoussent les couleurs loin d'eux.Ils sont trop nombreux.Il y a deux milliards de personnes de trop sur la planète aujourd'hui.Et tous ces gens s'ennuient - voilà pourquoi ils veulent détruire le monde.
Puis arrivèrent les goddamns au pays.C'était le nom qu'avaient donné les autochtones à ces étrangers, car ils avaient toujours ce mot à la bouche dès qu'ils voyaient des choses qu'ils ne comprenaient pas.
Ils n'emploieraient ni armes à feu ni explosifs.Beaucoup avant eux avaient essayé de changer le monde en employant ce genre de moyens, et ils avaient échoué.Pour parvenir à des changements aussi radicaux, les humains devaient,comme toute autre créature sur cette planète, faire preuve d'humilité.Une simple bourrasque d'automne ne suffisait-elle pas à faire tomber toutes les feuilles jaunies d'un arbre ? Et une petite goutte d'eau, en gelant dans une fissure de roche, ne finissait-elle pas par faire éclater toute une montagne ?
Il connaissait trop bien l'histoire de ce pays, la tragédie du peuple de la jungle. Ils seraient toujours les perdants. Ils ne gagneraient jamais la guerre contre les puissances multinationales, contre la banque mondiale, contre le monde occidental et sa course effrénée du profit à court terme, pour plus de croissance, pour un meilleur niveau de vie, pour une consommation encore plus immodérée. Toute la nature verte serait grignotée, lentement mais sûrement. La planète souffrait d'une maladie pire qu'un cancer, d'un virus qui la menaçait d'un anéantissement total.