Auteur norvégien prolifique,
Gert Nygårdshaug est surtout connu en France pour sa Trilogie de Mino parue chez J'Ai Lu. Poursuivant dans la veine anticipation qui a fait son succès, l'écrivain nous revient en France avec un éco-thriller-SF chez Gaïa/
Actes Sud qui nous plonge dans un monde où crise écologique et crise économique sont plus que jamais d'actualité.
Chimera, sous ses allures de pavé, est surtout un page-turner que vous allez dévorer, soyez prévenus !
Gare au gorille
Quelque part en Afrique, c'est l'auteur lui-même,
Gert Nygårdshaug, qui nous présente son projet littéraire alors qu'il enquête sur la pollution du fleuve Niger. Après un échange plus que lugubre avec Peter O'Bryan, un plongeur d'une organisation internationale chargée de monitorer la vie des océans,
Gert Nygårdshaug se rappelle qu'il n'est pas le personnage central de cette histoire et s'avance quinze à vingt ans dans le futur dans le parc national des Virunga au Congo. Nous y faisons la connaissance d'une multitude de personnages appartenant au CORAC (pour COngo RAinforest Center), l'une des structures chargées par le GIEC d'étudier des zones-clé de par le monde où la biodiversité remarquable se conjugue avec le reflet de l'influence néfaste de l'homme sur le Globe. le CORAC est à la fois une station qui rend compte de l'état des Virunga mais qui tente également de trouver des solutions à la crise climatique en cours.
Et autant le dire tout de suite, la situation n'est pas brillante.
Les fleuves et les océans se meurent, l'Australie se désertifie comme la Finlande ou la Norvège, les espèces disparaissent toujours plus vite et, surtout, l'épuisement imminent du phosphore et du pétrole fait souffler un vent de panique parmi les nations qui s'écroulent. Famine, guerre, maladie. Voilà ce qui attend l'humanité dans les prochaines années…
Au CORAC pourtant, les scientifiques du monde entier se battent pour trouver une réponse à cet avenir pour le moins désespérant.
Parmi eux, le Norvégien Karl Iver Lyngvin (zoologiste), le Russe Lev Yankin (biochimiste), le Chinois Wang Chen Hu (botaniste), l'Australienne Zoe Wildt (entomologiste) ou encore la Finlandaise Aina Leptonen (primatologue).
À leur tête, un Français, Gauthier de Payens, qui tente de gérer ce centre stratégique du mieux qu'il peut et d'absorber les communications de plus en plus alarmantes qui lui parviennent du monde extérieur. Mais depuis quelques jours, ce qui occupe cette fine équipe, c'est le brusque changement de comportement d'un des gorilles du parc, Nelson, qui s'est brutalement mis à dévorer les plus jeunes de son clan avant d'en être chassé par la force. Karl Iver et Shomo Nuggee sont chargés de l'abattre et de faire des prélèvements sur sa carcasse pour analyse.
Surprise : le gorille est infecté par un tout nouveau type de virus géant, le
Chimera, et son potentiel de destruction semble défier l'imagination.
Heureusement, l'infection a pu être contenu à temps. du moins, c'est ce que tous espèrent avant qu'un des petits villages alentour ne donne plus signes de vie…
Pour le reste, nous n'en dirons pas davantage car
Chimera, du haut de ses 500 pages, vous réserve pas mal de surprises et se base avant tout sur un suspense à couper au couteau comme tout bon thriller qui se respecte.
Gert Nygårdshaug imagine une menace terrifiante et entre dans les détails avec une précision qui force le respect, rappelant les caractéristiques nécessaires pour produire une pandémie mondiale capable de rayer l'être humain de la surface du globe. Un sujet d'un actualité d'autant plus brûlante après l'épidémie Covid (alors que le roman a été écrit en 2011, soit près de 8 ans auparavant…). Ne croyez cependant pas qu'il s'agit d'une bête resucée de roman catastrophe. Non,
Gert Nygårdshaug a bien d'autres idées derrière la tête…
Vivre et laisser vivre
Avec sa ribambelle de personnages,
Chimera insiste d'abord sur la vie de ces scientifiques perdus dans une sorte d'Eden en sursis. Par leur parcours et ce qu'il est advenu de leurs pays respectifs,
Gert Nygårdshaug illustre sans filtre la crise climatique. Dès son prologue musclé et intense, le Norvégien annonce la couleur.
Chimera va vous mettre en face de la destruction de notre planète par l'homme et ne va pas prendre de gants.
Pour mettre l'accent sur l'urgence de la situation, le roman va également faire la part belle aux relations avec le monde extérieur et l'inactivité totale (ou presque) des organisations internationales qui sont pieds et poings liés devant l'immobilisme des nations, elles-mêmes terrifiées par les conséquences de mesures drastiques nécessaires pour sauver la Planète. Économie ou écologie, confort ou contrainte, voici le dilemme impossible à résoudre.
Particulièrement pessimiste et nihiliste, le récit de
Gert Nygårdshaug va rapidement se transformer en thriller quand le virus
Chimera montre ce dont il est capable et lorsque l'on commence à lire entre les lignes ce qui se profile derrière cette découverte. le Norvégien se fait l'avocat du Diable et s'interroge sur la seule solution possible à la catastrophe annoncée. Dès lors,
Chimera se fait moral et éthique tout en considérant un aspect central de l'histoire : l'équilibre (ou le yin-yang/dialectique si cher au personnage haut-en-couleurs de Wang Chen Hu).
Tout se construit en opposition dans
Chimera. Des scientifiques qui pensent que tout est déjà foutu et ceux qui pensent qu'une solution est encore possible, de la naissance de l'humanité à l'apparition conjointe de certaines espèces de moustiques/virus, du fait religieux et du constat scientifique… Les oppositions sont là, elles régissent le monde et assurent sa survie.
Mais doit-on intervenir ?
Gert Nygårdshaug ne se pose pas en juge et s'interroge constamment sur la situation et les limitations de notre société, et cela sur plusieurs niveaux, international, national… et individuel. Passionnant,
Chimera n'est pas là pour faire dans la dentelle et l'humanité en prend pour son grade. En pensant que ce roman a été écrit en 2011 et que l'action se passe environ quinze à vingt ans plus tard, vous pouvez avoir froid dans le dos. Vraiment.
Plus important encore,
Gert Nygårdshaug sait diablement bien écrire et entretenir son suspense tout du long, déplaçant le coeur de l'intrigue au gré des révélations faites aux lecteurs. Coupant son récit en chapitres courts, le Norvégien maintient un rythme soutenu et s'amuse à faire partir le lecteur sur des fausses pistes. Mais ce qui importe au final, c'est la réflexion derrière cette histoire de virus et sur ce qu'elle dit de l'homme en général.
Gert Nygårdshaug n'est pas complètement nihiliste et laisse à la fin une porte de sortie. Ou, du moins, on voudrait y croire.
Redoutable d'efficacité, impressionnant dans sa précision scientifique et tétanisant dans sa façon d'aborder l'influence de l'homme sur la Nature,
Chimera est un éco-thriller qui ne vous lâche pas.
Gert Nygårdshaug n'a pas peur de se confronter à demain et vous interpelle directement sur ce que vous seriez prêts à faire pour sauver le monde et l'humanité.
Seul problème au vu de la date d'écriture du roman, et si demain… était aujourd'hui ?
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