Comment et sur quelles bases s'est passée l'épuration des intellectuels à la Libération. C'est le sujet de ce livre.
Il n'a pas été aussi simple que cela. Tout d'abord, il fallait séparer ce qui était de la littérature et ce qui était de la politique (les pamphlets haineux). Ce qui était de la liberté d'expression et ce qui était de la collaboration avec l'ennemi. Des frontières assez minces dont les défenses n'ont pas manqué d'essayer d'utiliser. L'antisémitisme ou le racisme n'étaient pas, à l'époque, considérés comme étant des crimes.
Le retour de la peine de mort, abolie en 1848, pour des crimes de trahison a été rétablie par décrets en 1939 et 1940.
Mais grosso modo, les condamnations ont été surtout décidées sur des écrits ayant donné des informations ou des avantages à l'occupant, de l'incitation à la haine provocant la désunion nationale ou alors des dénonciations nominatives dans les écrits.
Le livre décrit très longuement les nombreux procès, explicitant chaque point. C'est parfois assez long, mais la richesse de détails est assez importante même si, on se doute bien, les actes des procédures ont été bien plus fournis.
Le jugement des intellectuels a commencé dès la libération de la France, au deuxième semestre 1944. Des 55 procès, il y a eu 25 condamnations dont 10 condamnations à mort.
Il y a, dans la dernière partie, une étude assez très détaillée de la responsabilité de l'intellectuel, avec une bonne explication de la théorie sartrienne de la responsabilité de l'intellectuel.
Et on comprend alors pourquoi Sartre s'est refusé à signer des demandes de grâce à des intellectuels condamnés à mort alors que beaucoup d'autres intellectuels l'ont fait.
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Le travail et la renommée de Gisèle Sapiro ne sont plus à prouver. La chercheuse, sociologue, donne aux lecteurs des précisions pointues issues de ses vastes recherches en replaçant dans le contexte de l'époque le pouvoir des mots.
Dans la fièvre de la libération, un certain nombre d'exécutions sommaires de collabos avaient déjà eu lieu. Et la justice populaire avait trouvé ses victimes expiatoires dans la population jouant le rôle de bouc émissaire. On ne peut pas en dire autant du monde littéraire intellectuel, et autres sommités savantes et scientifiques, parfaitement à l'aise dans la collaboration avec l'occupation allemande en France. Tout ce monde jouissait de privilèges que la libération ne leur retirera pas, contrairement à d'autres qui, par leur idéologie philosophique démocratique pour la préservation des droit relatifs à tout être humain, sans condition de race et de religion; persécutés menacés d'emprisonnement, pire déjà déportés voire fusillés. Certains comme Breton , Maran, étaient partis en exil à l'étranger. Le GPRF s'efforça de placer l'épuration dans un cadre juridique, et une haute cour de justice fut créée à Paris pour juger les crimes d'État: c'est elle qui condamna à mort Pétain, Laval, Darnand, et Brasillach. Dans la plupart des cas c'est la Résistance qui s'efforça de calmer ces excès. Les chambres ont jugé des représentants intellectuels pour des affaires mineures de marché noir, le plus souvent elles rendaient des arrêtés de non-lieu, même si beaucoup de résistants constataient avec amertume que rien n'avait changé, et que le sens de leur combat était ainsi dénaturé. La légalité républicaine était instaurée.
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Dans cet essai stimulant, Gisèle Sapiro nous donne des pistes pour tenter de trouver notre réponse propre à la question qui donne son titre au livre, et au-delà à adapter notre réaction.
Pour cela, il convient de différencier les cas de figures. Est-ce que l'acte mis en cause de l'auteur ou de l'autrice relève de sa vie privée (Polanski) ou bien est-ce une action publique ? Voire même, est-ce au cœur de son œuvre (Matzneff) ?
Deuxième axe de différenciation, la temporalité. Est-ce une erreur de jeunesse (Grass) ou bien le signe d'une "déchéance" liée à une fin de parcours (Millet) ? Ou encore est-ce un "secret" bien caché pendant toute la carrière (Heidegger) ?
De nombreuses citations viennent rappeler le contexte et les faits des cas de figures étudiés. Et se replonger dans "l'affaire Matzneff" en pleine "affaire Duhamel" donne une nausée empreinte de vertige.
Dans le même ordre d'idée, relire une citation de Finkielkraut sur Polanski, rappelle grandement une autre intervention du même triste sire à propos de Duhamel. J'ai mis en citation la phrase en question.
Rappeler les faits, c'est aussi rappeler les revendications ou demandes des protestant.e.s à chaque nouvelle affaire qui sont souvent renvoyé.e.s par un fallacieux anathème : l'accusation de volonté de censure.
Demande qui, par ailleurs, peut venir de collectifs ou associations militantes mais qui ne sont en général pas les positions des personnes publiques prises pour cible dans la contre-offensive.
Gisèle Sapiro rappelle à de nombreuses reprises la différence entre représentation et apologie, à l'origine d'une partie des polémiques. Elle donne à réfléchir sur la relation entre l'œuvre et son auteur, et sur la façon dont ils s'influencent l'un l'autre.
La partie centrale du livre est un peu plus complexe, rappelant que l'autrice est une universitaire.
Ce livre me donne de nouvelles clés pour affiner mon positionnement sur cette question qui agite la société. Peut-on dissocier l'œuvre de l'auteur ? Et si non, que faire ?
Une lecture qui amène plus de questions que de réponses. Une réussite donc.
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Critique de Victor Pouchet pour le Magazine Littéraire
Le talent excuse-t-il les partis pris polémiques ? Le génie d'une plume est-il au contraire un facteur qui accroît sa puissance symbolique et le rend particulièrement responsable ? Autant de questions que Gisèle Sapiro met très utilement en perspective dans un essai imposant d'érudition, qui est à la fois une histoire de la liberté d'expression et de la morale publique et une analyse sociologique de la représentation des écrivains. L'exclusion de Céline des célébrations nationales décidée par le ministre de la Culture aura eu au moins l'intérêt d'exprimer de nouveau combien la question de la responsabilité de l'écrivain reste problématique. Étonnamment, la façon dont a été traitée l'affaire Céline est en grande partie comparable à la manière dont littérature, morale et esthétique se sont opposées depuis le XIXe siècle. Le talent excuse-t-il les partis pris polémiques ? Le génie d'une plume est-il au contraire un facteur qui accroît sa puissance symbolique et le rend particulièrement responsable ? Autant de questions que Gisèle Sapiro met très utilement en perspective dans un essai imposant d'érudition, qui est à la fois une histoire de la liberté d'expression et de la morale publique et une analyse sociologique de la représentation des écrivains.
Directrice de recherche au CNRS, sociologue et historienne de la littérature, Gisèle Sapiro avait consacré une importante étude sur La Guerre des écrivains. 1940-1953 (Fayard, 1999). Elle y analysait la façon dont le champ littéraire avait continué à fonctionner sur ses règles propres pendant la guerre, laissant la place à différentes positions esthétiques et éthiques, principalement ordonnées autour de la question de la responsabilité. Ce nouveau livre élargit donc le spectre et étudie la responsabilité de l'écrivain en remontant au début du XIXe siècle. «Je suis tombé par terre/C'est la faute à Voltaire», chante Gavroche dans Les Misérables. Victor Hugo exprime en chanson ce qui reste central dans l'imaginaire français jusqu'au XXe siècle : la croyance dans le pouvoir des mots et la conviction d'une responsabilité majeure des hommes de lettres dans les événements révolutionnaires. À retrzpartir de la Révolution, la massification progressive de l'enseignement, l'alphabétisation et les lois successives réglant la liberté de la presse vont augmenter encore leur pouvoir aux yeux de la société.
Cependant, et c'est l'un des fondements théoriques essentiels de l'essai de Gisèle Sapiro, qui reprend l'analyse de Pierre Bourdieu dans Les Règles de l'art, le champ littéraire à partir du XIXe siècle s'autonomise peu à peu, devient indépendant des pouvoirs politique, religieux, économique. Tandis que leur responsabilité devient subjective, les écrivains tâchent de dissocier la littérature de la morale et de la politique. Pour exprimer ce conflit entre autonomie littéraire et morale, Gisèle Sapiro utilise un matériau très riche : celui des procès d'écrivains. C'est dans les cours de justice qu'apparaissent souvent le plus clairement les limites de ce qui est considéré comme représentable et acceptable socialement. Mais l'essayiste ne se contente pas de reprendre l'histoire des scandales célèbres, du procès du pamphlétaire Paul-Louis Courier sous la Restauration à ceux des écrivains collaborateurs en passant par ceux de Flaubert, de Baudelaire ou de Descaves. Elle les analyse avec ses outils de sociologue, interroge les stratégies parfois contradictoires de défense et d'accusation, et les éléments de permanence de cette période longue. Il est fort intéressant d'observer l'évolution dans les motifs de mise en cause des écrivains : l'accusation d'outrage religieux sous la Restauration se laïcise en outrage des moeurs sous la monarchie de Juillet, puis laisse la place aux atteintes à l'intérêt de la nation à partir de la IIIe République. Ce lien entre littérature et nation se réaffirme comme central à la Libération, lorsque des écrivains sont accusés de trahison et d'intelligence avec l'ennemi.
Gisèle Sapiro analyse alors la façon dont s'opposent dans cette période la logique du «droit à l'erreur» défendu par Paulhan et la théorie de l'engagement sartrien, sans doute «l'expression la plus aboutie de la conception subjective de la responsabilité de l'écrivain». Et, après Sartre, qu'en est-il ? L'épilogue rappelle combien les questions d'outrage aux moeurs et de responsabilité de la forme demeurent vives. Au moment de conclure, Gisèle Sapiro évoque aussi Barthes et sa belle idée d'une responsabilité de l'écrivain qui se transfère dans le lecteur, et «dans ce lecteur idéal qu'est le critique». Il resterait ainsi à écrire une histoire de la responsabilité du lecteur.
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Un dictionnaire sur ce très célèbre sociologue, vous me direz quoi de neuf ? En effet, j'étais ravie de découvrir un nouvel ouvrage sur Bourdieu mais je me suis aussi dit : va-t-il y avoir des choses nouvelles ? Et bien oui, les différents chercheurs ayant participé à cette oeuvre ont fait preuve de renouveau pour analyser les concepts de Bourdieu et c'est un vrai régal où on peut puiser de nombreuses informations.
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