Citations de Guillaume Apollinaire (1432)
Je pense à toi
Je pense à toi mon Lou ton cœur est ma caserne
Mes sens sont tes chevaux ton souvenir est ma luzerne
Le ciel est plein ce soir de sabres d’éperons
Les canonniers s’en vont dans l’ombre lourds et prompts
Mais près de toi je vois sans cesse ton image
Ta bouche est la blessure ardente du courage
Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix
Quand je suis à cheval tu trottes près de moi
Nos 75 sont gracieux comme ton corps
Et tes cheveux sont fauves comme le feu d’un obus
qui éclate au nord
Je t’aime tes mains et mes souvenirs
Font sonner à toute heure une heureuse fanfare
Des soleils tour à tour se prennent à hennir
Nous sommes les bat-flanc sur qui ruent les étoiles
Hôtels
La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois
Le patron doute
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton
Le bruit des fiacres
Mon voisin laid
Qui fume un âcre
Tabac anglais
Ô La Vallière
Qui boite et rit
De mes prières
Table de nuit
Et tous ensemble
Dans cet hôtel
Savons la langue
Comme à Babel
Fermons nos Portes
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour
1909
La dame avait une robe
En ottoman violine
Et sa tunique brodée d’or
Était composée de deux panneaux
S’attachant sur l’épaule
Les yeux dansants comme des anges
Elle riait elle riait
Elle avait un visage aux couleurs de France
Les yeux bleus les dents blanches et les lèvres très rouges
Elle avait un visage aux couleurs de France
Elle était décolletée en rond
Et coiffée à la Récamier
Avec de beaux bras nus
N’entendra-t-on jamais sonner minuit
La dame en robe d’ottoman violine
Et en tunique brodée d’or
Décolletée en rond
Promenait ses boucles
Son bandeau d’or
Et traînait ses petits souliers à boucles
Elle était si belle
Que tu n’aurais pas osé l’aimer
J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes
Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux
Le fer était leur sang la flamme leur cerveau
J’aimais j’aimais le peuple habile des machines
Le luxe et la beauté ne sont que son écume
Cette femme était si belle
Qu’elle me faisait peur
Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers.
Je vous aime ce soir où monte la marée
Bateaux de Bénodet à la voile azurée
Pêcheurs de Loctudy dont les filets d'azur
Se confondent avec la mer et le ciel pur
Cependant que l'Odet bleu comme une prière
Pâlit et que là-bas chaque phare s'éclaire (...)
( " Le guetteur mélancolique")
Le Dromadaire
Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d’Alfaroubeira
Courut le monde et l’admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j’avais quatre dromadaires.
Les vers luisants brillent cette nuit autour de moi
Comme si la prairie était le miroir du ciel étoilé
" Ombre de mon amour"
Mon cher Pablo la guerre dure
Guerre bénie et non pas dure
Guerre tendre de la douceur
Où chaque obus est une fleur.
(À Pablo Picasso)
Les sapins de Guillaume Apollinaire
Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent
Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que des planètes
A briller doucement changés
En étoiles et enneigés
Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapins ensongés
Aux longues branches langoureuses
Les sapins beaux musiciens
Chantent des noëls anciens
Au vent des soirs d' automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne
Des rangées de blancs chérubins
Remplacent l'hiver les sapins
Et balancent leurs ailes
L' été ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles
Sapins médecins divagants
Ils vont offrant leurs bons onguents
Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l' ouragan
Un vieux sapin geint et se couche
Je donne à mon espoir tout l'avenir qui tremble
comme une petite lueur au loin dans la forêt.
(" Poèmes à Lou")
Les Sapins
Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent
Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
À briller plus que des planètes
À briller doucement changés
En étoiles et enneigés
Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapins ensongés
Aux longues branches langoureuses
Les sapins beaux musiciens
Chantent des noëls anciens
Au vent des soirs d’automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne
Des rangées de blancs chérubins
Remplacent l’hiver les sapins
Et balancent leurs ailes
L’été ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles
Sapins médecins divaguants
Ils vont offrant leurs bons onguents
Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l’ouragan
Un vieux sapin geint et se couche
(Rhénanes, Alcools, 1913).
Saltimbanques ( extrait du recueil Alcools)
Dans la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis
des auberges grises
Par les villages sans églises
Et les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage.
Lorsque deux nobles cœurs se sont vraiment aimés
Leur amour est plus fort que la mort elle-même
Cueillons les souvenirs que nous avons semés
Et l'absence après tout n'est rien lorsque l'on s'aime.
Extrait de POÉMES À LOU
J’écris tout seul…
Mon cœur j’ai regardé longtemps ce soir
Devant l’écluse
L’étoile ô Lou qui fait mon désespoir
Mais qui m’amuse
Ô ma tristesse et mon ardeur Lou mon amour
Les jours s’écoulent
Les nuits s’en vont comme s’en va le jour
Les nuits déroulent
Le chapelet sacrilège des obus boches
C’est le printemps
Et les oiseaux partout donnent leurs bamboches
On est content
On est content au bord de la rivière
Dans la forêt
On est content La mort règne sur terre
Mais l’on est prêt
On est prêt à mourir pour que tu vives
Dans le bonheur
Les obus ont brûlé les fleurs lascives
Et cette fleur
Qui poussait dans mon cœur et que l’on nomme
Le souvenir
Il reste bien de la fleur son fantôme
C’est le désir
Il ne vient que la nuit quand je sommeille
Vienne le jour
Et la forêt d’or s’ensoleille
Comme l’Amour
Les nuages s’en vont courir les mondes
Quand irons-nous
Courir aussi tous deux les grèves blondes
Puis à genoux
Prier devant la vaste mer qui tremble
Quand l’oranger
Mûrit le fruit doré qui te ressemble
Et sans bouger
Écouter dans la nuit l’onde cruelle
Chanter la mort
Des matelots noyés en ribambelle
Ô Lou tout dort
J’écris tout seul à la lueur tremblante
D’un feu de bois
De temps en temps un obus se lamente
Et quelquefois
C’est le galop d’un cavalier qui passe
Sur le chemin
Parfois le cri sinistre de l’agace
Monte Ma main
Dans la nuit trace avec peine ces lignes
Adieu mon cœur
Je trace aussi mystiquement les signes
Du Grand Bonheur
Ô mon amour mystique ô Lou la vie
Nous donnera
La délectation inassouvie
On connaîtra
Un amour qui sera l’amour unique
Adieu mon cœur
Je vois briller cette étoile mystique
Dont la couleur
Est de tes yeux la couleur ambigüe
J’ai ton regard
Et j’en ressens une blessure aigüe
Adieu c’est tard
Ses regards laissaient une traîne
D'étoiles dans les soirs tremblants
Dans ses yeux nageaient les sirènes
Quand l'automne viendra, le bruit des feuilles sèches
Sera de votre robe un peu le bruissement.
Pour moi, vous sentant proche, en un pressentiment,
La feuille chue aura le parfum des fleurs fraîches,
Quand l'automne viendra, hanté de feuilles sèches.
(" Il y a ")
Ma chambre a la forme d’une cage,
Le soleil passe son bras par la fenêtre.
Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages,
J’allume au feu du jour ma cigarette,
Je ne veux pas travailler — je veux fumer.
Je donne à mon espoir tout l'avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt.
Juin ton soleil ardente lyre
Brûle mes doigts endoloris
Triste et mélodieux délire
J'erre à travers mon beau Paris
Sans avoir le coeur d'y mourir
Un prêtre qui avait beaucoup connu Benedetto Orfei, et qui avait souvent essayé de lui faire abjurer ce que les catholiques appelaient ses erreurs, m'a raconté la fin de l'hérésiarque.
Il mourut, à ce qu'il sembla, des suites d'une indigestion, mais son corps fut trouvé tout couvert de plaies résultant des tortures qu'Orfei s'imposait; si bien que les médecins hésitèrent à attribuer son décès à sa gourmandise ou à ses mortifications.