En poésie, on veut accéder dans les mots à un être au monde aussi fondamental – aussi simple – que possible, mais on se laisse emprisonner dans des rêveries qui sont des distorsions de la langue prenant alors figure, justement, de réalité plus satisfaisante, qu’on va donc juger supérieure. Et le latin de se prêter à cette sorte de rêve.
On ne répare jamais une série de mesures calamiteuses par un retour en arrière, on prône et pratique la fuite en avant. Si le remède ne guérit pas le malade, ce n’est surtout pas le remède qu’il faut mettre en cause : augmentons les doses, et le malade finira bien par se soumettre à la volonté impérieuse qu’on a de le guérir, même si le principe actif du médicament joue évidemment à contresens du génie de la maladie !
Le mensonge est d’autant meilleur qu’il semble plus véridique, et […] il plaît d’autant plus qu’il tient du vraisemblable et du possible. Il faut que les fables mensongères épousent l’entendement de ceux qui les lisent et qu’elles soient écrites de telle sorte qu’elles facilitent l’impossible, égalisent la démesure et tiennent les esprits en haleine, afin de ravir, émouvoir et amuser de manière que l’étonnement aille de pair avec l’allégresse ; toutes choses que ne pourra faire celui qui s’écarte de la vraisemblance et de l’imitation, en quoi consiste la perfection de ce qui s’écrit.
Sans le latin, le français avance dans une terre déserte, étrangère. Sans le latin, nous sommes amnésiques d’un héritage qui pourtant nous possède. On ne solde pas, on ne met pas en option la mémoire d’une langue et d’une littérature. Le latin n’est pas une langue optionnelle, parce qu’on ne choisit pas le latin, ou plutôt parce qu’on n’a pas le choix : c’est le latin qui s’impose, qui nous « saisit », comme on dit avec beaucoup de pertinence dans le langage du droit : le « mort saisit le vif ».
Le latin n’est pas une langue ancienne parmi d’autres, il est la langue ancienne du français, et doublement. À la fois une lingua mater, une langue mère, à la filiation peu avouable, heureusement travaillée par le souvenir de ses fréquentations illégitimes, toujours prête à faire des siennes ; et un sermo patrius, un discours patrimonial, très tôt devenu langue morte, mais restant éternellement vivant d’avoir été.
Une langue n’est pas un simple outil de communication. Il est certes opportun qu’elle vive et s’ajuste aux besoins de ses usagers, c’est le principe même de son évolution. On ne peut pour autant la regarder comme un fleuve suivant sa pente irrésistible à « ne pas demeurer », comme disait Montaigne à une époque où le français traversait une phase très instable de son histoire.
Être un être humain, c’est se débrouiller avec l’action. C’est l’action qui est difficile. Les arts et les sciences, à côté, c’est facile. Au pire, on est un maladroit, ou on est un sot. Amour-propre à part, ce n’est pas si grave. Mais l’action, mais la mauvaise action ! On est méchant, on est injuste, on est lâche, on est cruel… Big deal !
Étudier les langues anciennes ne mène pas au repli satisfait sur soi, et en tout cas n’y a jamais mené. Une fois que l’on a compris que s’approprier ce qui n’est pas soi est le chemin de la culture, on peut étendre cette attitude et l’appliquer en dehors des limites de l’Antiquité classique.
Quand on sépare une langue de sa littérature, quand on n’est plus capable de voir que ce sont les littératures qui protègent les langues, que la langue française, c’est la langue de Molière, que la langue anglaise, c’est la langue de Shakespeare, on tombe dans la mélasse diplomatique…
La vie politique, partout et toujours, est une question de nombres. La vie politique repose toujours sur une certaine relation, un certain mélange, entre le grand nombre et le petit nombre. Entre le peuple et les nobles, ou les « grands ». C’était tout spécialement le cas dans les cités anciennes qui ignoraient pour l’essentiel le troisième nombre, car il y a un troisième nombre. Ce troisième nombre, c’est l’un – le monarque, le prince. Bien sûr, un membre du petit nombre pouvait s’approprier le pouvoir : il devenait tyran. Mais la tyrannie n’est que la modalité extrême de l’oligarchie, elle n’introduit pas un nombre qualitativement nouveau, elle ne relève pas pleinement de l’un. Certes, César peut être appelé tyran et il le fut.