L’heure constitue une excuse formidable pour s’éclipser.
Je ne recule devant rien. Je prends la commande et livre la marchandise. Je suis un mercenaire à la solde des têtes couronnées.
Je pratique donc les métiers de journaliste, si c’en est encore un, et d’écrivain, ce qui, dans mon cas, relève d’une paisible imposture. Je gagne ma vie en pigeant comme une mouette dans celle des autres. Je répète dans les plus beaux mots que je puisse trouver et avec les plus belles phrases que je sache composer ce que quelqu’un d’autre m’inspire ou me glisse à l’oreille.
J’ai pris un congé sans solde du journal pour écrire la biographie de Laurence. Je ne suis pas sûr d’y retourner. Il n’y a rien d’aussi périlleux que le journalisme ces joursci, à part peut-être le lâcher de taureaux dans les rues de Pampelune.
Premier apéro. J’avais oublié que les petites mouches noires, mondaines comme elles sont, aiment aussi boire un coup. Mes filles qui ont fait camps et camping se portent volontaires pour faire le feu. Je m’en mêle. Comme un vieux spécimen de mâle alpha.
Papa, va-t’en, on est capables!
Je m’incline. J’ai presque envie d’aller pisser autour de la yourte pour marquer ma frustration et mon territoire. Je me rends compte que le feu pour un homme, c’est la télécommande de la forêt. Mais je dégage.
Lentement, je commence à relaxer. À respirer. Pas de télé, pas de réseau, pas de cellulaire. À la yourte, on réapprend la patience. Rien ne se fait vite, ni les toasts ni l’eau pour la vaisselle.
Philippe ne sera jamais le fils que j’ai voulu. Je sais, je sais, les bonnes âmes me l’ont déjà servi: on peut dire la même chose d’un garçon normal, sans handicap, avec toute sa tête, tous ses membres […]. Mais je n’ai pas hérité de ce modèle-là. J’ai reçu la poupée cassée. Je suis propriétaire d’un jouet auquel il manque des morceaux et que je ne peux retourner au fabricant. Je l’avais imaginé comme moi, en mieux, sans mon passé, sans mes défauts, courant entre mes jambes, se dressant devant moi, défiant mon autorité, vif. Oui, vif comme la vie. Mais il est aussi éteint qu’une ampoule brisée. Je me sens coupable de ne pas l’aimer. Je veux l’aimer. Il faut que je l’aime.
Je savais bien qu’Évelyne n’existait pas. Qu’elle n’était qu’un personnage de fiction, une créature imaginée pour nourrir les fantasmes d’un troupeau de téléspectateurs.
Cela dit, je ne pouvais m’empêcher de penser à elle; ce n’était pas interdit par la loi, c’était plus fort que moi, elle correspondait à mon idéal féminin. Je ne la connaissais que depuis deux heures, mais je la savais libre, indépendante, éprise de justice, menant sa vie comme on conduit une Ferrari, vite. Et ses yeux, doux et perçants à la fois…
Je suis une équerre, un triangle isocèle au pays du tiret et de la ligne droite. Je me vois éternellement couché ou assis, rien entre. Je suis plié en deux. Si je me rends à trois, je me réoriente vers la contorsion.
Ma professeure, madame Pascale,a demandé de garder une minutede silence à la mémoire de maman.Ça a été la minute la plus longuede tous les temps pour moi.Je ne me suis jamaissenti aussi seul.
On ne peut détester profondément que les gens que l'on connait.
Ils ( les vieux) marchent à la bonne cadence.: le ralenti. De cette façon, ils sont convaincus d'arriver moins vite au ciel. (p. 225)
Elle se considérait heureuse comme elle l'était. Le bonheur avait adopté les contours de ce elle en connaissait. (p 42)