AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Hyam Yared Schoucair (39)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


La malédiction

"Au commencement était la peur......"

Etre une fille au Liban dans les années 70 à Beyrouth, dans une famille catholique coincée entre une culture arabe et occidentale, sous le joug d'une mère tyrannique obsédée par les apparences qui voudrait la culpabiliser sur tout, son aspect physique, sa gourmandise,ses fréquentations,.....bref l'enfer, est le récit de Hala, une petite fille coriace. Un enfer qu'elle raconte avec désinvolture et un humour féroce désarmant qui subjuguent et fait beaucoup sourire , et plutôt que de la plaindre on admire sa lucidité, sa force et son intelligence déployés pour braver ce monde d'interdiction et de dépravation. Le mot "sexe " est tabou, pourtant la manifestation du sexe à travers déni, refoulement, surveillance et allégories de substitution pour le désigner , est partout.

C'est aussi l'histoire de son pays, sous l'occupation syrienne. Face à l'ingérence incessante d'autrui, Hala et le Liban, "sujets aux violations", luttent pour leur indépendance, entre humiliations et douleurs, qu'ils refusent d'intellectualiser par crainte d'y sombrer. Pour elle une lutte quasiment physique, qu'elle va poursuivre dans sa vie adulte......



La prose, directement écrit en français est sublime ( parlant de sa grand-mère paternel, "L'autorité était une chose qui lui avait été, toute sa vie étrangère.Une sorte de plante qui n'avait jamais poussé dans son jardin"). Un langage cru qui ne tombe jamais dans la vulgarité d'une force et d'une beauté inouïes. Un récit poignant, percutant, qu'on lit avec grand plaisir,et malgré l'enfer, beaucoup de passages qui font sourire.



Hyam Yared née à Beyrouth dans les années 70, est une grande romancière et poète.J'avais déjà beaucoup aimé son livre" Sous la tonnelle ", que je recommande vivement avec celui-ci.
Commenter  J’apprécie          620
Implosions

Quand tout s’effondre



Hyam Yared était à Beyrouth le 4 août 2020, lorsqu’une explosion a ravagé la ville. Les mots ont alors servi à atténuer le choc, à tenter de comprendre et à esquisser un avenir possible.



Le 4 août 2020 à 18h 07. Une date qui restera à jamais gravée dans la mémoire de centaines de milliers de Libanais. Car ils auront vécu l'apocalypse et survécu à l'explosion du port de Beyrouth. Leur «ground zero». Un an plus tard, et alors que la situation du pays est toujours aussi chaotique et que l’enquête semble être au point mort, Hyam Yared apporte un témoignage émouvant autant qu’une analyse implacable. Au moment de la déflagration, elle était en consultation chez un psy avec son mari Wassim pour tenter de sauver son couple qui traversait lui aussi une crise. Elle s'est retrouvée propulsée par le souffle, puis s’est réfugiée sous le bureau, craignant une nouvelle explosion de ce pensait alors être un attentat. Mais c'était bien pire.

Les voilà unis dans la tragédie, brisés mais soudés. «Les couples ne se font plus la guerre dans les pays en guerre. La survie l’emporte sur les litiges et l’empathie renaît de l’inexorable: un avenir commun à bâtir malgré tout.»

Passés les moments de sidération, il se rendent compte de l'ampleur du drame dans un pays déjà exsangue. En ce «jour 1», il faut d'abord parer au plus pressé, prendre des nouvelles de la nounou qui gardait leurs enfants, essayer d'avoir des nouvelles de la famille et des proches. Le retour du réseau téléphonique étant de ce point de vue une bénédiction. Il est maintenant temps de s'organiser en mode survie.

Car il ne peut être question de vivre normalement dans ce pays miné par des années de guerre, puis par des politiques claniques, une administration déliquescente et un système bancaire défaillant où seule la fresh money permet encore d'effectuer des transactions.

Du coup, ils sont nombreux à ne plus trouver l’énergie de rester. «Même la main-d'œuvre étrangère retourne dans son pays d’origine, où la misère a soudain des relents de paradis. À chaque coup de fil, j'ai le cœur qui saigne. On part. Ce pays est fini.»

Le drame du port aura été pour de nombreux libanais le coup de trop. Ceux qui choisissent tout de même de rester conservent un semblant de fierté nationale, se disent qu'il doivent reconstruire une fois encore un pays déjà écartelé entre des communautés et des convoitises diverses. Des conflits d'intérêts qui traversent aussi la famille de Yassim.

Après avoir choisi de rester, il faut essayer de comprendre, de savoir ce qui s'est passé et pourquoi. «La vérité, évidemment, devra s'extirper d'un patchwork de mensonges où chaque version couvre celle des autres».

La quête de Hyam Yared n’omet rien des doutes qui l'accompagne. C'est ce qui donne sa force au livre et permet au lecteur d'en comprendre les enjeux. En mêlant les difficultés intimes d'un couple à la souffrance d'un pays, on comprend combien les grandes questions géopolitiques sont extrêmement liées à ces conflits intérieurs. L'espoir naissant en quelque sorte de l’écriture, parce qu’en posant les mots sur la peur, la colère, les problèmes, on peut déjà avancer. Les quatre jours qui ont suivi le 4 août et qui forment la trame de ce livre ne livreront aucun remède, ni au couple, ni au pays. Mais ils nous auront permis de comprendre ce qui se joue là. Et c'est déjà une première victoire. Un début de chemin vers l'espoir, si ténu soit-il.




Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          361
Implosions

Ce que j’ai ressenti:



« Écrire, c’est manifester. »



Manifester de l’intérêt, son amour, sa peine, son engagement, son art. Parce que quand le chaos s’invite dans le quotidien, il ne reste pas grand-chose à faire d’autre, que d’écrire, s’épancher pour comprendre, creuser au plus profond pour réparer, peut-être, plonger corps et âme dans la Yama…C’est inattendu et dévastateur. Une tragédie. Pour un pays, une famille, un couple, une femme. Cette femme est écrivaine, hypersensible, mère, épouse, citoyenne, consciente, et c’est en prenant la plume, tour à tour, dans chacun de ses rôles qu’elle nous raconte cette catastrophe…Elle se raconte, elle doute, elle s’étonne, elle rature, elle se questionne, elle désire, elle pulse au rythme des minutes suivant l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, avec une émotion palpable…



« J’avais Beyrouth entre les jambes. »



Au fil des minutes, des heures, on suit l’autrice dans son intime, dans son implication, dans ses errances, dans ses douleurs, dans ses hésitations, dans sa force d’écriture qui choisit le courage d’aimer, l’altérité, la maternité, ses racines pour tenter de mettre des mots sur cette crise familiale et politique. La rupture est si proche, et pourtant…À l’heure des confinements, du Covid, des conflits géopolitiques, de la distanciation sociale, n’est-il pas plus judicieux de privilégier les liens qui unissent, les liens qui forgent, les liens qui rapprochent? Encore faut-il avoir l’envie de se poser, déposer les souffrances, laisser reposer les cendres et les rancœurs…



« Il suffit à la douleur d’être. »



Je ne suis pas certaine que nous aurons les réponses à toutes les énigmes de cette tragédie, que nous aurons les astuces pour garder la magie d’un couple, que nous comprendrons tous les tenants et aboutissants de la vie, mais ce témoignage de Hyam Yared est touchant. Bouleversant. J’ai été très sensible à sa manière de nous faire ressentir ses tourments, de transmettre ces implosions, de chercher du réconfort dans l’art de la littérature, d’empêcher le ciel de se faner…J’ose croire en l’amour, à la résilience de Beyrouth, en la force de ceux qui la peuplent…Je suis prête à les voir s’aimer…



« 21h10. Ce qui compte, c’est l’amour. »
Lien : https://fairystelphique.word..
Commenter  J’apprécie          260
Sous la tonnelle

Choisi au détour d'un rayonnage de bibliothèque, un auteur en Y , challenge A.B.C oblige et la claque!

Sous la tonnelle de Hyam Yared , roman de l'amour, de la mémoire, de l'amitié, de la résistance, de la patience . Sous la tonnelle de Hyam Yared un très beau texte porté par une écriture magnifique à la fois ciselée , légère et puissante.

Sous la tonnelle de Hyam Yared est le portrait d'une femme extraordinaire, la grand-mère de la narratrice qui vient de s'éteindre dans son sommeil. Nous sommes à Beyrouth , la porte de la maison doit rester ouverte 3 jours et les corbeaux tout de noir vêtus vont et viennent . les corbeaux, ainsi que les appelle la narratrice sont tous ceux qui viennent présenter leurs condoléances à la famille . Elle les fuit et se réfugie dans le boudoir de sa grand-mère au milieu de ses papiers , lettres , souvenirs . Et il y a cet homme , cet inconnu avec sa serviette qui est arrivé trop tard juste après son décès . Il repart , il revient et ouvre le dossier ..

Qui donc était cette femme? Elle a aimé , été aimée. Veuve très jeune , elle a promis à son époux de lui rester fidèle . Fidèle le mot clef ! Fidèle à son époux, fidèle à tous ceux qu'elle a aimé, fidèle à ses amis , fidèle à son pays , à sa maison , à son jardin... A travers l' histoire de sa vie , c'est un siècle de l'histoire du Liban qui se déroule sous nos yeux, ce petit pays convoité par tous , abimé, écartelé entre les puissances voisines si fier de son multi-communautarisme .

Un roman puissant où les mots amour et tolérance riment à chaque page , un roman à découvrir cela va sans dire ...
Commenter  J’apprécie          262
Sous la tonnelle

Rien n'est banal dans ce très bel ouvrage des Éditions Sabine Wespieser, l'histoire d'une grand- mére tout juste disparue et de sa petite fille.

"Sous la tonnelle"nous enchante dés le début, par le fil d'un récit à l'écriture magnifique, tellement riche et belle que l'on désirerait citer nombre de phrases pour notre plaisir!, le tout mené tambour battant par la narratrice qui nous conte d' une maniére élégante, la vie de sa grand- mére, issue d'une famille d'Emigres Arméniens, ayant fui le génocide,et qui avait épousé un commerçant Libanais, devenue veuve trés jeune... Une femme amoureuse de la vie, lumineuse, insoumise ,animée d'un orgueil positif, vivant sa soif de liberté dans un monde qui le lui refuse....

Nous sommes à Beyrouth.

"Petit Liban, enclavé dans les confits des autres en plus des siens, réduit géographiquement à faire appel à un arbitre chaque fois que le conflit tourne au vinaigre" nous dit Hyam Yared, et plus loin"Cette ville, est celle où il y a partout des malentendants et des aveugles" et encore plus loin"Il y a trop de passions en Orient pour que les rêves ne se transforment en chaos"....car, en plus,de l'amour de l'humain de ces deux femmes, la petite fille et la grand- mére , leur refus des convenances,leur courage, la force de leurs convictions, leur désir d'amour et de son difficile apprentissage, nous vivons dans des pages déchirantes les souffrances de ce petit pays, en pleine guerre civile, la grand- mére refuse de quitter sa maison et son jardin fleuri, situés sur la ligne de démarcation, elle désire résister à la guerre, tente d'aider chacun comme elle le peut et reste neutre.....malgré le danger et les contraintes tragiques ," libre" dans sa tête....forte...

L'auteur rend un magnifique hommage à un Liban,déchiré, blessé, meurtri, violé, bousculé tout au long de l'histoire, dans la deuxième moitié du 20° siécle...face à ses contradictions....

Pour la petite fille en instance de divorce, déchirée entre sa quête de liberté et son besoin d'amour, sa grand - mére reste un point d'ancrage et un modèle ...

Un ouvrage sur la fidélité aux lieux, fidélité à la parole donnée, un récit émouvant et troublant sur le deuil, la perte d'une grand- mére passionnée, libre mais plus complexe et mystérieuse qu'il n'y paraît....

Deux images de femme magnifiques qui se font écho,portés par les mots révoltés et volontaires, jamais résignés de Hyam Yared.

Des passages inouïs et éblouissants qui méritent d'être relus:" Mon Liban à moi est fait d'obus. De cadavres. De destruction. De politiciens en jarretelles. Le prix de la passe au Liban? Un pays entier avec quatre millions aux enchéres,assujettis à toutes sortes de manipulations...."

Une nostalgie douce,une quête de liberté et d'amour de ces âmes insoumises, généreuses et libres...

Un cri d'amour:"Toute ma vie,je m'étais préparée à recevoir ta mort comme on reçoit la vie".

" Ta mort légère comme des plumes d'oie. Comme le poids d'une chaîne en or. Vingt et un grammes".



Un très beau portrait de femme animé par ses propres obsessions, sur le désir, la violence, la passion...la guerre et ses ambiguïtés, un ouvrage qui m'a fait penser au si beau : "le soleil était chaud "de Josette Alia, lu il y a trés longtemps...





Commenter  J’apprécie          250
Nos longues années en tant que filles

Là, je suis carrément sorti de ma zone de confort. Je suis même entré en inconfort avec quelques passages que j'ai trouvés ... tellement loin de mon univers !

Je lis souvent en parallèle des livres « sérieux/utiles/ennuyeux » et des livres « détente/plaisir/chouette » et comme actuellement c'est le Liban qui a attiré mon attention du côté sérieux de la force. . . . en tombant sur cette écrivaine Libanaise dont je n'avais jamais entendu parler, je me suis dis : « tiens, ça te changera d'Amin Maalouf ! »

Là, pour sûr que ça m'a fait un choc !

111 chapitres, roman à deux voix, deux destins distincts qui se croisent, s'interrogent, sur fond de sexe, de genre, de domination. Je crois, sans être un spécialiste loin de là, que c'est un livre féministe. Mais je ne suis pas sûr.

Soyons francs : la première partie a été affreuse pour moi : le sabir Globish entre la narratrice et son amant sur fond de pratique SM . . . j'ai été tenté d'arrêter, heureusement que c'était entrecoupé de passages qui nous plongeaient dans l'histoire de la narratrice, à Beirut, après l'exil forcé de sa famille du Sud Liban.

J'ai été vérifier un peu la bio de l'auteure et me suis rendu compte que, non, décidément, cela avait l'air sérieux. Alors j'ai continué.

Et petit à petit, l'histoire a pris de l'épaisseur. J'ai réussi à faire abstraction de ces passages qui m'exaspéraient et comme par hasard, ils s'espaçaient, devenant presque anodins.

Et ce sont les histoires, les vraies, celles des corps et des âmes des deux voix, qui ont pris le dessus. Je ne vais pas détailler les personnages et leurs trajectoires, ce serait . . . pour vous du voyeurisme ?

Finalement, je crois pouvoir dire que j'ai aimé ce roman. Je me demande comment on aurait pu faire sans ces passages qui m'ont rebuté. A cause de ceux-ci je ne peux pas conseiller comme cela, sans pincettes, de lire cette fiction ancrée dans une certaine modernité. Allez voir la bibliographie de l'auteure, et si les histoires de genre, de sexe vous intéressent, alors oui vous pouvez le lire . . . Ce que vous en penserez est une autre histoire, et c'est la votre.

Commenter  J’apprécie          240
Tout est halluciné

Je souhaite remercier Babelio et les Editions Fayard de m'avoir envoyé ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique.



Un magnifique livre sur l'émancipation.

J'ai passé un agréable moment avec ce livre.



Tout est halluciné, un très beau roman que je vous conseille.







Commenter  J’apprécie          130
Implosions

Implosions... ce sont les états d'âmes de l'autrice sur son pays. La corruption. Les guerres successives. L'état de délabrement politique d'une nation qui fut fière et qui n'a même plus de larmes pour pleurer. L'implosion, c'est finalement la disparation de cette nation. de ce peuple.



Le monologue, le roman, le récit prend place juste après cette explosion du 4 août 2020, alors que Beyrouth et le Liban vivent sous le joug d'une pandémie, comme si ce n'était pas suffisant, voilà l'explosion qui sidère le monde.



Entre réflexions, manifestations, larmes amères versées sur les morts, entre révolte et soumission, fatalisme et quotidien délabré, l'autrice aimerait faire poindre la résilience. Mais est-il encore question de résilience?



Le propos est lourd et dur. le style ne m'a pas happé, même si le sujet m'intéresse. On sent trop de fébrilité et d'hésitation dans le traitement du sujet. Trop de proximité entre le récit et l'autrice. Il n'y a pas vraiment de trame ou de récit. Un peu plus de fiction (même si l'autrice assure que tout est fiction...), cela ne m'aurait pas déplu. J'ai vu une écrititure chaotique, maniérée, comme si l'autrice préférait décrire ses pensées, débridées et nombrilistes, plutôt que celles d'un peuple. Clairement, il m'a manqué un fil conducteur, un vrai.



Il reste un Liban déchiqueté. Dans quelques mois, cela fera deux ans que le port de Beyrouth a été pulvérisé. Que reste-t-il des promesses? Voilà un beau sujet de roman...
Commenter  J’apprécie          100
Nos longues années en tant que filles

S'il y a un aspect embarrassant dans Nos longues années en tant que filles, c'est bien la description répétitive de scènes SM, masochistes et humiliantes pour Mélanie, le personnage principal et narratrice de la romancière libanaise et francophone, Hyam Yared. Le lecteur, à ces moments-là, n'est qu'un vulgaire voyeur, non seulement gêné mais aussi un tantinet choqué par le plaisir pris dans cette forme d'érotisme, en général confiné à la sphère privée. La tentation peut être grande de lâcher l'ouvrage très vite mais heureusement, grâce à l'autre personnage important du roman, conductrice de taxi transgenre, le passé des deux femmes va remonter à la surface et donner un éclairage plus profond de leurs combats respectifs pour devenir des femmes libres. D'un côté, une jeunesse à Beyrouth, dans un pays en état de guerre quasi permanent, au sein d'une famille chrétienne étriquée et une belle-famille méprisante ; de l'autre, une adolescence puis une vie d'adulte emprisonnées dans un corps d'homme. Et pour les deux, la souffrance à essayer de briser les moules et les conventions pour se réaliser. Même si des bouffées crues d'érotisme continuent à essaimer dans le livre, celles-ci deviennent moins prégnantes à mesure que Mélanie comprend que la route qu'elle a choisie pour s'émanciper n'est pas forcément la bonne. L'écriture de Hyam Yared est brillante, parfois trop d'ailleurs, et confère à ce roman, que l'on devine en partie autobiographique, une qualité et une densité que l'on n'aurait pas soupçonné en s'arrêtant au premier tiers du récit.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
Commenter  J’apprécie          100
Implosions

Ça gronde.

Là, au creux du bide. Une colère sourde qui palpite. Elle est diverse, se compose de mille éléments. Et puis un jour, elle implose et ravage tout à l'intérieur. Et puis, un jour, elle explose à la face du monde.

Comme le port de Beyrouth. Comme le couple de la narratrice.

Il suffit d'une étincelle. Ce livre est la déflagration. Écrit dans une sorte d'urgence, on le ressent à la lecture. Dire. Ce qui ne va plus. Ce qui n'est pas assez dit. Le dire plus haut, plus fort, pour être entendu.

Entendue en tant que Libanaise, qui voit son pays s'effondrer sous les magouilles politiques, la crise économique, l'inertie. Entendue en tant que femme, parfois humiliée, souvent incomprise. Entendue en tant qu'écrivaine, qui a besoin de mots, des pages noircies pour être au monde.

Entendue en tant que mère, qui ne veut pas être resumée à ça, mais qui ne veut pas pour autant qu'on élude sa maternité tardive.



Ce roman dit beaucoup. Avec rage. Avec humour. Avec force. Il dit un pays déchiré qu'il faudrait quitter. Mais peut-on vraiment se détacher du Liban ? Un pays si complexe. Pourtant c'est l'un des rares textes qui m'a semblé limpide à ce sujet. Mais aussi un couple qui se déchire, les mots doux d'hier ont laissé place aux reproches. C'est dans le cabinet de leur thérapeute que l'explosion les surprendra. Comme un symbole de l'effondrement. Et quelques jours après, se relever. Et crier.



Un texte percutant, pertinent, intelligent, intime, actuel. Un texte tellement tout ça, que je l'ai commencé en septembre. Puis arrêté. Parce que cette actualité, notamment celle de la pandémie que je me prenais en pleine face depuis plus d'un an, je ne voulais pas la retrouver dans un livre. Étonnamment, il aura fallut une invasion de l'Ukraine pour que je recommence à zéro. Et que je retrouve ce texte dans toute sa force. Il dit notre époque avec une grande acuité. Mais pas sans style. Parfois l'urgence d'écrire a du bon. Ce livre en est la preuve.



Commenter  J’apprécie          72
Implosions



Spectateurs impuissants, nous avons tous vu défiler sur nos écrans les images sidérantes de cette explosion du 4 août 2020 où, à Beyrouth, 350 tonnes de nitrate d’ammonium ont enflammé le port et anéanti des quartiers animés de la ville.

Hyam Yared nous prête ses yeux, ses mots, son âme, ses tripes et ses poings – oui surtout ses poings - pour mesurer l’ampleur des dégâts et ressentir la détresse et le désespoir des Libanais qui, eux aussi, ont dorénavant leur ground zéro.

Tout allait déjà au plus mal au Liban avant l’explosion, crise économique et sociale, divisions confessionnelles, corruptions de tous bords... Tout allait au plus mal aussi dans le couple de la narratrice et de son conjoint Wassin. Cette dernière secousse entraîne une implosion générale, un effondrement national, social, conjugal et individuel. Le Liban, les Libanais vont-ils pouvoir se relever, reconstruire comme ils l’ont déjà fait tant de fois ou faut-il arrêter d’être résilient parce que trop, c’est trop..? Elle veut partir, lui veut rester. Le couple comme beaucoup de libanais des classes aisées, était déjà déchiré entre ces deux options et maintenant le dilemme devient de plus en plus clivant, déchirant.

Ce déchirement était déjà présent chez les parents de la narratrice : « Profiter de la douceur de vivre dans un État de non-droit valait ou être libre dans une démocratie capitaliste où le travail et le rendement sont minutieusement régulés par une législation basée sur des restes des droits de l’homme. » Partir là où « le travail bâtisseur d’une société de droit a perdu là-bas son essence au profit d’une forme de misère : un individualisme qui vous ferait enjamber un SDF mort de froid pour ne pas arriver en retard à un rendez-vous. »

Penser à soi et son confort ou penser au collectif « si les privilégiés s’en vont quel pays laissons-nous à ceux qui n’ont pas le luxe de pouvoir le quitter? »

La narratrice interroge aussi le rôle de l’écrivain dans ce chaos. Est-il possible de dire ? L’écriture peut-elle créer du sens dans un monde sans réponses?



Quel style percutant, cinglant chez cette Hyam Yared: « Dans la basse-cour libanaise, les charognards – locaux et étrangers – se penchent au-dessus des restes d’un pays devenu le terrain de jeu d’une corruption multiconfessionnelle propagées dans tous les édifices de l’état. »

Ou encore « Quelle liberté? Cette déesse mi- chienne, mi-vampire qui aboie qu’il faut que nous mourrions pour elle et nous digère en faisant de grands slurps. »

Et à travers tout ça l’humour…

Hyam Yared, une voix, un cri qu’on se doit t’entendre.

Commenter  J’apprécie          70
La malédiction

« La mère souffrait de n’avoir pas choisi mon ADN. Je la comprenais. Moi j’aurais voulu choisir un vente formaté à ma recevoir. »



Une couverture rouge sang, un corps féminin à l’attitude explicite, comme pour mieux avertir le lecteur qu’il aura dans les mains un ouvrage qui le chahuter. Couverture qui m’a attirée tel un aimant, et dont le sujet me rappelait d’autres ouvrages marquants.

En effet, bien que prenante, la lecture de l’ouvrage n’en demeure pas moins difficile dans les thèmes et la violence intérieure des personnages.

Livre de femme, qui ne met en scène que des femmes.

Nous sommes au Liban, pays déchiré, toujours à la merci de ses voisins envahissants ; pays multiculturel où même quand on est chrétien, il ne fait pas bon être femme.

Hala vit un calvaire, entre une mère, « La mère » comme elle la nomme qui la rejette, lui fait subir les pires humiliations, la brime, l’emprisonne, et plus tard, une belle mère « Rayon X » qui ne la verra jamais autrement qu’un ventre à engendrer des « mâles », mais indigne d’en être la mère plus tard….

Hayam Yared, dont j’ignorais tout, donne un style à son ouvrage fait à la fois de lyrisme, et de mots et phrases choc.

Un livre qui peut ne pas plaire à tout le monde, mais qui en interpellera d’autres.

Un livre passé complètement inaperçu à sa parution, et qui pourtant aurait mérité plus d’attention tant il bouscule, interroge.


Lien : http://leblogdemimipinson.bl..
Commenter  J’apprécie          50
La malédiction

Très difficile à résumer ce bouquin, je ne suis pas sûr d'y être réellement parvenu. Il manque des éléments, j'ai peur d'en avoir interprété d'autres. Écrit par une femme, c'est un roman sur les femmes. Sur leurs vies dans ces années-là au Liban. Hala, comme beaucoup se soumet à l'autorité plus qu'elle n'obéit. L'autorité des hommes mais aussi et surtout celles des mères, fortes, qui elles-mêmes ont eu une vie difficile. Dans le milieu dans lequel elle évolue, aucune déviance n'est tolérée : boulimie, homosexualité, sexualité avant mariage, même en parler est péché ! La religion culpabilisante !

Ce roman est toute la vie de Hala, de son enfance à sa vie de femme. Les hommes y sont peu présents, mais importants par les actes qu'ils commettent ou au contraire par leur indifférence au sort des filles et par leur souhait de ne pas s'immiscer dans l'autorité maternelle (pour avoir la paix et vivre tranquillement), sous prétexte d'aller travailler pour faire vivre la famille. Plus tard elle les découvrira transparents, se désagrégeant petit à petit. Ce sont donc les mères qui éduquent les enfants, durement comme elles l'ont été ; celle de Hala est changeante

C'est un livre qui se mérite : sa lecture n'est pas évidente, demande de l'attention, mais on n'en décroche pas. Hyam Yared est poétesse et romancière et son écriture s'en ressent. Des passages très beaux alternent avec d'autres plus crus, directs. La lecture est déconseillée aux pudibonds, mais fortement recommandée aux autres. Si certaines phrases sont un peu plus ardues à saisir, et certains passages un peu plus longs, je ne me suis jamais ennuyé dans ce livre. Hyam Yared développe un style qui accroche et garde le lecteur. Une sorte de fascination ou d'ensorcellement qui vous mènera au bout de cette histoire de femme libanaise, qui pourrait bien représenter une femme universelle.
Lien : http://www.lyvres.over-blog...
Commenter  J’apprécie          50
La malédiction

Quel livre ! Une plume acerbe qui nous vrille les entrailles au fil de la lecture... on suit l'histoire de Hala, de petite fille à mère de famille, dans un Liban déchiré, envahi, puis libéré qui tente de se reconstruire malgré tout. On assiste, impuissant, au combat muet de la jeune fille face aux siens en martyrisant son corps, dont elle est dépossédée depuis l'enfance, car le corps des femmes ne leur appartient pas.

Hyam Yared dénonce la condition des femmes à travers cette histoire glaçante et dérangeante, jusqu'à la dernière ligne, en apothéose...
Commenter  J’apprécie          40
Sous la tonnelle

Ce très beau livre a obtenu en 2011 le Prix Richelieu Littéraire de la Francophonie , délivré tous les deux ans de haute lutte (parmi plusieurs dizaines d'ouvrages retenus au départ) à un auteur qui n'est pas de langue maternelle française mais qui a écrit en français.
Commenter  J’apprécie          40
Sous la tonnelle

Émouvant, troublant, instructif ...

On peut qualifier ce livre de nombreux qualificatifs. C'est un livre sur le deuil, la perte d'une grand-mère, rêvée et idéalisée par sa petite fille, c'est un livre sur les souffrances du Liban de la seconde moitié du XXe siècle, c'est un livre sur l'amour et son difficile apprentissage, c'est un livre sur les rencontres et les échanges.

Tout cela à la fois...

Enrichi de nombreuses références culturelles, littéraires et artistiques, ce livre vous fait voyager à travers temps et espaces, du Liban au Brésil, du début du siècle aux années 2003 et 2006.

Un récit long (peut-être un peu trop) pour construire une image à facettes d'une femme et d'une conception de la vie idéale, entre amour et passion.
Commenter  J’apprécie          40
Sous la tonnelle

J’aime le Liban, ce pays déchiré, enclavé, bombardé… Ce livre est un coup de coeur



Nous sommes à Beyrouth, le 13 juillet 2006. La grand-mère tendrement aimée de la narratrice vient de décéder. La porte de la maison doit rester ouverte 3 jours, et les « corbeaux » venus présenter leurs condoléances, sont dans le salon.. Elle, elle se réfugie dans le boudoir de sa chère aïeule parmi ses objets intimes, ses petits papiers et carnets et ses souvenirs. Elle cherche à retrouver sa présence dans le jardin… Un homme est là, assis. Jeune, un accent marseillais, il vient remettre un épais dossier confié par l’émissaire de son père, Youssef.. Sous la tonnelle, il raconte… C’est magnifique. Elle va découvrir tout un pan de la vie de sa grand-mère…« ℒ𝑒 𝒷𝑜𝓃𝒽𝑒𝓊𝓇 𝓃’𝑒𝓈𝓉 𝓅𝒶𝓈 𝓊𝓃𝑒 𝒶𝓉𝓉𝑒𝓃𝓉𝑒. ℐ𝓁 𝓈’𝒶𝒸𝒸𝓇𝑜𝒸𝒽𝑒 𝒶𝓊𝓍 𝑔𝑒𝓃𝒸𝒾𝓋𝑒𝓈. ℐ𝓁 𝒶 𝓁𝑒 𝑔𝑜𝓊𝓉 𝒹𝑒 𝓁’𝑒𝒻𝒻𝑜𝓇𝓉 𝑒𝓉 𝒹𝑒 𝓁𝒶 𝓅𝑒𝓇𝓈é𝓋é𝓇𝒶𝓃𝒸𝑒 »



Cette grand-mère née dans une famille arménienne ayant fui le génocide, a épousé un commerçant Libanais, est devenue veuve à trente ans. Elle a refusé de quitter sa maison et son jardin fleuri, situés sur la ligne de démarcation, s’arrangeant avec sa peur et le danger, et diplomatiquement avec les différents partis qui s’affrontent à coup de roquettes et les francs-tireurs. C’est une femme forte, lumineuse, « aux yeux perçants », sage, intelligente, fidèle, libre, insoumise, amoureuse, cultivée, respectueuse des autres, de tous les autres, secrète, tellement admirable.



« 𝒯𝒶 𝓂𝑜𝓇𝓉 𝓁é𝑔è𝓇𝑒 𝒸𝑜𝓂𝓂𝑒 𝒹𝑒𝓈 𝓅𝓁𝓊𝓂𝑒𝓈 𝒹’𝑜𝒾𝑒. 𝒞𝑜𝓂𝓂𝑒 𝓁𝑒 𝓅𝑜𝒾𝒹𝓈 𝒹’𝓊𝓃𝑒 𝒸𝒽𝒶î𝓃𝑒 𝑒𝓃 𝑜𝓇. 𝒱𝒾𝓃𝑔𝓉 𝑒𝓉 𝓊𝓃 𝑔𝓇𝒶𝓂𝓂𝑒𝓈 ».



J’ai été très émue par l’histoire de Melkon et Rachel. Les personnages secondaires sont également très attachants (Brahim, Ali, Anita, Rose, Luludja qui se croit femme libérée, Monsieur F..)



C’est un roman sur la liberté, l’amour, la parole donnée. Beaucoup de passages très émouvants, tendres. Les lettres sont d’une telle noblesse !



J’ai également aimé la note archéologique.



J’ai aimé l’arrière-plan politique, humaniste et sociologique du moment, excellemment décrit : l’exode arménien, la guerre du Proche-Orient, les émeutes parisiennes, le vent de liberté des mœurs de 1968, les références culturelles, littéraires.L’écriture est chatoyante, enchanteresse.



Un magnifique portrait de femme, doublé d’un hommage au Liban, à l’émerveillement et la tolérance. Lisez-le.



Une belle plume si poétique
Lien : https://www.plkdenoetique.co..
Commenter  J’apprécie          30
La malédiction

« La Malédiction » ; Hyam Yared (Ed des Equateurs, 180p)

Voici un excellent roman, à tous points de vue.

C’est d’abord une histoire d’enfant-fille qui grandit et devient femme dans un pays assiégé, le Liban, dans la petite bourgeoisie chrétienne maronite de Beyrouth prisonnière de ses préjugés plus que rétrogrades et racistes autant que de ses peurs. Hala est écartelée entre ses aspirations à plus d’indépendance et les griffes vampirisantes de sa mère — qu’elle appelle LA mère— avant de subir le joug de sa belle-mère — qu’elle appelle Rayon X. On découvre d’abord la petite fille de 8 ans en interrogations curieuses de son corps féminin, sous les caresses troublantes de son frère de deux ans son ainé. L’exploration de sa sexualité féminine tient d’ailleurs une part non négligeable dans ce récit sans fioriture ni langue de bois, mais il n'y a aucune vulgarité ni appel au voyeurisme des lecteurs. C’est la forte amitié avec Fadia, copine de classe intelligente et cultivée, aussi anorexique qu’Hala est boulimique, qui lui ouvrira des horizons dans ce domaine comme dans tout ce qui la pousse à étancher sa soif de liberté.

Le carcan familial est plus qu’étouffant ; la mère est une véritable obsédée sexuelle (au sens où elle est installée de manière rigoriste dans une méfiance maladive du corps de sa fille, à l’image des religieuses enseignantes des écoles catholiques). Si Fadia subit le poids écrasant de son père veuf, milicien phalangiste et bourreau jouissif de palestiniens, c’est bien la mère de Hala qui cherche à tout prix à lui inculquer la honte de son corps de femme, tant dans cette société très patriarcale comme dans d’autres c’est très souvent par les mères (puis les belles-mères), que se transmet le machisme le plus éculé. Son amour maternel est véritablement castrateur, proche de la perversité dans ses injonctions contradictoires intenables et souvent délirantes. Hala découvrira pire que « la mère », en la personne de la mère de celui que les deux matrones ont choisi comme époux arrangé. Il faut voir comment l’investissement pathologique maternel sur le rejeton mâle génère de la reproduction humiliante tant pour les femmes que pour les hommes.

En toile de fond, on a un tableau de la vie dans ce petit pays tellement fragmenté entre des communautés religieuses crispées sur leurs prérogatives qu’il en devient une proie facile pour toutes les puissances qui veulent le piller en l’occupant militairement (la Syrie, Israël…) ou diplomatiquement et économiquement (Etats-Unis et France en tête) ; mais ce tableau se limite au milieu social et religieux de Hala. La guerre s’invite souvent aux portes du quartier et de la maison, les obus passent littéralement au-dessus de la tête des enfants qui semblent le vivre avec une certaine fatalité d’habitude, voire un certain détachement. Un aspect d’ailleurs très intéressant de ce roman c’est le parallèle que Hyam Yared tisse entre la soumission imposée au Liban et celle imposée aux femmes. Et l’on découvre le poids des tribunaux religieux— il y en a des spécifiques pour chaque communauté religieuse— une impressionnante mécanique juridique réactionnaire chargée de régler tout ce qui relève de la vie civile et personnelle des citoyens, en leur imposant une morale aussi intransigeante que liberticide.

Enfin l’écriture est très réussie, vive, très précise, avec des formules choc.

« Je compris que les bonbons étaient un détail et que les mères momifiaient les corps des filles avec du silence. » / « Puis elle m’a aimée du mieux qu’elle a pu, c’est-à-dire avec la haine inconsciente d’elle-même. » / « Avec le temps, j’appris à dire Non en me taisant et entrai dans le cercle infernal de ceux qui prennent du poids en ravalant le langage. » / « Après avoir été inspectée en présence des soldates du patriarcat—dans chaque famille il y a au moins une Tante Violette, une mère, une marâtre (…) » / « (Après la naissance de sa fille, lors des visites de femmes à la maternité) ça gloussait, ça piaillait, ça s’exclamait avec une admiration dépitée devant la beauté d’une ‘fille-hélas’, mot composé prononcé à moitié. Le ‘hélas’ ne s’énonce pas. Il se voit. Dans un regard, un silence, une grimace, un arrêt cardiaque. »

Quant à la chute, elle est particulièrement marquante.

Réflexion sur la sexualité et au-delà la corporéité, sur le langage, l’amitié, la transmission et le poids de la famille, sur ce monde aussi fracassé que le Liban à peine d’hier (les années 80 à 2000) mais sans doute encore d’aujourd’hui, dans une très belle langue, ce roman est une très belle découverte.

Commenter  J’apprécie          31
Sous la tonnelle

« Sous la tonnelle » raconte l'histoire d'une jeune femme libanaise, en instance de divorce d'avec Faiçal, éprise d'indépendance dans un pays déchiré par la guerre et où la tradition familiale encadre sévèrement les émois et désirs de liberté des jeunes. Repliée dans le boudoir de sa grand-mère juste décédée, lors des trois jours traditionnels de veillée funèbre, elle feuillette petits papiers et lettres laissés par l’aïeule au fond des tiroirs. Et seule, méditative, elle fait revivre la lignée des femmes de cette famille, jusqu'au moment où son père vient la tirer de ses lectures : un homme est là qui demande à voir sa grand-mère.

Jeune, avec l'accent marseillais, il vient lui remettre un épais dossier qui a lui été confié par l'émissaire de son père, Youssef, ou Joseph. Père inconnu, enfui en Amérique du Sud, mère slave, un peu perdue dans le Paris de 1968. Le dossier contient tout un pan de vie de la grand-mère de la narratrice, un pan de vie aussi de Youssef. Ces deux-là ont été amoureux, d'un amour platonique, fou et romantique. Amour impossible pour la grand- mère qui a juré fidélité absolue à son mari mort, amour interdit pour Youssef qui a trahi la pureté de cet amour en ayant une furtive aventure avec la jeune Slave, Luludja.

Quelques pages consacrées à des personnages secondaires sont émouvantes et empreintes d'un romantisme aux couleurs pastel : Rose, la concierge parisienne, sous le charme de ce beau Levantin qui guette des lettres forcément d'amour avant de disparaître mystérieusement, Luludja, jeune femme éperdue qui vit sa vie à deux cents à l'heure, d'avortement en avortement avant de garder le petit de la dernière chance, à l'aube de la quarantaine. Les coups de foudre de Melkon pour Rachel, malgré la différence de religion et les mauvaises réactions des deux familles, puis celui de Youssef pour la grand-mère de la narratrice, sur le pont d'un bateau quittant le Proche Orient pour l'Europe.

Bien sûr, l'attention se focalise sur ce dernier personnage, femme intelligente et déterminée qui refuse de quitter sa maison à la limite entre Beyrouth-Est et Beyrouth Ouest, qui parvient à se faire accepter des deux partis opposés, variables selon l'époque, dans une confusion politique totale. Femme amoureuse et fidèle à sa parole, femme troublée et qui se laisse conduire par de tendres sentiments, femme de tradition qui exprime toute la sagesse d'un peuple au travers de contes, d'aphorismes et de proverbes. Femme douce et sensible qui sait transmettre l'essentiel à sa petite-fille.

Les arrière-plans sociologiques et politiques sont intéressants, qu'il s'agisse du Liban au fil des guerres traversées par ce minuscule pays toujours plus ou moins pris en otage par ses voisins, qu'il s'agisse du Paris des émeutes de mai 68, ou bien des diktats des exigences familiales au Proche Orient quand il est question de mariage, de dot, d'intérêts familiaux.

Ce roman est un foisonnement, un tableau multiple, une approche de personnages vivants et attachants. Un excellent moment de lecture quoique, parfois, on peine à s'y retrouver au milieu de tous ces acteurs !
Commenter  J’apprécie          30
L'armoire des ombres

Curieuse aventure, une comédienne doit se présenter à un casting et obtenir le rôle principal, c’est sa dernière chance de payer son loyer et son amie Yolla ne lui laisse pas le choix: c’est passer le casting ou rompre une amitié précieuse. Jusqu’ici rien de bien bizarre, sauf que lors du casting, la comédienne est sommée de laisser son ombre à l’ouvreuse, bien roulée dans un sac. Nous sommes à Beytouth en 2005 et les manifestants sont partout, leurs clameurs forment un arrière-plan sonore à la pièce qui se joue sur scène.

Curieuse pièce, dans laquelle une seule actrice doit dire un texte non écrit, devant un public qui manifeste ses attentes et ses émotions jusqu’à l’ovation finale. Sur scène, une chaise, une armoire dont la comédienne sort des ombres qu’elle déplie et on reconnaît des femmes, Yella, Greta la prostituée au foetus mort, Mona, la femme battue ( la femme bleue, comme le voile bleu de sa mère, mais elle c’est à force de coups de son mari) qui va accoucher là, la mère de la comédienne avec qui elle entretient des rapports difficiles sur fond d’exigences redoutables, virginité, soumission, peur du scandale. Et puis les hommes, ceux qu’elle a aimés, mari, amant, père, ceux qui l’agressent. L’armoire des ombres contient tout ce qui fait la vie de cette étrange femme, jusqu’au vertige, la confusion des êtres, les personnages se fondent les uns dans les autres, les ombres se replient, on croit s’en être débarrassé mais sur le mur reste en décalque leur forme, encore bien visible. Comment la comédienne va-t-elle retrouver son intégrité physique et mentale? Finira-t-elle comme le metteur en scène, curieux personnage aux cheveux longs mais dépourvu de visage, qui l’a recrutée pour cette étrange mission?



Autant dire qu’il y a de quoi être déconcerté par ce qui ressemble de prime abord à quelque chose d’absurde mais ô combien poétique et, finalement, chargé de message. Hyam Yared dénonce avec légèreté les aspects graves et lourds de la politique au Liban, le poids de la tradition et la solution qu’elle finit par choisir comme échappatoire est aussi désespérée que poétique.

Commenter  J’apprécie          30




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Hyam Yared Schoucair (144)Voir plus

Quiz Voir plus

🐱 Citation, expression ou proverbe sur le chat 😺

Une ... de chat ?

Journée
Vie

14 questions
270 lecteurs ont répondu
Thèmes : chats , proverbes , expressionsCréer un quiz sur cet auteur

{* *}