Igal Shamir

- Eve a rendez-vous avec le cardinal. Et ni l'un ni l'autre ne pourront répondre à ton invitation.
- Que veux-tu dire ? Ils partent ensemble en voyage ?
- Pour un aller sans retour, et ils me laissent tous les deux orphelin. J'ai découvert les assassins de Schultz et de Rossi. J'ai gagné ma bataille. Mais j'ai perdu mes amis.

- Le diable répète le cardinal de Morillon, un sourire en coin, en jetant à Gal un regard oblique. On peut interpréter les choses de cette façon, bien que ce soit faire trop d'honneur à Hitler.

- Et moi qui pensais que c'était pour mes beaux yeux, s'exclame Gal qui vient de reconnaître la phrase codée.
.../...
Que s'est-il passé pour que tu contactes le Service après quinze ans de silence ?

Il venait de jouer pour ses morts.Des compositions qui n'étaient rien d'un Requiem mais qui, sous son archet,en prirent presque la couleur.(....) Et comme à chaque fois,Gal n'en revenait pas,émerveillé qu'un aussi petit instrument que son violon produise un tel effet.Il était fourbu mais ne pouvait ni ne voulait s'y soustraire.La musique et le public étaient toute sa vie et se révélaient d'autant plus précieux en période troublée,en période de deuil .


Cet homme n'était pas venu en mélomane,il était venu en assassin.



Le son avait cette faculté rare d'émouvoir,d'attendrir,d'encourager,d'ouvrir les coeurs,de rendre meilleur,d'exciter,de guérir les âmes,mais aussi parfois les organismes...avec ces fréquences qui, comme à Jéricho,pouvaient également abattre des murailles .....

- Il a peut être voulu ne pas plonger seul?

Personne ne se méfiait d'un violoniste.
A tel point qu'il avait fini par comprendre que les services de renseignements l'avaient laissé filer, et même encouragé à quitter la chasse israélienne pour embrasser une carrière de violoniste.
Pour mieux le récupérer ensuite. Des pilotes de chasse on en trouvait, mais des virtuoses prêts à servir leur pays étaient une denrée beaucoup plus rare.
Le jour où cette réalité lui avait sauté aux yeux, il a eu la désagréable impression d'avoir été, depuis le début, instrumentalisé.

— Alors tu as une demi-heure pour préparer tes affaires. Ce soir tu joues devant des huiles dans un château en pleine campagne française. C’est moi qui t’y emmène.
— Mais...
— Pas de « mais », Gustav, l’interrompit-il avec une autorité qu’il ne lui connaissait pas. Et ne pose pas de questions, je serais dans l’incapacité d’y répondre. Dis-toi seulement qu’il s’agit d’une occasion unique pour ta carrière. Et que c’est pour la raison d’État que tu joueras ce soir.

Comme chaque fois, les jeunes violonistes ont joué un à un le morceau qu'il leur avait demandé de préparer la semaine précédente. Tous sont sympathiques et talentueux, mais pour le professeur, l'essentiel leur manque : le sens inné du violon. Un équilibre indéfinissable, comme le charme d'une femme. Il rêverait de les détourner d'une voie trop scolaire, en leur dessillant les yeux, en leur inculquant la nécessité de s'ouvrir au monde, d'oublier ce qu'ils ont appris pour mieux revenir ensuite au violon.

Un instant son regard est attiré par le jeu de deux mouettes qui luttent avec le vent. Suspendues entre le ciel et l'eau, elles montrent une vivacité et une grâce qui lui rappellent la caresse de l'archet sur le violon.

La petite synagogue se dressait devant lui. Il appuya sur la poignée. La porte céda et il la referma derrière lui avant de descendre les trois marches.
.../...
- Gal Knobel, vous voilà enfin... Ça faisait longtemps que j'attends ce moment.
La voix venait du fond. c'était bien celle du rabbin à la barbe jadis rousse qui s'avançait à sa rencontre. Il paraissait beaucoup plus âgé que la dernière fois, plus petit, plus voûté. Était-ce une illusion ? Il émanait de l'endroit une atmosphère de profond recueillement. Gal sentait le moment important, l'heure de vérité. Et pourtant, il n'avait toujours aucune idée de ce qu'on lui avait préparé.
Sans doute parce qu'il n'osait l'espérer.
- Soyez le bienvenu, dit le rabbin en lui serrant les deux mains avec effusion.

Il s’agit du 42ème poème de Michel-Ange. Quel pourrait être le lien entre Michel-Ange et le secret de fabrication des Stradivarius?̋

Ne sommes-nous pas tous à la recherche du son?

- Dites-moi, vous utilisez votre violon comme une arme ! dit-il à Gal en lui donnant une poignée de main ferme.
Le violoniste éclata de rire. Le cardinal était le premier à oser cette comparaison, mais c'était juste. Son violon était une arme pacifique, inoffensive, mais beaucoup plus efficace que tous les fusils d'assaut.

D'une ultime caresse de son archet, Gal Kobel émit la note finale. La musique se tut. Le silence qui suivit ne dura qu'une poignée de secondes, instant d'éternité suspendue, avant que retentisse un tonnerre d'applaudissements. Comme un seul homme, le public s'était dressé. Quelques sifflements enthousiastes s'élevaient tels des trilles par-dessus ce grondement qui n'en finissait pas. Surpris par ce déchaînement, ému et vidé, un rien désemparé, seul sur scène, son violon pendant le long de sa jambe gauche, Gal regardait la salle sans vraiment voir ces centaines de visages tendus vers lui et cette écume de mains qui engendraient ce vibrant hommage.

Avez-vous déjà remarqué qu'il est plus facile de faire parler les morts que les vivants ?

Depuis le début Gal a le sentiment d'être baladé comme un enfant. En matière de persuasion, à côté du cardinal, Emilio Pardi n'est qu'un enfant de coeur. Ce qui n'est pas peu dire.