Inaam Kachachi
Interview de la romancière d'origine irakienne
Inaam Kachachi pour son roman "Si je t'oublie Bagdad", paru aux éditions Liana Levi, avec sa traductrice Ola Mehanna.
Etais-je une hypocrite, une Américaine à double visage ? Ou bien une Irakienne temporairement en sommeil, comme ces espions dormants qu’on infiltre des années à l’avance en territoire ennemi ?"
Un pays incomparable frappé par la malédiction et devenu sauvage. Elle prie pour lui, mais le ciel ne répond pas. Son ciel clément et tendre qui ne l'a jamais déçue auparavant. Ne sont-ils pas rassasiés de sang ?
La mort a de nous la nostalgie.
Elle traverse les continents pour venir nous voir,
les paniers de feu entre ses mains.
Dunya Mikhaïl
Au fond je l'aime, ce chagrin qui me transperce, j'apprécie la douceur de ses galets quand je plonge de toute mon âme nue dans son torrent, et pour rien au monde je ne voudrais libérer mes épaules de ce fardeau. Mon chagrin magnifique qui me persuade que je ne suis plus une Américaine ordinaire, mais une femme aux racines différentes, aux origines profondément ancrées dans l'Histoire. Comme quelqu'un qui tiendrait enfermé dans sa main le charbon ardent d'une vie à nulle autre pareille. […] De ce jour-là, j'ai accepté de vivre avec l'idée que je souffrais de cette maladie qu'on appelle le chagrin et de m'en accommoder sans lui chercher de remède.
Du reste, comment pourrais-je
Combattre la maladie
Qui m'a fait renaître,
Qui m'a bercée,
Qui m'a fait grandir,
Qui m'a élevée,
Et m'a inculqué, en fait de valeurs,
Les plus belles qu'on puisse imaginer ?
"La vérité c’est que les Irakiens considèrent mes camarades comme des occupants, des soldats qui accomplissent leur service militaire et exécutent les ordres – bref qui ne sont pour rien dans la décision de lancer cette guerre. [...] Tandis que moi, ils me considèrent comme une collabo."
De son côté, il n'avait rien à cacher. L'armée du Mahdi n'est pas différente des armées classiques, des factions, des milices populaires d'autrefois. La foi ou l'idéologie, c'est pareil, et le mollah n'est pas différent du chef militaire. Chacun s'abrite derrière une collectivité.
Mais « Abou Ghraïb » n'avait rien à voir avec le Pont de la rivière Kwaï. Et le manquement à l'honneur militaire, en l'occurence, n'était plus seulement l'affaire des hommes, mais aussi celle des femmes. Ces images m'ont plongée dans une rage folle et ont laissé en moi une blessure purulente. D'où sortait cette salope capable de tirer un prisonnier en laisse comme on traîne un chien ? Qui l'avait recrutée dans notre armée ?
(…) Mais les amis, cette torture-là, c'est de la petite bière par rapport à celle qui se pratiquait dans les prisons baassistes.
_ Eh, Chikho... ferme ta gueule, ça vaut mieux !
_ Mais quoi ? Pourquoi z'êtes contrariée, M'ame Zeina ?
_ Parce que notre job en venant ici, c'était pas de remplacer une torture par une autre.
_ La soeur est originaire d'où ?
_ Je suis américaine.
_ Pourtant vous avez l'accent de Bagdad.
_ C'est vrai, j'y suis née.
_ Alors pourquoi vous travaillez avec les occupants de Bagdad ?
"A priori, un mot écrit me paraît trop faible face à une balle. La littérature, oeuvre de création et de beauté, peut-elle vaincre la violence, oeuvre de terreur et de vilenie? (...)
Sans l'écriture, la pauvreté eût pu être spirituelle aussi.
C'est cela qui m'incite, nous incite, à persévérer dans la voie de l'écriture, acte humain qui protège du vent noir et inhumain de l'extrémisme. Je rêve encore qu'un extrémiste, me lisant, se remette en question."
Il prétendit que la peur était une sagesse et une connaissance, que seul un ignare ignorerait la peur.