Il préférait encore qu'on le pense immature et stupide plutôt qu'on comprenne que ses rires n'étaient qu'un moyen de s'oublier.
— Le monde va mal, c'est vrai. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Pour tout vous avouer, je doute parfois qu'il y en ait un, de demain. Mais en attendant nous sommes là, vous, moi... Et si le monde va mal, tant pis, nous irons bien sans lui.
En baissant les yeux, il croisa sa propre image dans un miroir terni et l'espace d'un instant – bref et terrifiant instant – ne se reconnut pas. Qui était ce monstre tapi au fond d'une grotte, si cruel, si indifférent au sort d'autrui ?
Il referma la porte, plongeant de nouveau son laboratoire dans les ténèbres.
Le monstre, bien sûr, c'était lui.
Les monstres ne venaient pas de la forêt. Les monstres, c'étaient eux-mêmes.
—Pour l’amour des fées, Éric, tais-toi ! râla Nyl. Ça fait trois nuits que nous sommes sortis de la forêt, trois nuits que tu chantes sans interruption et, étrange coïncidence, trois nuits que je résiste à la tentation de t’étrangler !
— [...] À dix-sept ans, il s'est déguisé en femme pour participer incognito à une course de frégates autour de l'île.
— Et alors ?
— Il a fini dernier, il ne savait pas naviguer.
— Tu me laisserais être ton ami, Silas ?
— Ce n'est pas une bonne idée, souffla-t-il. Tu ne sais rien de moi...
— Je sais ce que j'ai vu, et ça me suffit. En plus, tout le monde mérite un ami, non ?
Mais tout le monde ne te mérite pas, songea le chasseur en hochant la tête.
Le muet lui renvoya un regard étrange, lointain, comme s'il s'était retiré au fond de lui-même. Abysse avait déjà vu des yeux semblables. Dans son miroir, le plus souvent. Les yeux de quelqu'un qui cherchait à construire des murs pour se protéger.
L'idée de ne plus se souvenir de lui était plus douloureuse que celle de l'avoir perdu.
Toute la puissance du monde ne peut sauver un idéal corrompu.