Ishmael Beah: 2014 National Book Festival
Si on vole et qu'on est pauvre, là on est un voleur. Si on est un politicien, on est juste corrompu.
Il médita sur les avantages incontestables de ces appareils - l'incroyable vitesse à laquelle ils transmettaient des informations - mais aussi sur leurs inconvénients. La conversation entre pauvres n'était plus gratuite, ni aussi plaisante qu'avant. Quand quelqu'un vous appelait, il parlait tellement vite, et vous aussi, préoccupés par la durée de vie de votre batterie ou le manque de fiabilité et le coût du service. Les gens ne prenaient plus le temps de se demander : "Comment vas-tu, et la famille ? Les enfants se portent bien ?", ou s'ils le faisaient, ils n'attendaient plus la réponse.
VENEZ DÉ-COLONISER VOS OREILLES DEMAIN
LES REFLEXIONS DE CHADRAC LE MESSIE
SUR LE JOUR DE NON-INDEPENDANCE
AU KIOSQUE DE LA PLAGE
Heure : midi-minuit
Prix : gratuit comme devrait l'être la liberté.
Même la brise chaude et le paysage familier se changèrent en un paradis où le temps ralentissait au rythme de leurs rires, de leurs gestes, ponctué par la musique des vagues qui s'écrasaient au loin.
Les oreilles de la nature semblaient à l'écoute, dans l'attente d'un claquement. Peu à peu, les bruits de pas de la survie et du malheur se perdirent dans le lointain. La journée touchait à sa fin.
A la fin, l'animateur radio avait fait une annonce : Aujourd'hui, nous débattrons pour savoir s'il faut traiter nos politiciens de corrompus ou de voleurs. Quand on vole du riz sur le marché, on est un voleur, non ? Rejoignez-nous dans la matinée et appelez-nous pour prendre part à la conversation. Et maintenant, retour à la musique avec notre superstar du reggae et sa nouvelle chanson : "Mister Politicorruption" , ou "Tu n'es pas digne de te faire appeler mon leader".
Les deux filles passèrent devant une file de Toyota délabrées dont le moteur agonisant crachait de la fumée noire. Les voitures elles-mêmes étaient une autre illustration du patchwork qu'était Freedom Town, pensa Khoudi, un patchwork rappelant à chacun sa position sociale et offrant un avant-goût des choses inatteignables qui n'en suscitaient pas moins la convoitise, et dont on ne pouvait s'empêcher de rêver.
Leurs visages s'illuminèrent quand elles se virent. Puis Namsa passa le bras autour de la taille de son aînée et leva les yeux vers elle, son petit visage anguleux n'arrivant même pas à hauteur des épaules de Khoudi. Elles firent le reste du chemin comme cela, Namsa sautillant parfois, leur corps effleurant les branches de chaque côté.
Chaque année pour la fête nationale, et d'aussi loin que Khoudi se souvienne, les protestations s'amplifiaient, les gens étant de plus en plus conscients de l'ironie qu'il y avait à célébrer des libertés n'existant que sur le papier.
Parfois, elle éprouvait au plus profond de son être le besoin d'être seule, de se comprendre seule, de voir comment les autres réagissaient face à elle, ceux qui ne la connaissaient pas. Mais Namsa était trop petite pour comprendre.