Jacques-Philippe Leyens

[...] l'étude de cas est plus convaincante qu'une foule de statistiques.

[...] l'étude de cas est plus convaincante qu'une foule de statistiques.

On s'est aperçu que lorsque les interviewers interagissaient avec un candidat noir, ils étaient plus distants au niveau spatial et commettaient davantage d'erreurs d'élocution que lorsqu'ils interrogeaient un candidat blanc. Les candidats noirs, eux, se montraient nettement moins performants que les Blancs.

[...] lorsque les gens ne peuvent exercer un contrôle cognitif sur leurs croyances, à cause du caractère subliminal de la présentation des stimuli, ils se laissent prendre au piège de la catégorie et du contenu qu'ils ont entendu seriner depuis leur plus tendre enfance.

Le modèle de la comparaison sociale joue quand les autres sont des inconnus. Les gens n'osent pas se regarder franchement. Chacun attend que l'autre prenne l'initiative. Cette gêne est absente quand les gens se connaissent ; on se regarde, on se parle, et on réagit rapidement. Laissez-nous vous donner un conseil... Si un jour vous vous retrouvez témoin d'une situation d'urgence en même temps que d'autres personnes que vous ne connaissez pas, plutôt que de regarder chacun comment l'autre réagit, parlez-vous ("Tiens, il semble y avoir un problème. Comment on fait ? OK, vous, monsieur, allez réconforter la victime, moi, j'appelle les secours.").

[Expérience de Milgram]
Ceux qui, par contre, allaient jusqu'au bout, et on vous prie de croire que la plupart y arrivaient en dépit de souffrances morales à peine tolérables, incriminèrent soit l'expérimentateur - "Il était responsable et je ne faisais qu'obéir" - soit la victime "Que voulez-vous, il était tellement idiot qu'il ne commettait que des erreurs !" De ces derniers sujets, la majorité adhérait, comme les psychiatres, à la théorie implicite selon laquelle l'homme est profondément bon et raisonnable ; c'était leur adversaire, "idiot", qui ne respectait pas la théorie ! Dans notre fauteuil, qu'il est facile d'être psychologue et de prédire que nos qualités morales, à nous, nous interdiraient d'obéir !

Le besoin de retrouver un sentiment de contrôle (ou une illusion de contrôle) est particulièrement présent chez des personnes confrontées à la maladie ou à des événements de vie difficiles. On observe que des personnes victimes de viol ont tendance à s'attribuer une partie de la responsabilité de ce viol (emprunt d'un chemin peu sûr, vêtements que l'on portait, etc.). On peut y voir une tentative de retrouver du contrôle sur l'événement traumatique, et sur le fait qu'un tel événement ne se reproduise pas. L'attribution à soi-même peut-être bénéfique car le soi est contrôlable alors que le hasard ou le comportement violent et délictueux d'autrui ne le sont pas.

Notons que les psychanalystes donnaient davantage d'explications dispositionnelles quand ces problèmes hypothétiques concernaient leurs clients ou leurs amis, et davantage d'explications biologiques quand ces problèmes hypothétiques les concernaient eux-mêmes.

Engager à tort une causalité interne, c'est faire preuve d'une illusion de contrôle. Les exemples abondent. Plus un professeur contrôle un élève, plus il aura tendance à estimer que les performances de l'élève sont bonnes. Avec le temps, toutefois, le professeur aura tendance à déprécier cet élève qui mobilise son temps et l'élève deviendra passif, ce qui exigera un surcroît de contrôle ; on voit apparaître le cercle vicieux.

Engager à tort une causalité interne, c'est faire preuve d'une illusion de contrôle. Les exemples abondent. Plus un professeur contrôle un élève, plus il aura tendance à estimer que les performances de l'élève sont bonnes. Avec le temps, toutefois, le professeur aura tendance à déprécier cet élève qui mobilise son temps et l'élève deviendra passif, ce qui exigera un surcroît de contrôle ; on voit apparaître le cercle vicieux.

Au niveau du langage, les qualités de l'endogroupe seront formulées en termes plus abstraits, suggérant la stabilité, que ne le seront celles, davantage concrètes, de l'exogroupe. L'inverse se produit pour les défauts ; nous sommes courageux et les autres se sont bien défendus. Ils sont agressifs et nous commettons parfois des irrégularités.

Ce biais dans nos attributions nous permet de protéger notre estime de soi. On parle de biais d'estime de soi ou de biais de complaisance. D'ailleurs, on observe chez les personnes déprimées la tendance inverse : elles attribuent leur succès à des facteurs externes, éventuellement instables, et leurs échecs à des causes internes stables.

La plupart du temps, nous avons tendance à expliquer nos succès par de causes internes et stables (par exemple l'intelligence) et nos échecs par des causes externes et instables (la mauvaise humeur du professeur).

Les recherches montrent que l'empathie à l'égard des malades diminue avec l'avancement dans les études. Plus on est diplômé, moins on est empathique ? Peut-être est-on blasé ? Il est intéressant de comparer les réactions neurologiques des médecins et des gens n'ayant rien à voir avec la médecine face au spectacle d'individus soit piqués par des aiguilles d'acuponcture, soit touchés par des cotons-tiges. Contrairement aux autres personnes, les médecins ne réagissent pas face aux piqûres. Les spécialisent croient que les médecins inhibent leur réaction d'empathie, mais leur grande question reste de savoir si cette inhibition est consciente ou inconsciente.

Le voile islamique [...] est un excellent exemple. Le port de ce voile, notamment à l'école, est apparu comme un signe allant à l'encontre de la laïcité en France ou de la neutralité en Belgique, ainsi que come un signe de soumission de la femme. Le lecteur se rappellera que je m'oppose à l'interdiction du voile. Il est curieux de voir qu'auparavant les signes religieux chrétiens ou hébraïques étaient acceptés et ne menaçaient en rien la laïcité ou la neutralité. Pour dissimuler le racisme tapi derrière son interdiction, on a étendu cette dernière à tous les signes religieux trop affirmés. Comme si le danger du voile, et sa signification, résidait dans sa superficie et comme si la soumission de la femme n'existait pas en dehors de l'islam et prenait nécessairement la forme d'un voile ! Les pays musulmans sont ainsi souvent infrahumanisés à cause des symboles qu'ils véhiculent et qui sont vécus davantage comme des armes que comme des valeurs.

En se réfugiant dans notre pays, les sans-papiers ne nous nuisent en rien, mais apportent des valeurs et des coutumes qui, à tort ou à raison, sont vécues comme des menaces symboliques dont notre groupe se protège par l'infrahumanisation.

De même, les disputes entre groupes dominants et dominés ont souvent une base idéologique. Les plus forts justifient leur puissance par une justice quasi immanente qui récompenserait leurs efforts et compétences, et s'opposerait à la décontraction et au laisser-aller des membres des groupes dominés. En effet, de nombreuses personnes fonctionnent avec l'idée que le monde est juste et que les gens reçoivent ce qu'ils méritent.

Dans la menace symbolique, c'est davantage ce que représente l'autre plutôt que ce qu'il fait qui est dangereux. Lorsqu'un autre groupe arrive avec des valeurs différentes, des coutumes vestimentaires ou alimentaires différentes, etc., il peut être perçu comme une menace dans la mesure où les valeurs et coutumes étrangères risqueraient d'être "contagieuses" ou "insidieuses". Beaucoup de gens vivent l'arrivée d'immigrants comme une menace symbolique. Pour ces gens, les immigrants ne constituent pas une menace réaliste parce que leur niveau de qualification serait jugé trop inférieur, mais leur façon de se comporter dans la vie de tous les jours et les valeurs qu'ils représentent sont ressenties comme un danger. Les relations entre groupes peuvent donc être vécues comme une poudrière sans, momentanément, d'étincelle.

Si les enseignants sont convaincus de l'incompétence inhérente à certains enfants, pourquoi devraient-ils perdre leur temps avec eux, alors que tant d'autres méritent l'attention et sont capables, eux, d'en profiter ? Les laissés-pour-compte ne sont pas insensibles aux réactions qu'ils provoquent et ne restent pas inactifs. Pourquoi faire attention en classe puisque le professeur ne s'intéresse pas à ce que je fais ? Pourquoi faire des efforts puisque mes réussites sont taxées de chanceuses (ou de copiages) et mes échecs accompagnés de sourires entendus ? A la limite, abandonner l'école dans un tel contexte est peut-être une réaction saine. Continuer à être "la tête de Turc" (une expression typiquement raciste) diminue le bien-être et l'estime de soi des victimes. Ils se considèrent comme des bons à rien. Quitter l'école pour montrer qu'ailleurs on vaut quelque chose, c'est échapper à cette spirale négative et protéger son estime de soi, voire la renforcer. C'est le problème que rencontrent beaucoup de jeunes étrangers des banlieues et de Noirs américains, et qui entraîne une désidentification avec le domaine scolaire, au profit par exemple de l'athlétisme, et même un désengagement, un abandon de l'école. Ces stratégies peuvent amener les Noirs à avoir une estime d'eux-mêmes égale et souvent supérieure à celle des Blancs.

Si les stéréotypes existent pour faciliter les échanges entre groupes, il devient banal d'observer qu'ils sont chargés de valeur. Si l'on veut interagir efficacement, peu importe de savoir en quoi les autres sont ternes et incolores. Ce qui est indispensable, c'est de savoir ce qui est vraiment bon et vraiment mauvais. C'est là que sont le plaisir et le danger ! Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les stéréotypes soient éminemment évaluatifs. Puisqu'existe un processus normal d'accentuation des différences entre groupes et que le favoritisme de l'endogroupe contribue à la survie, ainsi qu'on l'a vu dans le chapitre précédent, il en découle que les stéréotypes employés pour les autres groupes seront moins favorables que ceux que l'on s'attribue.