Citations de Jacques Tardi (519)
Je te veux en vie pour toujours à moi seule. C'est ignoble tout ce temps perdu donné à la guerre et à la mort alors que nous pourrions vivre heureux même pauvres. C'est peut-être parce qu'on est pauvre que la guerre est pour nous...
Si tu savais mon Pierre comme il y a tellement d'embusqués à Paris, des jeunes fils de riche qui n'ont pas l'air malade. C'est pas juste et nous deux qui voulons du mal à personne ni aux boches ni aux autres. Je t'écris pendant la pause je suis en bonne santé et je désire avec plaisir que ma lettre te trouve de même à son arrivée.
Ton Edith qui te serre très fort contre son cœur. Je t'aime de tout mon cœur. Edith.
Maman, qui portait un vilain bitos* à la con, m'a serré contre sa grosse poitrine et j'ai bien failli mourir étouffé. Après ça, elle m'a expliqué, les yeux mouillés de larmes et avec des sanglots dans la voix, que si elle avait été opérée deux fois et beaucoup souffert, c'était à cause de moi. Ma naissance avait été difficile... Comme je ne voulais pas sortir, il avait fallu y aller aux forceps. J'avais tout déchiré sur mon passage ! [...]
Elle ne pourrait plus avoir d'enfants, elle qui aurait tant voulu une petite fille, plutôt qu'un garçon, parce que les filles, c'est plus gentil avec leur maman... J'ai écouté sans broncher toutes ces conneries et ça ne faisait que commencer !
* chapeau
La raison pour laquelle Georges file ainsi sur le périphérique avec des réflexes diminués et en écoutant cette musique-là, il faut la chercher surtout dans la place de Georges dans les rapports de production.
Le fait que Georges ait tué au moins deux hommes au cours de l’année n’entre pas en ligne de compte.
Ce qui arrive à présent arrivait parfois auparavant.
Page 5, Futuropolis, 2010.
ça nous faisait énormément plaisir de voir tout ce matériel réduit à néant. Nous ne pouvons, bien sûr, pas imaginer que les industriels qui avaient si efficacement œuvré pour les nazis - utilisant, quelquefois dans des conditions effroyables - des esclaves P.G. et autres - n'allaient pas être inquiétés par les vainqueurs. Loin de là ! Renfloués après guerre par l'aide économique du plan Marshall, ils allaient se reconvertir et produire automobiles, motos, camions, réfrigérateurs, outils, machines à laver et bien d'autres "merveilles technologiques" qui allaient faire la réputation de l'industrie allemande jusqu'à aujourd'hui ! ... Robustesse et fiabilité !
Comment était-ce possible ? La meilleure armée du monde ! ... Avec, à sa tête, les chefs les plus intelligents qui soient... L'armée française, l'armée du pays des superlatifs, du pays du bon goût, où tout est mieux et meilleur qu'ailleurs ! Que s'était-il passé ? Comment ces sinistres bouffeurs de choucroute mal dégrossis avaient-ils pu nous infliger une telle déculottée ?... à nous ?!
C'est te dire à quel point nous nous pensions supérieurs et invincibles.
La première armée du monde avait cessé d'exister.
Oui, drôle d'histoire ! Même pas bonne à faire un mauvais roman...Trop compliquée ! On n'y comprendrait rien.
En Italie, après la prise de Monte Cassino, la Wehrmacht plie bagage. C'était au mois de mai de l'année dernière. Les soldats du corps expéditionnaire français se déchaînent. Femmes, hommes, enfants de 8 à 86 ans sont violés. Le nombre de victimes varie de 2.000 à 60.000 (selon les sources) !! Le général Juin, le héros de Monte Cassino, qui commande le corps expéditionnaire français, laisse faire. Au bout de neuf jours, il ne finira par mettre un terme à ces crimes de guerre qu'à la demande répétée des Alliés. Quelques soldats seront fusillés sans jugement.
"Les Tommies, eux non plus, n'étaient pas mécontents du déplacement. "Dieu est mon droit" contre "Dieu est avec nous"...Obligatoire que ça finisse mal ! Mais qui pouvait bien être ce Monsieur Dieu ? Encore un de ces faux-culs qui bouffent à tous les râteliers ! "Chacun pour soi et Dieu contre tous " : la voilà la vraie formule magique pour les petits enfants !"
Vraiment aucune raison de mourir pour aucune patrie quelle qu'elle soit !... Voilà ce qu'il pensait, Binet.
Les sammies qui avaient apporté des machines à écrire, des baignoires, du savon, des tondeuses à gazon, des ambulances, des médicaments pour soigner la chtouille et des trains, mais pas un seul canon, pas d'avions, ni chars ni mitrailleuses, se battaient avec notre matériel et celui des Anglais.
Sénégalais, tes ancêtres les Gaulois sont fiers de toi. Tu as froid et tu meurs pour la France.
Les Anglais tenaient à ce que les peuplades de leur empire colonial - qu'ils aveint "éduquées" et auxquelles ils avaient apporté les bienfaits inestimables de leur magnifique civilisation - participent un peu à leur guerre, ne serait-ce que par décence, histoire de rendre un petit service à leurs "bienfaiteurs"... Que les choses n'aillent pas toujours dans le même sens !
Les Boches vidaient les lieux, emmenant avec eux les détenus des camps de concentration, dans l'éventualité de pouvoir les utiliser pour d'improbables arrangements avec l'ennemi. Durant ces "marches de la mort", tous les prétextes étaient bons pour en abattre un maximum dans le fossé en dépit des ordres de Himmler. (p. 63)
- 'Soldat de l'Armée rouge, tu es maintenant sur le sol allemand, l'heure de la revanche a sonné !' pouvait-on lire sur les affiches. On démantèle des usines en totalité, les machines-outils sont envoyées en URSS. Les maréchaux de Staline ne savaient plus où donner de la tête pour satisfaire les commandes de Mercedes passées depuis Moscou. [...] Dans ce merdier, la 'deutsche Fräulein' n'est qu'une proie facile et sans protection. De 12 à 80 ans, 2 millions d'Allemandes ont été violées.
Il y a quatre mois, les Russes ont libéré Auschwitz. Il y a trois semaines, ils sont entrés dans le camp de Ravensbrück, situé au bord d'un joli lac, en face de la petite ville de Fürstenberg.
Ravensbrück, c'était un camp pour femmes. Il y en a eu jusqu'à 130 000 de diverses nationalités, dont des enfants... des politiques, des résistantes, des 'asociales', des prostituées et bien sûr, des femmes juives et tziganes. Dans les blocks du Revier, des expériences monstrueuses, inutiles et purement sadiques sont pratiquées sur les 'lapins' et aussi sur des bébés.
- Les lapins ?
- C'est le nom donné aux détenues cobayes, avortées, charcutées, amputées par les 'médecins' SS !
Tu peux imaginer le triste état dans lequel se trouvaient ces femmes... Eh bien, sitôt arrivées au camp, les Russes les ont violées... qu'elles soient enceintes, malades ou agonisantes !
(p. 38-39)
"Je pense que ces évènements sont fort heureux, il y a quarante ans que je les attends. La France se refait, et selon moi, elle ne pouvait pas se refaire autrement que par la guerre qui la purifie."
Alfred BAUDRILLART. Évêque.
Le Matin. 16/08/1914
Le 7 mars 1936, un samedi, Hitler était rentré en Rhénanie démilitarisée, se moquant bien de violer le Traité de Locarno. L’armée allemande de l’époque n’aurait rien pu faire contre l’armée française. Les Allemands eux-mêmes étaient conscients de leur faiblesse. Ils avaient même reçu l’ordre de reculer si nous étions intervenus. Mais nous n’avons pas réagi ! Nous avions l’occasion de provoquer la fin de Hitler et de l’Allemagne nazie, mais nous n’avons pas bougé.
Les poux pulullaient dans nos toisons crasseuses. Les allemands, qui n'avaient peur de rien, avaient quand même une peur bleue du typhus.
C’était étonnant qu’ils se soient laissés infecter par une autrement plus dangereuse vermine.
- Mon Dieu! …C’est un gosse! J’ai abattu un gosse habillé en soldat…mais comment a t-il pu arriver jusqu’ici et se balader entre les lignes avec un fusil?
- Les enfants aiment bien jouer à la guerre. C’est tout ce qui nous reste de notre enfance…jouer à la guerre.
Il n'y a pas de "héros", pas de "personnage principal", dans cette lamentable "aventure" collective qu'est la guerre. Rien qu'un gigantesque et anonyme cri d'agonie.
- N'ayant ni frère ni soeur, c'est moi qui étais en première ligne. Ma mère ne disait jamais rien. Ce cadre familial était étriqué, oppressant, médiocre et tendu en permanence. Tout ça n'a pas été étranger à mon envie de me faire la malle en m'engageant dans l'armée, en [19]35 !
- Papa, tu ne trouves pas que l'ambiance d'une caserne est ce qui existe de plus con au monde ?
(p. 9)