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Critiques de Jean-Claude Aubailly (4)
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Fabliaux et contes moraux du Moyen Age

LE RIRE MÉDECIN



C'est dans le nord de la France qu'ont pris naissance les fabliaux, jadis chantés ou récités par trouvères et troubadours dans les palais, cours seigneuriales mais aussi, fort probablement, dans les intérieurs de cette bourgeoisie des villes en pleine progression en cet effervescent XIIIème siècle, et sans doute aussi sur les place des marchés et de foires. Ils présentent les caractères d'une littérature "bourgeoise" d'alors : goût certain pour un comique que l'on qualifierait de grossier aujourd'hui, celui-ci pouvant se faire jubilatoirement macabre, une veine essentiellement réaliste mais régulièrement satirique de la vie quotidienne et de ses principaux acteurs, des soubresauts et une chute principalement humoristique (on y a souvent vu les ancêtres des sotties) ou morale (les "exempla").



Les fabliaux abordent ainsi les soucis de la vie quotidienne des gens de ce temps, ce qui les rendra très accessibles et particulièrement populaires, leur offrant même, sous des formes littéraires différentes, une certaine postérité littéraire. Ils présentent sans complaisance les principaux défauts humains - en tout cas, ceux le plus sujets à moquerie et à leçon en ce bas moyen-âge - et tournent en ridicule, parfois avec une certaine impétuosité, ceux qui le méritent : le prêtre ignorant et envieux, l'évêque honteusement enrichi et intéressé, le bourgeois stupide mais riche et avare, le paysan mal dégrossi et niais ou encore l'aubergiste courant après ses remboursements, chacun en prend pour son grade au fil de ces contes réalistes à la narration vive et au fil dramatique aussi efficace qu'il est souvent plein de rebondissements humoristiques.



Vengeance des petits à l'encontre de tous ceux qui peuvent leur être supérieur par leurs positions sociales, la ruse semble être le trait de caractère le mieux rétribué, encouragé, et il n'est pas rare de voir un clerc, intelligent mais sans le sous, un pauvre hère sans culture mais malin, un humble sans position mais astucieux comme renard (n'oublions pas que c'est le siècle de la création du célèbre "Roman de Renart") donner une bonne leçon à tel autre qui l'écraserait dans la vie réelle. Dès lors, les "morales" tirées par le conteurs de leurs historiettes ne sont pas toujours aussi moralisatrices qu'attendues, et c'est souvent avec surprise que l'on découvre un siècle parfois très éloigné de ce qu'avec anachronisme on pourrait qualifier de politiquement (et surtout religieusement) incorrect. Les êtres de ces temps lointains savaient très largement rire des défauts de leurs contemporains et se moquer des hypocrites, des envieux et des cupides sans aucune vergogne, quand bien même ces mauvais sires étaient affublés d'une mitre ou de la robe de bure.



Si les personnages n'ont guère d'épaisseur psychologique, si les scénettes sont très rapidement dressées, n'en disant au final que fort peu sur la vie quotidienne des prêtres, artisans, commerçants, pauvres ou encore nobles de l'époque, chacun de ces brefs moments d'humour, pas toujours très raffiné, rappelle par les manies, les défauts, tel ou tel détail exposés, le voisin que l'on connaît, le mauvais seigneur, le curé de village, le méchant bourgeois dont on évite le commerce. Ceci joint à une morale parfois "élastique", cette régulière revanche du faible sur le fort permirent au fabliaux de rencontrer un succès qui ne se démentit pas de toute la fin du bas moyen-âge jusqu'à une période avancée de la Renaissance à venir.



On retiendra par ailleurs que si nombre d'entre eux furent écrit de la main d'auteurs aujourd'hui retombés dans l'anonymat le plus complet, certains fablel, comme les nommait indifféremment l'un de leurs premiers créateur, nous ont laissé des noms que la postérité a sus, plus ou moins, entretenir jusqu'à nous : Jean Bodel, Rutebeuf, Adam de la Halle (par ailleurs immense compositeur de ce siècle) pour ne citer que les plus célèbres.



Cette anthologie s'achève sur trois contes dont on sent qu'ils s'adressent bien plus aux seigneurs de l'époque qu'à la faune des villes et des campagnes, révélant d'autres aspects de l'imaginaire de ce siècle.



Le premier, "Le conte des enfants-cygnes" dont la mémoire s'est conservée jusqu'à nous à travers certains ouvrages pour la jeunesse (anthologie de contes, albums, etc) est d'une indicible grâce - même s'il repose sur l'adage "tel et pris qui croyait prendre" auquel se joint la loi du talion, guère douce - et d'un imaginaire magique qui n'a rien à envier au nôtre.

Le second, qui peut nous sembler le plus éloigné tant la force et la prégnance de la foi chrétienne y est omniprésente. Il s'intitule "Le chevalier au barisel" (NB : au "petit baril", pour aller vite) et nous dépeint l'histoire d'un bien mauvais chevalier n'aimant rien autant que la destruction, la puissance par les armes, le feu et la peur, un être repoussant - selon les critères de l'époque en matière de chevalerie - sans loi mais, plus grave encore, sans foi. Celui-ci va croiser les pas d'un saint ermite qui, lui proposant sans aucun succès de se racheter aux yeux de dieu à travers des quêtes plus ou moins ardues, va finir par lui confier un simple "barisel" à remplir afin qu'il puisse étancher sa soif. Hélas pour le sombre chevalier, le petit récipient refuse obstinément de se remplir. Par pur orgueil et non par désir de repentance, le guerrier va partir à travers toute la contrée chercher la rivière, la fontaine, le lac qui lui permettra enfin d'accomplir ce que de droit. Il en reviendra un an plus tard, exsangue, les traits labourés, le corps souffrant mille morts. Ainsi, par l'expiation du corps, le pardon de dieu pourra lui être offert juste avant que son dernier souffle n'expire.

Bien sûr un tel texte a tout pour nous paraître lointain de nos jours. Mais il nous en dit très long de cet idéal chevaleresque qui fit les beaux jours de la noblesse médiévale européenne, idéal que l'on retrouve au fil des pages de la plupart des "romans" du bas-moyen-âge, à commencer par les romans de la Table Ronde et sans quoi on ne peut que très imparfaitement les comprendre.

Le dernier conte, intitulé "La fille du comte de Ponthieu" est, lui aussi, un genre de classique de l'époque. À travers une succession de scènes tour à tour familiales, amoureuses, violentes (la fameuse fille du comte se fait violer par trois brigands sous le regard involontaire de son jeune époux. Celle-ci en conçoit une telle honte qu'elle cherchera à tuer son mari afin d'éliminer tout témoin de cette scène ignoble. S'ensuivront moult aventures voyageuses), orientalisantes (la fascination est grande, au sein de la noblesse, pour tout ce qui évoque les terres "saintes" et lointaines du proche-orient. Souvenons-nous que c'est le siècle des croisades), voyageuses. Dans un affrontement entre bien et mal, la jeune femme doublement meurtrie (victime d'un viol mais tout autant victime du regard culpabilisant des hommes) va chercher et parvenir à obtenir repentance et pardon des siens et de dieu... Si tout le moyen-âge ne fut pas aussi intraitable à l'encontre des femmes, il faut bien reconnaître que la fin de celui-ci n'est guère tendre avec le sexe prétendument faible (mais invariablement tenu responsable de bien des maux) et préfigure des siècles à venir encore plus terribles pour la condition féminine.



Que dire d'autre du bonheur de lire ces fabliaux et contes qui, pour être issus d'un monde qui nous serait presque parfaitement étranger si quelque machine nous permettait de l'explorer de visu, n'en demeurent pas moins d'une étrange contemporanéité - ou, plus surement, les petits et grands travers des hommes n'ont-il pas tant changé qu'il y semblerait de prime abord -, surtout dès qu'il s'agit d'âpreté au gain, d'avidité, de goût pour la vengeance, de cupidité et de bêtise ! Témoins d'un monde presque totalement disparu, le lecteur se surprend pourtant à sourire - souvent - à rire - parfois, mais de bon cœur - à la découverte de ces petits moments d'humanité (NB : les contes sont sur un tout autre registre). Le rire comme meilleure médecine à l'ennui, à l'injustice ou à la désespérance : ce n'est pas neuf, mais c'est universellement salvateur.
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Fabliaux et contes moraux du Moyen Age

Je lis très peu de littérature médiévale et c'est un tort ! Ces contes sont pour le moins surprenant. On y découvre un humour grinçant et un rapport à la religion ou au pouvoir bien moins rigide que ce qu'on aurait pu attendre. La place de la femme est également très intéressante. Finalement, ce qui ressort de ces textes, c'est que Moyen Age était bien plus permissif et moins moralisateur que les siècles suivants. Une lecture agréable et passionnante.
Lien : http://madimado.com/2011/02/..
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Fabliaux et contes moraux du Moyen Age

Ha, les fabliaux... Tout un pan de la littérature médiévale, avec son réalisme très terre à terre, ses critiques du clergé, du peuple, ses intrigues toujours liées à la grivoiserie, à la gaudriole... Un bon moyen aussi de se rappeler que le Moyen-Âge n'était pas seulement la période sombre de notre histoire où l'on se contentait de guerroyer et de mourir de faim, comme le veulent les clichés, mais où l'on savait aussi rire.



Ces fabliaux, par leur réalisme, sont aussi un très bon témoignage de la vie quotidienne à cette époque, et un premier pas vers le genre de la "nouvelle". C'est donc une lecture fort intéressante pour les historiens de la littérature comme pour les historiens tout court.
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Fabliaux et contes moraux du Moyen Age

Le recueil contient une vingtaine de fabliaux, 2 contes complets, un partiel, et des extraits rimés, le tout transposé en français moderne. Un bon début pour aborder la littérature médiévale de manière ludique.



Contrairement au roman courtois ou à la chanson de Geste qui vise un public socialement élevé, le fabliau s'adresse plus facilement à la classe bourgeoise citadine, et de fait, son apogée correspond au développement de la bourgeoise dans le nord de la France. Bien sur c'est un résumé réducteur, mais... il faut donc s'imaginer un public de gens peu versés dans l'écriture et la lecture, travaillant pour gagner sa vie, et qui cherchaient dans la représentation de fabliaux, comme de farces, détente, défoulement et rire, si possible aux frais des classes privilégiées: d'où une profusion de personnages stéréotypés, immédiatement reconnaissables: le paysan riche et stupide, la vieille acariâtre et rouée, le clergé ridicule qui n'hésite pas à s'enrichir sur le dos du peuple... Et des situations tout aussi attendues: les avares, les menteurs, les ingrats seront punis à la fin, MAIS, plus étonnant, la morale est assez souvent élastique. En gros, la tromperie, le vol, c'est mal. Enfin, sauf lorsqu'elles s'exercent aux dépends d'un avare, ingrat, riche, borné...



Je ne vous cacherai pas que l'Exemplum ( les fabliaux "moraux"c'est à dire l'exemple à suivre, ou plus souvent, la mise en avant de l'exemple à ne pas suivre, sur fond religieux) est un genre assez pénible, car très très chrétien ( Idem pour le conte" Le chevalier au Barisel": il faut souffrir pour obtenir la rédemption, tant pis si tu meurs de faim pauvre et miséreux, ton âme et sauvée, plutôt que de vivre riche et bien portant mais comme un mécréant). Là, j'avoue, j'ai du mal avec ce genre de concept.
Lien : http://chezpurple.blogspot.c..
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