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Critiques de Jean-Marc Troubet (138)
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Mon voisin Raymond

Il n'y a qu'un bois à traverser pour que Troubs aille rendre visite à son voisin, Raymond, un vieil homme de plus de 90 ans qui vit seul chez lui. Il n'est que 16 heures et pourtant Raymond prépare déjà ses pâtes pour le souper, la télé en fond sonore. Il profite de cette visite pour lui montrer son vieux prunier dont il faudrait abattre quelques branches. Le rendez-vous est pris pour le lendemain. Entre un petit verre de calva, les petits travaux de jardinage, le bois à couper, la vie s'écoule paisiblement pour le vieil homme et les visites de Troubs sont autant d'occasion de travailler que de se remémorer quelques souvenirs...



Au fil des mois et des saisons, l'on suit la relation particulière qui unit le narrateur, Troubs, et son voisin, Raymond. Tandis que l'un aide au jardinage, à l'élagage ou à la taille des pieds de vigne, l'autre donne des conseils ou des rudiments sur le jardin, les oiseaux... Cet album graphique, composé d'une série de scènes réparties sur une année, dépeint avec sérénité, douceur et une certaine nostalgie le temps qui passe et la nature qui change. Un témoignage qui met en avant Raymond, ce voisin si attachant. Un album calme, une plongée paisible au coeur de la campagne et une amitié simple et rare. Graphiquement, Troubs nous offre de belles planches contemplatives. Là, un champ cultivé aux couleurs automnales, ici un vol d'oiseaux migrateurs.

Simple et pudique...
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Humains, la Roya est un fleuve

N’ayant plus une féroce envie de faire un billet après mes lectures, la victoire récente (une de plus, que ce soit contre Estrosi, Ciotti ou le préfet des Alpes Maritimes) de Cédric Herrou au tribunal contre Ciotti m’a remis en tête « Humains, la Roya est un fleuve ». Une lecture que je dois à jamiK que je remercie encore pour son intelligence sous le billet d’un… bref, et qui après une première réaction épidermique a relu un de mes commentaire et a pris le temps de le comprendre.



Alors qu’aujourd’hui tout le monde est prêt à accueillir son Ukrainien et à envoyer un paquet de coquillettes et un bic quatre couleurs à Kiev, rien ne change pour le réfugié Africain qui lui aussi fuit la guerre, la famine et la peur depuis si longtemps. Quand je dis que rien ne change, j’exagère quand même beaucoup car depuis 2017, date des évènements relatés dans cette BD, nous avons été, par exemple, capables d’aller jusqu’à empêcher le secours en mer d’embarcations en perdition, juste pour que ces Hommes ne débarquent pas sur « notre terre » (parce que oui, nous sommes nés en France alors ce bout de planète est à nous, faut pas déconner non plus hein). Donc en fait, ça a évolué pour les Africains demandeurs d’asile politique, c’est encore plus compliqué aujourd’hui. Peut être qu’en passant par l’Ukraine…



Humains la Roya est un fleuve, c’est la rencontre de Baudoin et Troubs pour une BD reportage dans la vallée de la Roya, cette vallée dont certains habitants comme Cédric Herrou et tant d’autres tendent la main à leur prochain ce qui rend Ciotti Estrosi et autres adeptes lepenistes fous de rage.

Cette BD est autant un témoignage sur l’illégalité des méthodes pronées par les politiciens locaux et appliquées par des policiers peu scrupuleux pour renvoyer les Africains en Italie (parce qu’ils viennent d’Italie, cette Italie qu’on laisse seule accepter dans ses ports les bateaux humanitaires), qu’un hommage à tous ces gens qui tendent la main et aident ces migrants à retrouver un peu d’humanité, un peu de dignité.

C’est aussi une galerie de portraits noirs et blancs du plus bel effet.



Même si j’ai de plus en plus de mal avec mes congénères en général, voilà une BD qui rappelle qu’il y a encore de belles personnes qui écoutent leur cœur plus que la peur orchestrée par des mous du bulbe.

Un livre à mettre entre toutes les mains comme le sont « Change ton monde » de Cédric Herrou, « Grace à eux » de Mimmo Lucano ou encore « Journal de bord de l’Aquarius » d’Antoine Laurent.
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Humains, la Roya est un fleuve

Pour une version courte et pas politisée, commence à (1) et arrête-toi aux pointillés. Tu peux même découper ton écran bien droit, grâce à eux !

Pour un avis long et bourré d'extraits, de témoignages, va directement au (2), et si ça te parle, ne t'arrête surtout pas là. Lis cette BD dans la foulée. Parce que tu peux avoir l'impression que j'ai tout recopié comme une feignasse au lieu de faire un billet avec mes mots à moi, mais non, loin de là. Les auteurs et ceux qu'ils ont rencontrés ont plein de choses à nous dire, à nous apprendre.



(1)

Dans ce livre, il y a des gens noirs qui sont partis de chez eux, et des gens blancs qui les aident. Ça se passe à la frontière franco-italienne. Pourquoi tout ce bazar ? Soit ils ont le droit de venir et ils viennent, les étrangers ; soit ils n'ont pas le droit et ils ne viennent pas 'chez nous'.

Y a aussi des policiers (souvent contre les Noirs, mais pas forcément) et des Vikings (toujours gentils avec les Noirs).

Sinon, c'est bien dessiné, et Menton, ça a l'air joli. J'ai colorié avec du bleu, du jaune, du vert quand y avait la mer et le soleil et les montagnes, parce que du noir et blanc, c'est trop triste pour des beaux paysages comme ça.



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(2)

• « Menton : le bonheur, dessiner. Troubs est sur une barque au milieu d'une mer de solitude intérieure. Dans son dos, il y a une falaise, des fils de fer barbelés, des hommes qui se noient. »



• « Ils arrivent d'ici, et ce ne sont pas les premiers. Il y a eu nous, les Italiens, les Juifs, ceux de l'ex-Yougoslavie, les Tunisiens... »



• « Qui peut croire qu'on peut empêcher le déplacement des humains ? »



Oui, hein, qui peut croire ça !? Notamment parmi ceux qui s'indignent depuis plus de 70 ans contre la Shoah. Les autres, je les exclus d'emblée, leur cas est désespéré.



C'est ce qui se passe dans les Alpes, pourtant. Pensons aux petits activistes blondinets de Génération Identitaire qui surveillent et bloquent farouchement l'accès à notre douce France.*



Et ça se passe partout en France (Calais, Dunkerque, Nantes...), "grâce" au(x) gouvernement(s) :

• « La formule célèbre de M. Rocard, sur 'la France qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde' - formule reprise récemment par M. Macron, pour justifier une politique de grande fermeté à l'égard des migrants économiques - est d'abord un total non-sens, si l'on pense à la proportion de réfugiés que comptent de petits pays comme le Liban ou la Jordanie. C'est surtout un déni d'humanité insupportable. »

(JMG Le Clézio, préface)

••• pour les propos de Michel Rocard, voir le commentaire de Bidule62 ci-dessous •••



Les auteurs, Baudoin & Troubs, sont allés en 2017 du côté de la vallée de la Roya, où habite Cédric Herrou, ce formidable monsieur qui s'est fait arrêter plusieurs fois pour avoir aidé des migrants à passer en France.

Il n'est pas tout seul, dans le coin, à être sympa, dévoué, généreux : on peut aussi voir Jacques (blog Jacques Perreux), un curé, un médecin, René Dahon, les 'Vikings' (qui « donnent et n'attendent rien en retour, ça réconcilie avec l'humanité »), Claudine et son ami agriculteur bio, Irène, Hubert Jourdan. Et tous ces bénévoles de 'Roya citoyenne' ou d'autres associations. Et ça réchauffe le coeur, cette solidarité.



Pourquoi font-ils ça, ces gens ? Est-ce si naturel d'aider son prochain, quand, dans les villes, tout est fait pour dissuader les SDF ('de souche' ou d'ailleurs) de s'installer dehors (mobilier urbain empêchant de s'allonger, espaces verts barricadés, camps fréquemment démantelés...), sans leur proposer de solution digne ?



* * * * * * * * beaucoup d'extraits * * * * * * * *

Les auteurs ont interrogé quelques personnes qui aident :

- Delia : C'est à cause de mes parents, ils m'ont élevée comme ça.

- Nazario : (...) pour aider, pour être avec ceux qui aident, avec l'humanité. Il faut revenir à l'homme et ses libertés primordiales.

- Jacques : Dans le village planétaire, chacun devrait être libre de s'installer où il veut.

- Andrée : J'ai deux raisons pour faire ce que je fais. Depuis toute petite j'ai eu le désir d'aider. Il n'a pas cessé de croître. Et puis j'ai eu une fille handicapée, alors ouvrir les bras est devenu ma vie.

- Claudine : Je me demande pourquoi les autres ne le font pas. Mais peut-être qu'on peut dire que je le fais parce que mon père était juif roumain, qu'il a été caché pendant la guerre, qu'il a perdu ses parents dans un camp. Il n'en parlait pas, je l'ai découvert à l'adolescence. On peut dire que c'est une raison.

- Pascal, photographe : Parce que quand ça a commencé, je vivais à Breil, ma fille avait deux ans. Je veux un monde bien pour elle, qu'elle soit fière de son père.

- François-Xavier, dit 'Tchoi', prêtre : Je suis vivant aujourd'hui. Je croise des vivants, alors je leur souris. Je suis l'aîné de 8 enfants, j'ai toujours l'instinct de protéger les autres. (...) J'estime qu'on a le droit de se révolter quand on pense qu'une loi n'est pas juste.



* * * * * * * * * * * * * * * *



Baudoin & Troubs ont également échangé avec des migrants, essentiellement des hommes jeunes originaires du Cameroun et du Soudan, après avoir instauré avec eux un rapport de confiance (je te dessine, et je t'écoute : donne-moi tes mots, je les partagerai ; c'est important de faire connaître des parcours individuels, ça ré-humanise le drame collectif et impersonnel de l'exil).



Ces hommes sont épuisés moralement et physiquement, le trajet a été long, ils ont subi là-bas ou en route viol, torture, esclavage. Ils ont besoin de répit, de repos, de manger, d'avoir un toit, d'être traités dignement et chaleureusement (on connaît la pyramide des besoins de Maslow), d'apprendre la langue, avant de pouvoir démarrer la nouvelle vie dont ils ont rêvé.



Si on se sent 'envahis' par ces personnes en exil, on peut regarder l'histoire coloniale de pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique ; le bordel que nous, les Européens, y avons mis... Arte diffuse d'ailleurs une série très intéressante en trois parties sur le sujet depuis hier 'Décolonisations' (7, 14 et 21 janvier, ou en replay).

Et on peut aussi penser à la façon dont l'Occident se sert encore, notamment pour SES matières premières...



Sur le sujet des migrations actuelles vers l'Europe, lire aussi lire 'Paris-Venise' (F. Oiseau), 'Douce France' (Karine Tuil), 'Village global' (Geffroy & Lessault), etc.

Je conseille également le film 'Les Invisibles', sur les laissés pour compte, même 'français', ces gens à la rue dont certains populistes prétendent se préoccuper pour légitimer le refus de l'immigration.



Je ne sais pas trop de quoi il parle, Cali(méro) dans cette chanson, mais ça me semble bien coller avec l'admirable esprit de 'nos Justes' du XXIe siècle.

♪♫ https://youtu.be/kkVPFVj-g9U

_____



* https://www.liberation.fr/france/2018/04/22/chasse-aux-migrants-dans-les-alpes-les-xenophobes-au-sommet_1645146
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Monsieur Tortue

Comme d'habitude chez cet éditeur, la réflexion est de mise.

Ici, c'est clairement la jeunesse qui est invitée à réfléchir à ce que nos amis biologistes appellent le temps long, celui de la Terre.

Vous voulez sauver la planète, les jeunes?

Alors n'écoutez pas les vieux qui disent la même chose. Eux, souvent, lorsqu'ils disent cela, ils veulent sauver leurs privilèges.

La planète, elle, nous survivra, heureusement pour elle.
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La longue marche des éléphants

« En novembre et décembre 2015, le Centre de conservation de l'éléphant du Laos organise une caravane d'éléphants qui parcourt 500 kilomètres à travers les provinces de Sayaboury et Luang Prabang. »

Il s'agit d'alerter sur la nécessité de préserver la biodiversité du Laos, et notamment de protéger l'éléphant.



Nos guides, dans cette aventure, sont les dessinateurs Troubs & Nicolas Dumontheuil. Leur travail est intéressant, on apprend beaucoup sur cet animal attachant, sa 'personnalité', sa vie sociale, son importance dans les traditions laotiennes, les raisons de l'extinction de l'espèce (déforestation), la façon dont il est actuellement exploité par l'homme (transport du bois en zone inaccessible par la machine, tourisme...).



Le problème : cet album est intéressant à la façon d'un documentaire pour enfants, et manque d'âme, aussi émouvants soient le sort des éléphants et celui des cornacs.

Peut-être serais-je moins restée sur ma faim si la partie 'carnet de voyage', rédigée/dessinée par Nicolas Dumontheuil, avait suivi celle de Troubs, plus factuelle ?



Pour finir, cette phrase de Romain Gary extraite des 'Racines du Ciel' (1958), citée par les auteurs : « Si les hommes ne sont pas capables de se serrer un peu pour tenir moins de place, s'ils manquent à ce point de générosité, s'ils ne consentent pas à s'encombrer des éléphants, quel que soit le but poursuivi, s'ils s'obstinent à considérer cette marge comme un luxe, eh bien, l'homme lui-même finira par devenir un luxe inutile. La liberté elle-même sera anachronique. »

Bien vu ! Soixante ans plus tard, on court toujours à la catastrophe, et même de plus en plus vite...
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Va'a : Une saison aux Tuamotu

Merci à Presence pour m’avoir conseillé ce roman graphique de Flao & Troubs. Ces deux artistes nous font partager leur séjour sur une île du Pacifique où ils tentent de construire une pirogue. Mais surtout ils nous font saliver face à des décors de rêve où on y admire les dessins talentueux à quatre mains et nous font rencontrer les locaux et de l’inconvénient du progrès, nous font rire avec les dialogues des animaux. Je viens de faire un beau voyage.
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Inuit

Edmond Baudoin et Troub’s racontent leur voyage dans le nord-est du Canada, en pays Innus et Inuit. Il s’agit de témoignages, de portraits, racontés avec des dessins pris sur le vif, ils racontent le mode de vie actuel des peuples autochtones, le rapport avec leur héritage, l’évolution de leur. Inuit est un carnet de voyage à quatre mains.

Certaines pages sont entièrement remplies de texte écrit à la main, le trait agressif d’Edmond Baudoin apporte de la force aux récits, celui de Troub’s se met au diapason, tout aussi brut. Ils nous proposent une accumulation de témoignages, pessimistes pour certains, optimiste pour d’autre, divers angles de vues comme pour les illustrations,

À travers ces témoignages, beaucoup de thèmes sont évoqués, l’écologie, le réchauffement climatique, la perte des valeurs anciennes, la modernité qui dénature, la culture ancestrale. Beaucoup de simplicité, de sincérité dans ces échanges qui dévoilent beaucoup malgré l’apparente pudeur, on découvre alors une certaine sagesse malgré les bouleversements que leur peuple a dû subir au XXe siècle. Le froid, la dureté du climat les forment depuis toujours, mais le réchauffement climatique transforme aussi les hommes.

On voyage avec les auteurs, on fait des rencontres à travers eux, c’est juste, c’est vrai, c’est dépaysant et touchant.
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Va'a : Une saison aux Tuamotu

Voici un roman graphique qui m'a emmenée à l'autre bout du monde, sur l'archipel de Tuamotu, qui appartient à la Polynésie Française.

Benjamin Flao et Troubs, deux auteurs de BD, relatent ici leurs aventures lorsqu'ils y sont partis en 2014 pour suivre une expédition scientifique qui n'aura finalement pas lieu. Le but était de construire des pirogues à voile, celles qui étaient légion avant l'arrivée du moteur et de l'argent lié aux essais nucléaires à Mururoa.

A défaut de scientifiques, les deux auteurs vont tenter eux-mêmes de réaliser cette fameuse pirogue et cela va bien occuper leurs journées. Les rencontres, notamment avec les plus anciens est alors un prétexte à une découverte plus générale de la culture locale.

Les dessins sont sympathiques et précis, même s'ils ne m'ont pas fait vibrer non plus.

On découvre ici, les paysages idylliques, mais aussi le quotidien des habitants sur un atoll polynésien, leur mode de vie actuel et ancien, la nostalgie des anciens quant à la perte de ces savoirs, et de culture. Bien entendu, tout n'était pas juste mieux il y a cinquante ans et certaines allusions permettent d'évoquer quelques points moins glorieux, notamment quant à la place des femmes ainsi que les maltraitances qu'elles subissent toujours.

J'ai apprécié ce voyage graphique et cela me donne envie d'explorer davantage les voyages que les deux compères ont pu faire.

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Sables noirs: 20 semaines au Turkménistan

Après un siècle d'occupation russe, on pouvait espérer que les conditions de vie de la population turkmène allaient s'améliorer avec la dissolution de l'URSS en 1991 - adieu la misère, la pénurie, place à l'opulence et à la liberté occidentales. Hélas, comme pour d'autres pays du bloc soviétique, le dirigeant est resté le même, a développé un fort culte de la personnalité et la situation s'est aggravée. Amnesty International a dressé un portrait sombre des Droits de l'Homme dans ce pays en 2003.



L'auteur de cet album, Troubs, a passé vingt semaines au Turkménistan pour une association de promotion de la lecture. Il n'était pas autorisé à prendre des photos, mais pouvait dessiner - même si la différence pouvait laisser perplexes certains des fonctionnaires qu'il a croisés.

Dans ce carnet de voyage, Troubs évoque ses rencontres avec les autochtones, qui associent la France à Bouygues (fortement implanté dans le pays), à Gérard Depardieu et Pierre Richard ; il décrit le pays, pauvre, où l'on croise l'effigie du dirigeant partout, et quelques constructions mégalos en son honneur.

Cette démarche rappelle celle du dessinateur Guy Delisle. Le ton est peut-être un chouïa plus sérieux, mais pas pontifiant pour autant. J'ai particulièrement apprécié le graphisme (les dessins à l'encre de Chine) et cette réflexion sur les échanges économiques avec une dictature : « Couper les ponts serait encore plus dramatique pour la population. Il faut toujours privilégier le dialogue. Même si c'est pour le bizness. Le fait qu'il y ait des entreprises étrangères ici permet d'avoir des représentations diplomatiques. Des ambassades. Des observateurs. Sans Bouygues il n'y aurait pas d'ambassade de France. Pas de Centre culturel. »

Je n'avais pas vu les choses sous cet angle, mais oui, en effet : même si la logique commerciale de B. n'est pas philanthropique (ne nous leurrons pas, il ne fait que du business), elle peut avoir des effets positifs.
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Humains, la Roya est un fleuve

Baudoin & Troub's, comme ils se présentent en couverture de cette BD hors du commun, reconnaissent qu'ils sont invités partout dans le monde mais que se déplacer comme ils le font est impossible pour un Afghan, un Soudanais ou un Érythréen.



Partant de ce constat, ils sont allés voir sur place, début juillet 2017, près de Nice, dans cette vallée de la Roya, fleuve côtier qui prend sa source en France, passe la frontière et finit son cours en Italie pour se jeter dans la Méditerranée.

Ils rencontrent, se déplacent, découvrent le Pas de la mort grâce à Enzo Barnaba, écrivain et historien qui aide les migrants : « Parce que ça m'énerve qu'on ne puisse rien faire. » Entre Vintimille et Menton, la frontière est là avec son grillage, un trou et la falaise…

À Vintimille, devant la petite gare, la tension est au maximum. Sous la 4 voies, c'est la zone et la Roya est là… Les voilà un peu plus tard avec René Dahon, un des responsables de « Roya citoyenne » qui constate : 180 militaires et gendarmes coûtent 60 000 € par jour et un drône surveille la propriété de Cédric Herrou.

De jeunes Allemands, Hollandais, Suédois, Italiens et Français assurent la cuisine, venant compléter l'action des bénévoles de la vallée : « Ils donnent et n'attendent rien en retour. Cela réconcilie avec l'humanité. » Pour Humains, la Roya est un fleuve, les auteurs rencontrent Claudine dans son gîte, à 1000 m plus Enzo, Andrée et d'autres. Ce sont des Justes.

Les témoignages s'accumulent, ils racontent la Lybie, l'horreur au quotidien. Chamberlain vient du Cameroun où on viole, torture, pratique l'esclavage. Ils font des portraits en échange de réponses : Adam, Abdoul, Manson, Khalil, Abdoul, Albert (Sierra Leone), Adam, Kedir, Sherif Alan, Abdala, Yah Ya (Soudan) et bien d'autres venant aussi du Tchad. Leurs yeux sont émouvants. Il faut les regarder et le dessin leur redonne vie et espoir…

Cédric Herrou explique à tous les démarches à faire et recommande de ne pas mentir à la PADA (Plate-forme d'accueil des demandeurs d'asile). Au col de Fenestre, un panneau rappelle « La memoria delle Alpi », en mémoire de centaines de Juifs qui fuyaient la France, en septembre 1943…

Le 15 août 2017, des demandeurs d'asile ont été ramenés en Italie. Sur ordre de qui ? Gedo Abdalha, poursuivi dans la montagne par la police, a fait une chute et se retrouve à l'hôpital. Malgré toutes ces épreuves, ils disent tous : « Si c'était à refaire, je le referais. »

Jeudi 31 août, le Tribunal Administratif de Nice juge que : « L'administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile. »

Hélas, quelques mois plus tard, d'autres drames se produisent au col de l'Échelle et c'est un poème de Lou Nodet (12 ans) qui conclut ce livre aux dessins précis, vagues parfois, évocateurs surtout, des portraits émouvants, des vies saisies au hasard d'une rencontre, des humains qui ne demandaient qu'une chose : qu'on les traite comme des êtres humains !

Heureusement, ces Justes du XXIe siècle sont là, magnifiques de désintéressement. Ils sauvent, aident, secourent, nourrissent et rassurent d'autres Humains.



Un Grand Merci à Simon pour m'avoir fait découvrir cette BD si importante.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Viva la vida

Merci pour à Presence pour avoir vu passer sa critique de ce scénariste que j'aime beaucoup. Baudoin et Troubs nous offrent une B.D. engagée. Ils sont allés croquer les mexicains et ont commencé par El Paso, ville frontalière du Texas où l'on compte en moyenne vingt meurtres par jour. Descriptions de certains tellement horribles qu'on a du mal à croire que ce sont des humains. le leitmotiv est : quel est votre rêve ? Réponses : travail, sécurité, liberté, manger, un toit, etc. Finalement ce que nous avons à peu près tous en Europe. Courageux et nécessaire ! ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️

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Humains, la Roya est un fleuve

Pourquoi vous faites ça ?

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Cet ouvrage constitue un récit complet indépendant de tout autre. Sa première édition date de 2018. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Jean-Marc Troubet (Troubs) et Edmond Baudoin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comptant 107 planches. Le tome s'ouvre avec une introduction d’une page, rédigé par Jean-Marie Gustave Le Clézio. Il évoque la phrase de Michel Rocard, en 1989, alors premier ministre : la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. L’écrivain pose la question : comment peut-on faire le tri ? Il évoque la situation que les migrants fuient, pas par choix. Il en appelle au pragmatisme : dans l’Histoire les empires fondés sur l’injustice, l’esclavage, sur le mépris n’ont jamais survécu. Il en appelle à agir, : il suffit de renverser le raisonnement, de cesser d’agir sous l’impression d’une menace. Ces deux auteurs ont précédemment réalisé deux autre récits de même nature : Viva la vida (2011) sur les habitants de Ciudad Juárez, Le goût de la terre (2013), sur des habitants de villages dans une zone rurale de la Colombie.



Deux oiseaux sur une branche, l’un d’eux fait remarquer qu’en 2011, ils sont allés au Mexique, en 2013 en Colombie, pour le faire le portrait des réfugiés. Aujourd’hui, c’est ici. Le 2 juillet 2017, Baudoin est en France à Chamonix. Il regarde les nuages. Le glacier des Bossons qui diminue un peu plus. Il regarde le Mont-Blanc. Le 19 juin, il revenait de Chine, en octobre, il va au Québec, le 13 novembre en Angleterre, le 22 en Russie. Il va partout dans le monde. On l’y invite. Pourquoi pour lui c’est possible et par pour un Afghan, un Soudanais, un Érythréen, un… Demain, lundi 3 juillet, à Nice, il va retrouver Son ami Troubs. Ils vont faire un livre qui ne va pas s’appeler Tintin dans La Roya. C’est parce qu’ils ne savent pas qui de eux deux est le capitaine Haddock ou Tintin.



Leur premier rendez-vous est en Italie, avec Enzo Barnabà. Il habite un petit village au-dessus de la frontière : Grimaldi Superiore. Ils ont rendez-vous avec lui à 17 heures, ils sont à Menton à 13 heures. Ils ont le temps. Ils traversent la frontière à pied. Ils ne voient pas de migrants, ou alors ils sont hollandais. Un des policiers italiens, d’un simple coup d’œil et d’un hochement de tête, leur faire signe de passer. C’est comme pour les voitures : elles sont fouillées selon l’aspect (et peut-être la couleur ?) de leur carrosserie. La frontière entre Menton et Vintimille est dessinée sur une crête rocheuse qui plonge dans la mer. Trois routes et une ligne de chemin de fer la traversent. En haut, c’est l’autoroute avec ses deux tunnels, de deux voies chacun qui percent la montagne. Au milieu, c’est par un pont. Il y a un poste de douane de chaque côté, et bien sûr, une boutique détaxée entre les deux. (et même un étal de fruits et légumes sur le trottoir). Des dizaines de T.E.R. et des trains de marchandises empruntent tous les jours un tunnel étroit. La route du bas plonge aussi dans un tunnel. L’ancien poste frontière franco-italien est là : côté français. Et si on suit la côte à pied, on arrive en Italie sur une plage. C’est une jolie petite crique avec un commerce de glaces, de transats et de parasols… un petit paradis estival.



C’est donc le troisième ouvrage réalisé à quatre mains par deux bédéistes : chacun dessinant des planches et écrivant. La différence entre les deux se fait plus facilement que précédemment : par les traits de contour plus épais et plus charbonneux d’Edmond Baudoin, par ses textes écrits en lettres capitales, par les dessins moins chargés de noir de Troubs, et son texte écrit en minuscules. Mais dans certaines pages, le lecteur découvre une autre manière de dessiner qui peut être de l’un ou de l’autre. Cette bande dessinée ne se présente pas sous une forme traditionnelle. Il y a très peu de dialogue, seul moment où les auteurs font usage de phylactères. La composition des pages comporte souvent deux illustrations et du texte à côté, ou au-dessus. Il peut s’agir aussi bien de montrer ce que font les auteurs, par exemple marcher, qu’un endroit où ils arrivent, et souvent des plans poitrine ou des gros plans sur des personnes qu’ils rencontrent, des migrants comme des habitants qui les aident d’une manière ou d’une autre. Comme les deux ouvrages précédents, le lecteur ne sait pas trop s’il s’agit d’une bande dessinée de type reportage, ou plutôt d’un texte illustré savamment composé par les deux auteurs. Peu importe.



Comme ils l’annoncent dans la première page avec ces deux oiseaux sur une branche, Troubs & Baudoin reprennent leur idée d’aller à la rencontre de personnes, et de faire le portrait en échange de la réponse à leur question : pourquoi font-ils ça ? Ils ont retenu de retranscrire majoritairement la réponse des aidants. Ils rencontrent d’abord Enzo Barnabà, un écrivain et historien, qui a longtemps été professeur, et qui leur montre le passage illégal de la frontière, par la montagne au-dessus des tunnels. Les images montrent le visage sillonné de rides de l’homme, les flancs de la montagne, le chemin au milieu de la végétation, trois immigrants, des vêtements au sol. Il y a une forme changeante d’interaction entre texte et dessin : parfois presque une redondance, le texte disant ce qui est montré, parfois une complémentarité sophistiquée, parfois une forme d’illustration accompagnant le texte. Le lendemain matin, le lecteur découvre un autre portrait, celui de Daniel Trilling, un journaliste anglais venu interviewer Enzo sur la question des réfugiés. Puis les artistes et leur guide repartent dans la montagne : les dessins se composent de formes un peu lâches donnant plus une impression qu’une description photographique. En même temps, le lecteur éprouve bien l’impression de voir le paysage observé par Troubs & Baudoin en empruntant le chemin des réfugiés et en regardant vers la mer, puis vers Menton.



Les auteurs font une pause dans leur marche : Troubs est représenté en train de dessiner, dans deux dessins en pleine page, une silhouette assise au loin, puis un peu plus rapprochée dans un paysage naturel. Puis un portrait en plan italien dans un troisième dessin en pleine page. La page suivante passe à Jean-Claude, un ami d’Enzo pour une nouvelle rencontre, un nouveau portrait, et une nouvelle réponse à la question de pourquoi il fait ça. Le deuxième dessin sur cette page est celui presque en ombre chinoise de deux réfugiés se précipitant pour se coller contre la paroi, alors qu’un train vient à passer dans le tunnel. Sur cette page, le texte est largement majoritaire. Ainsi de place en place, les auteurs rencontrent des citoyens investis dans l’aide à ces migrants qui passent proches de leur foyer, dans un dénuement terrible, ayant souffert tout le long du voyage, souvent victimes de sévices, fuyant une situation pire chez eux. Le lecteur fait ainsi la connaissance de Delia, patronne d’un café restaurant, de sa nièce Alexa, de Nazario, de Manuela, de Jacques Perreux, d’Andrée, de François-Xavier un prêtre, de Claudine, de Cédric Herrou, d’un groupe appelé les Vikings composés d’Allemands, de Hollandais, de Suédois, d’Italiens, de Français, et de nombreux autres. À chaque fois, Troubs ou Baudoin en réalise un portrait le plus souvent en plan taille ou en gros plan : des êtres humains normaux et banals qui ne peuvent pas rester indifférents à la souffrance devant leur porte.



Bien évidemment les migrants sont également présents : ils passent et ils reçoivent l’aide des citoyens rencontrés et présentés par les auteurs. Ces derniers en font leur portrait, comme en toile de fond. Puis de la planche 55 à la planche 63, les deux dessinateurs reprennent leurs fonctions avec les portraits échangés contre des réponses. Ils demandent : parlez-nous de votre voyage. Quels sont vos rêves ? Tout du long de l’ouvrage, les auteurs sont marqués par le calme des réfugiés. Lors de cette séance de dessin, ils sont confrontés au fait que les migrants réfléchissent, car il y a tellement de souvenirs qui leur reviennent qu’ils restent muets. Ils préfèreraient prendre le temps d’expliquer leurs histoires parce que parler d’une chose c’est comme nier toutes les autres. Cette séquence est particulièrement émouvante, tout en tenant à distance le pathos. Baudoin & Troubs souhaitent montrer la personnalité de celui ou celle qui se tient devant eux, au temps présent. Baudoin commence par dessiner les yeux, mais ses vis-à-vis évitent le regard. Il insiste en mettant deux doigts dans le siens. D’un coup, ils acceptent le dialogue silencieux et c’est lui qui panique en voyant ce qu’ils lui montrent. Et le lecteur est bord des larmes avec ces simples phrases et le portrait en gros plan de quatre êtres humains.



En choisissant cet ouvrage le lecteur a des a priori diverses et variés, dépendant de sa familiarité avec ces auteurs, avec leur démarche. Il peut être pris au dépourvu par la forme même de ce reportage, une narration qui relève plus du texte illustré, mais avec des spécificités de la bande dessinée, ce qui en fait une forme hybride. Il peut se préparer à côtoyer des drames insoutenables, et une misère humaine étouffante. Ça ne se passe pas exactement comme ça : les auteurs ont à cœur de transcrire la chaleur humaine de leurs rencontres, à commencer par l’humanité des habitants apportant leur aide sous une forme ou sous une autre, sans pour autant les présenter comme des héros, sans la dimension spectaculaire presque inévitable qui accompagne les reportages des médias traditionnels. Il s’agit d’êtres humains refusant de considérer les femmes et les hommes qui fuient leur pays, comme un phénomène de société ou comme des groupes, ou pire encore des statistiques. Au bout de quelques pages, le lecteur ne se préoccupe plus de savoir s’il lit une bande dessinée ou un objet hybride : il ressent à quel point ce mode d’expression permet aux auteurs de restituer ce qu’ils ont vécu, avec honnêteté et fidélité, y compris dans l’expression de leurs ressentis et de leurs émotions, de façon incidente et prévenante vis-à-vis du lecteur. Une réussite extraordinaire.
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Le goût de la terre

Yaira Fernanda n'a rien à faire des souvenirs, elle veut demain.

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Cet ouvrage constitue un récit complet indépendant de tout autre. Sa première édition date de 2013. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Jean-Marc Troubet (Troubs) et Edmond Baudoin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comptant 125 planches, dont une réalisée et ajoutée pour la deuxième édition. Le tome s'ouvre avec un texte introductif de 2 pages, rédigé par Alfredo Molano Bravo (1944-2019), sociologue, journaliste et écrivain colombien. Il évoque le projet des auteurs : peindre des histoires de leur main prodigieuse et assurée, peindre des visages, peindre des mains, peindre des rues, peindre la vie et peindre la mort : la mort qui est partout, dans les récits des gens et jusque dans leurs rêves. Puis à San Vincente del Caguán, tous ses habitants ont une histoire à raconter, une seule et même histoire : celle de l'homme qui fuit. Ces eux auteurs ont précédemment réalisé un autre récit de même nature : Viva la vida (2011) sur les habitants de Ciudad Juárez. Par la suite, ils en ont réalisé un troisième sur les migrants : Humains, la Roya est un fleuve (2018).



Baudoin se tient debout sur un rocher au bord de la mer. Il est né sur un bord de la Méditerranée, Jean-Marc Troubs sur une rive de l'Atlantique. Qu'est ce qui donne le goût à une terre, une herbe, un arbre, un fruit, une eau, un homme, un peuple ? Sur la totalité des côtes méditerranéennes les hommes, pendant des millénaires, se sont penchés sur la même terre. Ils ont bu du lait de chèvre, cultivé des oliviers, construit des murs de pierres sèches. Troubs a grandi sur les bords de l'Atlantique. Mais il est ensuite venu s'installer à l'intérieur des terres, à la campagne, à l'Est de Bordeaux. Dans une campagne encore comme avant, en dehors des routes. C'est plus la forêt que la campagne ; quelques prés, quelques vignes, et puis des arbres à perte de vue. Un des endroits les moins peuplés de France. Ce jour-là, il discute avec son voisin, Raymond, 80 ans, un ouvrier agricole à la retraite dont le motoculteur ne veut pas démarrer. Ils parlent des semailles dans quinze jours à la Lune vieille, du départ de Troubs en Colombie, de ce qu'ils peuvent cultiver là-bas.



Baudoin évoque la manière dont le nord de l'Europe a asservi l'Afrique à ses besoins, par la colonisation, par l'économie et le marché. Comment la Méditerranée est passée d'un lieu de rassemblement avec une culture partagée sur tous ses bords, à une frontière protégée par un mur de visas. Il évoque la frontière du Rio Bravo entre les États-Unis et le Mexique. Lui et son collègue sont prêts pour partir en Colombie, âgés respectivement de 70 ans et de 40 ans. Invités par deux universitaires colombiens qui ont lu Viva la vida, Ils partent cinq semaines pour rencontrer les paysans qui vivent dans la région de Caquetá, proche de l'Amazonie. Ils ne sont pas très sûrs de la nature de leur projet : ils ne savent pas à quoi cette région ressemble. Il y a des guérilleros appelés terroristes par les démocraties.



S'il a lu Viva la vida, des mêmes auteurs, le lecteur sait à peu près à quoi s'attendre. Sinon, il peut se référer à la manière dont Baudoin parle de cet ouvrage dans la dernière page : Ce livre n'est pas vraiment un reportage, pas un carnet de voyage, pas une étude sociologique. Est-ce une bande dessinée, une performance ? La forme est un peu déconcertante de prime abord. Le livre a été réalisé à quatre mains. S'il n'identifie pas qui a fait quoi d'après les caractéristiques des dessins, le lecteur peut se fier à la graphie du texte : Baudoin écrit en majuscule, et Troubs en minuscule. La question de la nature de l'ouvrage peut se poser dès les premières pages. Dans l'introduction réalisée par Baudoin, il s'agit plus d'un texte illustré par des images, une ou deux par pages, les informations visuelles venant compléter ce que disent les mots. Dans celle réalisée par Troubs, la forme est plus proche d'une bande dessinée classique avec des cases, une action racontée par la succession de plusieurs cases, des phylactères. Très vite, le lecteur constate qu'il y a beaucoup de textes : des éléments de contexte pour exposer la situation de la Colombie dans ces années-là, un peu d'histoire, un peu de géographie, la présentation de quelques personnages, les personnes rencontrées et dessinées qui racontent leur souvenir le plus marquant. Ce n'est pas une bande dessinée d'un format traditionnel ce qui peut rebuter en la feuilletant rapidement.



En revanche, une fois qu'il s'est adapté aux caractéristiques de la forme, le lecteur assiste effectivement à une sorte de performance, pas au sens de l'exploit, mais au sens d'une œuvre qui prend forme au fur et à mesure des rencontres, des événements, des déplacements, sans planification réelle autre que la destination du voyage et le projet de discuter avec des gens. Les dessins des deux artistes sont en noir & blanc, plus chargés et un peu charbonneux pour Baudoin, un peu plus en mouvement pour ceux de Troubs, avec une touche amusée, une sorte de plaisir évident. Indubitablement, les images font voyager le lecteur : dans des villes, dans des habitations, dans la nature sauvage, dans des zones cultivées, sur la route. Il ne s'agit pas d'un carnet de voyage avec de belles images de paysage, mais plus de croquis donnant la sensation d'avoir été faits sur le vif. En réalité, les auteurs se sont bien livrés à un travail de composition, de réalisation des pages après coup : ils se dessinent en train de travailler dans les planches 42 & 43. Le lecteur a vite fait de s'acclimater à ces planches rugueuses, à ces visions qui reflètent la préoccupation ou l'intérêt du moment de l'un ou l'autre des auteurs. Il partage leur regard qui ne constitue pas une description neutre de ce qui les entoure, mais un choix de ce qui les marque.



Bien sûr, une quantité significative de cases se présente sous la forme d'un gros plan sur un visage, le Colombien en train de parler et de raconter son souvenir le plus marquant, parfois en une phrase, parfois dans un long texte. Les portraits, des visages en gros plan, ne cherchent pas à montrer une vision idéalisée de la personne, ou embellie : c'est un dessin un peu simplifié par rapport à du photoréalisme, s'attachant à l'impression donnée par l'interlocuteur, son trait de caractère apparent lorsqu'il s'exprime. Il est vraisemblable que s'il les croisait dans la rue, le lecteur ne les reconnaîtrait pas. Il semble qu'a contrario l'individu reconnaît sa personnalité dans le dessin qui est fait de lui. Les auteurs ont composé leur ouvrage de manière que le lecteur essente l'impression de faire la connaissance de ces individus qui lui parlent pendant quelques minutes. Il les rencontre au gré des déplacements et des visites des artistes. De la même manière, il ressent les impressions laissées par les différents endroits : le bruit et l'immensité de Bogotá, le caractère rural du village de Belén, l'isolement du village de San Vincente del Caguán, la réalité de la nature dans la forêt avoisinante, avec les arbres, un singe-araignée, les chants d'oiseaux au réveil le matin, une tortue qui les regarde passer lors d'un voyage d'une heure de pirogue, une poule en liberté, un perroquet, etc.



En fonction de ses centres d'intérêt, le lecteur est plus moins ou familier de la situation de la Colombie en 2013. Les auteurs font en sorte d'intégrer les notions d'histoire et d'économie nécessaires, la guerre civile, les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, 1964-2016), la corruption, la culture de la coca, les intérêts des multinationales, les organisations paramilitaires, les narcotrafiquants, la criminalité qui fait environ quarante morts par jour, la pauvreté, la diminution de la population d'indiens Huitoto / Uitoto, les six millions de Colombiens déplacés à l'intérieur du pays. En fonction de la nature de l'information, elle est soit exposée par les auteurs, soit par une personne qu'il rencontre, avec qui ils échangent. Le lecteur sait bien que Baudoin et Troubs ont choisi leurs interlocuteurs dans une classe sociale bien définie, et que l'image qui en ressort est donc partielle. Les premiers témoignages de violence sont terribles et durs, mais similaires à ce qu'il a pu lire dans la presse. C'est l'effet cumulatif de ces souvenirs marquants qui dessine le climat de cette région du pays pour la population. Dans la planche 103, Troubs pense en son for intérieur que très souvent quand il rentre de voyage, il se dit qu'on est en démocratie en France, qu'on a la sécu, une justice pas corrompue. Chaque fois qu'il va voter, il a l'impression de participer à la vie politique, de s'impliquer, même s'il sait bien que ce n'est qu'une illusion. Mais que ferait-il s'il était colombien ? S'engagerait-il ? Fermerait-il les yeux ? En effet, l'ouvrage n'apparaît pas comme une dénonciation, mais plus comme un témoignage sur la force vitale de ces êtres humains. Le lecteur fait le lien avec ces images montrant des fourmis portant une charge beaucoup plus volumineuse qu'elles. Il pense au plaisir de vivre des habitants de Caquetá, malgré la violence arbitraire des factions armées, malgré les traumatismes de leur passé individuel. Il ressent la force de vie à la fois fragile et plus forte que tout, pour assurer les besoins vitaux de nourriture et de logement, mais aussi d'éducation, de sécurité, de moralité, de famille, et lorsque c'est possible d'éducation, de projets à long terme comme une réserve naturelle.



Le lecteur sait qu'il s'embarque pour un voyage en Colombie, à la rencontre d'habitants de villages dans une zone rurale du pays. Il découvre un ouvrage qui défie les conventions de la bande dessinée, mélange de narration séquentielle, et de texte illustré, dans un noir & blanc sans afféterie, dont la somme des parties fait un tout étonnamment harmonieux. Il ressent qu'il rencontre les habitants dont les artistes font le portrait comme s'ils leur parlaient en direct. Il voit un portrait de cette région du pays se dessiner progressivement, sans parti pris politique, sans dogmatisme, montrant le peuple qui vit dans un pays en guerre civile. Extraordinaire.
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Sables noirs: 20 semaines au Turkménistan

Petit croquis de scènes de voyage au Turkmenistan, pays indépendant depuis 1992 seulement.

C'est un pays dont on parle peu et dont on sait bien peu de choses, en dehors du fait que Bouygues a réussi l'exploit de s'y implanter.



On ne peut pas dire que les graphismes à l'encre soient particulièrement remarquables et les scènes sont très décousues mais cette bande dessinée a le mérite de donner quelques aperçus de ce pays dont la culture tient à la fois des Turcs et des Russes ! Un mélange culturel détonnant pour ce peuple qui tente de faire revivre son identité de glorieuses tribus. Mais un siècle d'occupation par l'Union soviétique laisse bien des traces, et au-delà de la langue et de l'alphabet cyrillique, les habitudes du communisme stalinien (qui s'est fort bien accomode de l'islam d'ailleurs!) constituent sans doute un élément culturel qui mettra du temps à être dépassé.





Challenge Globe-trotteurs saison 2
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Mon voisin Raymond

Bd sympa entre voisins dans le milieu rural. Manque un peu d’action. Dessins épais. Ode à la nature, à la faune, et surtout aux champignons. Solidarité. Temps qui passe. Pour un peu de douceur…
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J'veux pas oublier mon chat

Troub’s nous raconte ses souvenirs d’enfance, et ses relations avec son chat, un chat un peu magique, digne de Alice au Pays des Merveilles, mais bien réel. Le trait est brut, en noir et blanc, traité au crayon ou craie noire, contrasté, les surfaces de noir font ressortir la trame du paier, ou le pelage du chat, nerveux, sauvage. C’est le chat de la famille, noir et inquiétant, et pourtant attachant, un chat qui parfois parle, fait valoir son indépendance et revendique et incarne le concept de liberté. Il vient donner à l’enfant une leçon, lui proposer une philosophie de vie, tout cela en quelques images, quelques dessins sommaires, et quelques mots distribués avec parcimonie, juste l’essentiel : Je suis libre !
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Monsieur Tortue

Monsieur Tortue est écrit comme une fable, le style de l’écriture est volontairement vieillot, usant de rimes, de subjonctif et de tournures de phrases inversées, la référence à La Fontaine est vraiment évidente. Le trait est simple, pinceau et encre de chine, au gré de l’inspiration, comme une simple déambulation dans le temps qui passe. C’est court, c’est juste une histoire sur l’évolution du monde, la tortue, celle qui part à point pour arriver à temps est en harmonie avec la terre qui tourne inexorablement, et le monde autour d’elle s’active inutilement. La brièveté de cette lecture est tout à fait adaptée au message, nous faisant relativiser de la présence de l’humanité sur terre, de notre vacuité. Une fable écologique, profondément anti-anthropocentriste, avec un impact fort.
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Humains, la Roya est un fleuve

Cette bande dessinée est un témoignage poignant sur l’émigration clandestine. Edmond Baudouin et Troubs mêlent leur traits et leur écriture, bruts, pris sur le vif, pour un reportage fait de portraits, de gens, de lieux, sur la frontière franco-italienne. On va y faire de très belles rencontres, de gens qui aident, de gens qui fuient, d’humanité quoi… Le ton est simple, pudique, ce n’est pas spectaculaire, c’est juste la réalité.

Cette bande dessinée révolte, c’est fort, elle ne plaira pas au adeptes du repli sur soi, du racisme, à ceux qui sous des prétextes fallacieux stigmatisent et montrent du doigt, haïssent par principe, par égoïsme et par ignorance.

Cette bande dessinée donne aussi de l’espoir, ces gens, ces “justes”, nous laissent entrevoir que l’humanité, la générosité et l’altruisme on encore de beaux jours devant eux. Je pourrais conclure par cette célèbre phrase de Stéphane Hessel, “Indignez-vous !” Il parlait bien de ça, de notre façon d’être humain, de se comporter vis à vis de l’autre, à l’échelle individuelle et politique, nationale et internationale.

Alors, cette bande dessinée remet les pendules à l’heure, elle m’a donné envie de m’indigner, car comme un des interlocuteur le dit dans ce livre : “Ce n'est pas la misère du monde qu'on accueille, c'est la misère du monde qu'ils ont fui.”

C’est à lire absolument.
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Viva la vida

C'est si fragile et si fort une vie.

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Cet ouvrage constitue un récit complet indépendant de tout autre. Sa première édition date de 2011. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Jean-Marc Troubet (Troubs) et Edmond Baudoin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comptant 124 planches. Le tome s'ouvre avec un texte introductif de 2 pages, rédigé par Paco Ignacio Taibo II, commençant par quelques paragraphes sur l'histoire de la ville de Ciudad Juárez, puis continuant avec la démarche des auteurs : ils ont la vocation de marcher et de raconter, de recueillir et de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Il explicite également ce qu'il trouve d'unique dans la bande dessinée en tant que moyen d'expression : un langage où se mêlent les réflexions, les dialogues images, l'objectivité et la subjectivité.



Troubs est dans son fauteuil en train de lire le journal. Il repense au dernier festival international de la bande dessinée à Angoulême où Baudoin lui a reparlé de ce voyage. Ciudad Juárez : tout au nord du Mexique, l'endroit le plus fréquenté de la frontière, le Rio Grande coupe la ville en deux, et côté américain c'est El Paso. Ça sonne comme dans les westerns, mais ce n'est pas un western, c'est pour de vrai. Troubs a lu que c'est la ville la plus dangereuse du monde, 20 meurtres par jour en moyenne, les gens ne sortent plus après le coucher du soleil, les gangs et l'armée se battent pour contrôler la ville. Il se souvient d'une discussion avec une femme travaillant pour le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, au Burundi : rien n'arrête le vent de la mort et il souffle au-dessus des frontières. Baudoin est assis dans son fauteuil et il repense à une déambulation sur une plage de Tanger, le vent soufflant le sable qui se précipite vers la mer, les deux vagues en furie s'embrasant, le mariage de l'Atlantique avec l'Afrique. Il se souvient de dizaines de garçons s'entraînant avec un ballon sur la plage, et il s'interroge sur les kilomètres de fil de fer barbelé qu'il faudrait déployer au milieu de la Méditerranée pour interdire à l'Afrique d'accoster sur les rives de l'Europe.



Ciudad Juárez : la frontière des frontières ? Le corps d'une femme atrocement mutilée retrouvée au petit matin. Une grande quantité d'entreprises du monde riche s'y est installée : les maquiladoras. Là travaillent des femmes venues de toute l'Amérique Latine, de la main-d'œuvre très bon marché pour le marché mondialisé. Près de 500 femmes assassinées depuis 1993 à ce jour, alors que la page en question est réalisée en juillet 2010. C'est en partie à cause, ou grâce à un livre 2666 de Roberto Bolaño, un immense écrivain chilien décédé en 2003, que Baudoin a eu envie d'aller à Ciudad Juárez. L'idée : trouver des lieux où on peut dessiner. Faire le portrait de ceux qui voudront bien, leur demander : Quel est votre rêve ? Dire la vie dans cette ville où on meurt. Le voyage commence à Culiácan le premier octobre 2010.



Il est possible que le lecteur soit attiré par cet album du fait des auteurs qu'il a pu apprécier par ailleurs, ou pour le thème. Ils ont choisi de se rendre à Ciudad Juárez, pour rencontrer les habitants. Dans sa partie introductive, Edmond Baudoin (né en 1942) explique leur projet : demander à un habitant quel est son rêve, et lui offrir son portrait réalisé sur place. Les deux prologues permettent de comprendre le principe de leur collaboration, de la réalisation de cette bande dessinée à quatre mains. Ils vont la construire ensemble, chacun réalisant ses pages, ou ses parties de page, relatant leur expérience avec leur subjectivité propre. Chacun a réalisé son prologue propre, ce qui permet de repérer leurs caractéristiques graphiques personnelles, mais celles-ci fluctuent un peu en fonction des séquences, ne donnant pas l'assurance d'avoir l'a certitude de qui est quelle page. En cours de route, ils introduisent un signe distinctif pour savoir qui parle : un logo de tortue pour Troubs, un de chèvre pour Baudoin, mais dans le fil de l'ouvrage, ils n'y ont recours que deux ou trois fois. À l'épreuve de la lecture, la coordination entre les deux auteurs devient patente, car le lecteur n'éprouve jamais la sensation de passer d'un point de vue, à un autre fondamentalement différent, jamais en opposition, une sensibilité commune en phase. Il plonge dans un carnet de voyage à Ciudad Juárez, mais pas un voyage touristique, ni une étude sociologique sur la criminalité systémique, simplement aller à la rencontre des gens.



Dans chaque prologue, le lecteur prend contact avec la personnalité des deux auteurs, dans leur manière de dessiner : des dessins descriptifs avec des contours un peu flottants par endroit, un usage un peu charbonneux par endroit du noir. Le lecteur peut déceler que Baudoin se montre graphiquement plus aventureux par moment, ses dessins pouvant s'aventurer vers l'abstraction, comme lors de la rencontre entre le sable soulevé par le vent et la vague d'eau de mer. Il note également que les deux auteurs ne se sentent pas contraints à s'en tenir à des cases disposées en bande, avec des phylactères. Dès son introduction, Troubs passe en mode : des cases avec uniquement des cartouches de texte pour évoquer son souvenir du Burundi. Baudoin commence sous la forme de deux cases de la largeur de la page, avec une ou deux lignes de texte en dessous. En planche 13, la case montrant la collision de la vague de sable contre celle d'eau relève plus du domaine de l'abstraction que descriptif et l'image n'acquière son sens narratif qu'au regard de la case au-dessus d'elle et du commentaire en-dessous.



Tout du long de ce carnet de voyage, le lecteur ressent de la surprise en découvrant des images ou des séquences visuellement originales et mémorables : les ballons de foot comme suspendus en l'air, le trombinoscope de 40 jeunes femmes en planches 20 & 21, la reproduction de l'affiche d'une inauguration, des cases de la largeur de la page montrant le paysage naturel dans la région (planches 50 & 51), la représentation d'une communauté en train de danser utilisant deux pages (planches 52 & 53) en format paysage (il faut tourner la BD d'un quart de tour), un mode de dessin passant à une figuration très simplifiée pour la cérémonie des remerciements (planche 58) avec des individus portant un masque intégral d'aigle, des représentations d'individus comme collées sur une page sans aucune bordure (planches 70 & 71), la reproduction de peintures rupestres (planche 75), une photographie tout juste retouchée, 4 planches dessinées par deux bédéistes locaux, etc. S'il est familier des ouvrages de Baudoin, le lecteur retrouve ici toute sa liberté formelle dans sa façon d'envisager une narration en bande dessinée.



Par rapport à ses attentes, le lecteur se rend compte qu'il ne contemplera pas les portraits réalisés par les deux artistes, juste quelques facsimilés de petite taille, pour une partie des personnes accostées. Lors du prologue, les deux auteurs placent leur carnet sous le thème de la violence subie par les populations et en particulier les femmes, et sous celui des migrants. Au début du séjour au Mexique, ils commencent par rendre visite à Florence Cassez, ressortissante française, alors accusée d'enlèvement, séquestration, délinquance organisée et possession d'armes à feu et de munitions à l'usage exclusif des forces armées, et condamnée à 96 ans de prison, ramené à 60 ans en 2009. Les auteurs évoquent à la fois des éléments culturels, et des événements d'actualité, comme l'écrivain Roberto Bolaño (1953-2003), Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, Paco Ignacio Taibo II (écrivain, militant politique, journaliste et professeur d'université hispano-mexicain, auteur de roman policier), ou la peine de prison de Florence Cassez, l'intervention de Nicolas Sarkozy pour la faire libérer, les unes du quotidien relatant le nombre de tués durant la nuit. Ils exposent quelques éléments de géopolitique comme les maquiladoras, les tentatives d'immigration clandestine pour passer à El Paso e l'autre côté du Rio Grande, un rassemblement des peuples premiers, le 6 novembre journée nationale de souvenir et de lutte contre les assassinats et les enlèvements de femmes.



Le lecteur accompagne donc les auteurs à la rencontre des personnes dans la rue, dans un bar, dans une maquiladoras, à suivre une personne ou une autre qui leur sert de guide. Il comprend que leur compréhension de la langue espagnole est un limitée, et qu'ils la parlent mal. Il apprécie qu'ils se montrent attentionnés pour expliquer où ils se rendent, quels sont les personnes qu'ils rencontrent, en quelques phrases courtes. Il assiste bien sûr à la proposition faite par les artistes aux personnes à qui ils s'adressent, en découvrant leur réponse quant à leur rêve. En cours de route, les auteurs apprennent qu'un journal national avait déjà effectué la même démarche : demander à des élèves de collège d'exprimer leur rêve pour leur vie d'adulte, et retourner les voir une dizaine d'années plus tard pour savoir ce qu'il en était advenu. Cela produit un effet de relativisation sur les rêves qui leur sont formulés. Cette forme de voyage et de prises de contact avec la population locale offre une vision très directe au lecteur. En découvrant les différents rêves ainsi exprimés, il y voit des besoins primaires, pouvant lui faire penser au premier étage de la pyramide d'Abraham Maslow. Cela a pour effet de révéler toute la force d'une observation formulée en cours de route : C'est si fragile et si fort une vie. Le ton n'est pas misérabiliste : les auteurs mettent en lumière la force vitale de chacun, cette énergie qui permet d'affronter chaque jour dans un milieu hostile où une mort arbitraire peut venir y mettre un terme, où le système socio-économique est défavorable à l'individu, entre insécurité, précarité, dans un environnement qui n'est ni stable ni prévisible, pétri d'anxiété et en crise. En découvrant certains témoignages, le lecteur sent les larmes lui monter aux yeux, l'émotion le prendre à la gorge. À d'autres moments, il est confondu d'admiration devant le courage banal et quotidien de l'un ou de l'autre, par la possibilité de vivre malgré tout.



Se rendre dans la ville la plus dangereuse du monde et demander aux habitants à quoi ils aspirent, en échange d'un dessin. Le lecteur se plonge dans ce carnet de voyage réalisé par deux créateurs et il découvre un témoignage beaucoup plus riche que ce à quoi il s'attendait : la liberté formelle de la mise en images, la simplicité du contact humain, les éléments de contexte présentés tout naturellement, une sensation déconcertante de toucher du doigt une des dimensions essentielles de l'existence, sans dramatisation larmoyante, sans se voiler la face. Une expérience de lecture d'une rare vérité, en toute honnêteté.
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Humains, la Roya est un fleuve

Humains ...

Voilà, le titre se suffit à lui-même.

Une sorte de roadbook, une série de portraits issus des rencontres des auteurs lors d'un séjour dans la vallée de la Roya.

Une humanité en miniature ... joies, peines, souffrances, accueil inconditionnel de l'autre, ...

Un très beau travail en noir et blanc, de simples crayonnés, et un discours certes engagé et militant - à lire, la préface signée JMG Le Clezio - mais que je n'ai pas perçu comme étant moralisateur.

Des morceaux d'humanité, tout simplement.

Un retour à l'essentiel.
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