Un grand merci à Babélio et aux Editions Harper Collins pour ce beau roman foisonnant gagné lors d'une MC privilégiée. Il nous raconte le destin d'un quartier d'Halifax à travers une famille et leurs voisins sur plusieurs générations, tout au long du vingtième siècle, entre le Canada et les USA. C'est un roman très dense et documenté, que l'auteur a mis vingt ans à écrire.Il est tout à fait passionnant même si on s'y perd parfois dans les très nombreux personnages secondaires.
L'histoire commence en 1918 au Cap, un quartier de la périphérie d'Halifax où ont été déportés par les Anglais des esclaves caribéens (Jamaîque, Haïti....) révoltés à la fin du dix-huitième siècle. Depuis le village s'est développé et la communauté est plutôt soudée. En cette année 18, une épidémie décime les bébés, Kath Ella et Kiendra sont les premières à y survivre. Elles deviennent amies et on les retrouve au début des années trente. Kiendra est une jeune fille effrontée qui cherche sans cesse les ennuis tandis que son amie est une étudiante modèle qui espère devenir la première femme noire de la région diplômée d'une université. Elle suit une formation d'enseignante à Montréal, son amoureux du village meurt dans un accident. Finalement, elle épouse Timothée, un Blanc qui adopte son fils Omar, rebaptisé Etienne.
On le retrouve dans les années soixante, sa mère est morte, il se marie et comme il a la peau claire, il se fait passer pour blanc et renie sa famille noire. Il vit aux USA et fait tout pour se bâtir une carrière administrative à l'université. Sa belle-famille est raciste et il est très content qu'elle ne connaisse pas la vérité sur sa situation. Cette deuxième partie est la plus courte et la moins intéressante du livre.
A sa mort en 1981, son fils Warner apprend la vérité. Il se découvre Noir alors qu'il se croit Blanc depuis toujours. Il s'est marié très jeune et a un bébé, mais son couple vacille, il a une liaison avec une collègue. Il réfléchit à sa double appartenance culturelle et se rapproche de sa famille noire, en particulier de son arrière-grand-mère Zera emprisonnée depuis des décennies.
La première et la troisième partie sont les plus intéressantes. Le livre aborde de très nombreux thèmes et il est vraiment intéressant. Il explique bien l'importance de la question raciale en Amérique, dont on ne mesure pas bien l'enjeu ici en Europe, tant elle paraît parfois caricaturale. Si les élites blanches (les belles familles des héros) sont clairement racistes, il en va de même des habitants du Cap, rebaptisé Africville, qui détestent les Blancs et accueillent très mal Timothée, le mari de Kath. Les communautés sont complètement fermées sur elles-mêmes et ont bien de la peine à accepter les passerelles entre elles. Les trois personnages principaux, quatre si on compte Zera, en filigrane dans le début du livre illustrent chacun une attitude différentes, dans un temps différent de l'histoire américaine face à son identité noire. Kath veut s'intégrer et conquérir les mêmes droits. Elle va à l'université, devient enseignante et épouse un Blanc. Sa famille se sent reniée et elle s'en éloigne peu à peu, ne revenant que très rarement au village. Dans les années 1960, son fils ne s'engage pas dans la lutte pour les droits civiques, il se refuse à contacter sa grand mère et choisit de favoriser sa famille paternelle, il se fait passer pour un Blanc et ne veut rien avoir à faire avec les Noirs, il voit très rarement sa famille canadienne, ils ont honte les uns des autres. On aurait pu penser que vingt ans plus tard, la situation s'était apaisée, mais ce n'est pas le cas. Warner retrouvera ses racines et essayera de réconcilier ces deux parts de lui-même. C'est un des personnages les plus aboutis du livre, il se liera avec sa grand-mère et lui redonnera une place dans la société. Ce livre est passionnant et éclaire d'un autre jour le mouvement anti-raciste qui secoue les USA en particulier, mais aussi le reste du monde en ce moment. Le livre est juste et proportionné, il ne tient pas de discours angéliques. La communauté noire est certes victime, mais pas exempte de torts, on voit la complexité de la situation raciale en Amérique, qui plonge ses racines très loin dans l'Histoire, bien avant l'indépendance de ces pays. Cet héritage est explosif et il n'y a pas de solution facile, vu la l'ancienneté des blessures, et même les individus qui arrivent personnellement à passer par-dessus et tendre la main à l'autre sont rejetés par leur communauté.
L'autre thème brûlant du livre est la cruauté et l'injustice de la justice américaine envers les minorités. Dans les années 1930, le procès de Matt et Zera est complètement bâclé et ils sont condamné à mort en un quart d'heure sur la base de faux témoignage.Ils seront graciés et on pourrait espérer qu'avec le temps Zera soit libérée facilement, mais malgré toutes ces erreurs et le changement de paramètres historiques, il faudra plus de soixante ans pour atteindre ce but. Le côté implacable de la justice américaine est un thème fréquent dans les romans, il est souvent dénoncé mais pas sûr que ça soit près de changer.
Il y a de nombreux autres thèmes secondaires dans ce livre, tous très intéressants. Le travail de documentation est impressionnant et nous montre un aspect peu reluisant de l'Amérique. Il faut absolument découvrir ce roman engagé et sérieux pour mieux comprendre la situation outre Atlantique et ses causes profondes.
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