Prepare for battle | John Agard closing poems & speech | Carina Gonzalez-Brown
Évoluer et évolution sont de la même famille. J'aime cette idée. Quelles étranges créatures sont les mots, avec leur façon de semer des graines !
"Là où l'on brûle des livres, on finit par brûler des hommes."
(Heinrich Heine, poète allemand d'origine juive)
Les Sumériens nommaient cet endroit " maison de la mémoire " ; les Égyptiens, " lieu des soins de l'âme " ; les Tibétains, "océan de joyaux ".
Je parle ici, bien sûr, des bibliothèques. Aussi loin que je me souvienne, elles ont toujours existé. Elles sont nées avec l'écriture, ont grandi avec elle.
Aucune frégate ne vaut un livre
Pour nous mener en terre lointaine,
Aucun alezan ne vaut une page
De poésie au pied dansant.
Le plus pauvre a droit au passage
Sans le fardeau du péage ;
Qu'il est frugal le chariot
Qui porte l'âme humaine !
Avant moi, Livre, il y eut la Voix.
Il y a bien longtemps, autour du feu, les humains contaient des histoires. Ils chantaient et dansaient, fêtaient les saisons, et les aïeux transmettaient aux plus jeunes les récits des temps anciens. Tout passait par la voix. Par la mémoire. En fait, j'existais déjà : dans les têtes. Je vivais de bouche à oreille, transmis " par cœur " indéfiniment.
Et quand la Seconde Guerre mondiale éclata, déclenchant l'horreur et le chaos, plus d'un soldat m'emporta dans sa poche de veste. J'étais son compagnon de papier pour le terrible voyage. Hélas, oui ! moi, Livre, j'ai vécu en direct bien des adieux au monde.
Si quelqu'un
dérobe ce livre, qu'il périsse
de mort violente.
Qu'il soit rôti dans
la poêle.
Que la fièvre et le haut mal
le rongent.
Qu'il soit roué et pendu.
Amen.
- inscription sur une bible du XIIe siècle -
(p. 58-59)
"Laissez-moi vous poser une devinette :
Que peuvent avoir en commun le dieu égyptien Thot, le dieu grec Hermès, le dieu scandinave Odin et le dieu irlandais Ogma ?
Réponse : chacun d'eux a inventé un alphabet."
Je connais un verger
où se gorger de fruits
puis les remettre intacts sur la branche
Je connais un jardin
où cueillir mille fleurs
sans couper une seule tige
Je connais une maison
qui résonne de voix vives
même lorsqu'il n'y a pas un chat
Je connais une salle close
aux fenêtres sans vue
et cependant ouverte à tous les horizons
Je connais un endroit
où se plonger dans le passé
et puis en émerger, le cœur ragaillardi
Où est-ce ? A la bibliothèque
Venez, la porte est grande ouverte !
Étonnez-vous si j'étais alors [au Moyen Âge] jugé si précieux qu'on me tenait sous clé, quand ce n'était pas enchaîné à un lourd bureau en bois massif !
Oui j'étais jalousement surveillé. Vous ne connaissez pas votre chance, vous qui me prenez à votre guise. Là ! une fois de plus, votre pouce sur ma tranche fait défiler mes pages à toute vitesse ! Qu'auraient pensé les moines de ces familiarités ?