Après une courbe du torrent, un rideau de peupliers frémissants est apparu à l'horizon, nous découvrant l'envers blanc de leur feuillage. J'ai gardé les yeux sur eux un instant, jusqu'à ce qu'une douloureuse tristesse comme venue du fond des âges m'envahisse la poitrine. Sensation familière. Quelque chose dans ces arbres muets et privés de conscience résonnait en moi, quelque chose de si profond, de si fondamental, que son origine même était devenue inaccessible. J'ai regardé trembler les peupliers contre le ciel d'un bleu cinglant. Qu'est-ce que la tristesse ? Qu'est-ce donc sinon une vieille joie érodée ?
Tout le monde imite son père, ses amis, son président, ses acteurs préférés, et si vous croyez encore le contraire, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Aucune raison de se sentir nul. Regardez en vous. vos goûts, vos idées, vos opinions, tout ça, ça vient d’ailleurs et vous le savez. Vous savez que vous picorez quelque chose ici, autre chose là. Il faut l’accepter. Vous n’avez pas de Moi. En ce qui me concerne, aucun doute en tout cas. Je ne suis que le tas de conneries que j’ai glanées. Un agglomérat de ce que j’ai emprunté à tous ceux qu’il m’a été donné de rencontrer. Mais mon atout, le voilà : je m’en contrefous. Je l’accepte. Je vole des idées à tout le monde et je prétends que c’est de moi, et je me fiche que quelqu’un m’en vole à son tour. Alors on s’appuie sur des méthodes et on fait comme si on maîtrisait le sujet. D’accord ? On fonce sans se poser de questions.
Son échec sans fin lui avait permis de gagner en gentillesse et peut-être même en sagesse.
Les hommes devraient faire leurs enfants sur le tard, ai-je pensé. Ils faisaient ainsi de bien meilleurs pères. Ce n'est qu'après avoir été longuement malmenés par la vie qu'ils étaient enfin prêts. Tant de violence inutile et de discipline injustifiée pourraient être évitées s'ils acceptaient d'attendre.
Les maigres bouquets de sapins qui défilaient le long de la route ne parvenaient pas à dissimuler les zones déboisées, comme foudroyées, qui se trouvaient de chaque côté, au point que je me suis demandé, comme toujours, qui les bûcherons pensaient bien pouvoir berner. Pas moi en tout cas.
Ces arbres se trouvaient là, au même endroit, côte à côte, depuis des centaines, depuis des milliers d'années. Je me suis demandé ce qu'ils pouvaient bien ressentir à se trouver ainsi enracinés. Je me suis demandé, aussi, s'ils en avaient fini par ne plus se supporter.
La plupart des entreprises se considèrent encore comme des machines, vous savez. En quatre cents ans , rien n'a changé. Les employés y sont vus comme de simples rouages interchangeables. On les prend, on les use, et quand ils meurent on les remplace. ( p 104 )
C'est pas qu'il y ait tant de différence entre la forêt et la ville, pourtant. Tu vois ce que je veux dire? Tout ça est un grand tout maintenant. Des arbres en ville, et des ordures en pleine forêt. Où elle est, la différence?
Qu'est-ce que la tristesse? Qu'est-ce donc sinon une vieille joie érodée?
A nos yeux, les retards représentaient une forme d'élitisme, un indice de la valeur supérieure que les gens accordaient à leur temps personnel plutôt qu'à celui des autres.
Tous les produits sont de saison quelque part, ai-je répondu en gobant un grain de raisin. Il faut juste parfois leur faire parcourir la moitié du globe. ( p 195 )