Jorge Fernandez Diaz

- Dis-moi, en deux mots: Rada, c'est qui? (...)
- Une péroniste de la troisième génération.
- Ce qui veut dire?
- Les premiers péronistes ont été des héros, la deuxième génération, des révolutionnaires. La troisième génération, c'est des millionnaires.

J'ai pas mal de nuits blanches au compteur, mais j'ai rarement vu une fille dans cet état. Son visage a viré cireux, elle ne sait plus s'il lui faut gerber ou s'acheter un chaton.

Un jour, j'ai rencontré une femme obsédée par les mains des sculpteurs. Ça l'excitait terriblement. Sais-tu pourquoi? Parce qu'elle se disait: "Si ce mec est capable de créer toutes ces oeuvres d'art de ses mains, j'ose pas imaginer ce qu'il pourrait faire sur mon corps."

On l'appelle "colonel", mais techniquement c'est un militaire à la retraite qui a repris du service en 1984, dans l'ombre, quand il est devenu notre directeur des opérations : les présidents et les ministres ont tous eu affaire à lui, et dans le monde de la politique, il est devenu "le type qui règle les problèmes". Le vieux m'a appris à lire, à étudier, et à exercer tous les verbes interdits. Si je ne me suis pas fait exploser la cervelle comme pas mal de mes camarades de tranchée, c'est grâce à lui. C'est dire que je lui dois beaucoup. Même si quelquefois, faut l'avouer, ça me démange de l'expédier dans l'autre monde.

Fierrito me raccompagne à l'ascenseur et cite Woody Allen : "Chez nous, c'est moi le patron, ma femme est seulement celle qui prend les décisions."

Le dimanche, j'essaie d'aller voir Rosita, mais elle est avec son nouveau mec, et ils fêtent son anniversaire. Elle est contente que je l'appelle, ça s'entend à la tendresse dans sa voix, mais ne m'invite pas à Tolosa. Alors je passe la journée à lire "Le Cimetière des bateaux sans nom", en buvant de la vodka citron avec des glaçons. Le soleil va bientôt se lever sur le lundi quand je lis ce dialogue : "S'il arrive quelque chose, dit-elle soudain, ne me laisse pas mourir seule." Aussi sec, je me lève du canapé pour voir si...

_ La Joconde provoque une obsession bizarre chez certaines personnes. Une obsession destructrice. Tu as dû lire ces bouquins sur la maladie de la beauté ?
_ Faut croire que non...
_ Ca arrive très souvent au Louvre. "Le syndrome de Stendhal", ils appellent ça.
_ Je connais Stendhal.
_ Stendhal raconte je sais plus où qu'après avoir visité un musée à Florence - ...(il) lance, les yeux levés au ciel pour citer de mémoire...et récite d'une voix de chevalier des croisades : "J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de coeur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber."
_ Il se droguait, ce type ?
_ L'amour est une drogue psychosomatique - tachycardie, vertige, confusion, hallucinations. T'imagines, en un seul dimanche d'ouverture gratuite, tu peux avoir jusqu'à soixante-cinq mille personnes exposées à cette radiation. Et toi, tu dois faire en sorte que personne pète les plombs, que ce trésor ne soit jamais détruit. Je te raconte pas le stress, vieux. Un stress terrible.

"_ Elle a engagé un conseiller en image... et le diagnostic est tombé, implacable. Elena avait un gros problème de communication.
_ Ah tiens.
_ Son père, un Italien plus ou moins lié à la mafia, l'avait envoyée étudier dans les meilleurs collèges anglais. Là-bas, ils l'avaient transformée en une dame élégante.
_ Et froide.
_ C'était rédhibitoire pour sa carrière. Parce qu'on dira ce qu'on voudra, mais l'électeur argentin, même s'il n'est pas prêt à l'admettre, il veut des leaders mafieux au sang chaud, de la transgression, des gens qui peuvent se montrer durs et même impitoyables. Tu sais ce qu'il lui a dit, le coach ? Si vous voulez devenir présidente, il va falloir renouer avec votre italianité. Voilà ce qu'il a dit, mot pour mot.
_ Plus de charcuterie, moins de caviar.
_ Exactement."

"_ Ca y est, tu es amoureux de cette pouffe ?... Le syndrome du garde du corps - elle plaisante. Des jours et des nuits d'intimité forcée. Se côtoyer au travail échauffe les esprits. Elle se perçoit comme une damoiselle en danger, commence à le prendre pour son chevalier servant, protecteur de la veuve et de l'orphelin. Elle éprouve pour lui une tendresse particulière, ne peut plus s'en passer. Un jour, elle fantasme de coucher avec lui. Stéphanie de Monaco. Ca lui est arrivé deux fois de suite.
_ Le métier a ses amateurs.
_ Sauf qu'en ce qui te concerne, il n'y a pas de princesse. Juste une pouffe. Et ce n'est pas moi qui le dis. C'est l'astrologie.

J'aperçois Roméo et Juliette. Elle, c'est un pur produit de la salle de sport et des silicones ; quant à lui, il ressemble à Jean-Claude Van Damme après une grosse grippe.