Naître fille d’angoisse, c’est attendre les canons de la guerre entre chaque repas. Et quand l’heure de la bataille sonne enfin, c’est le soulagement, l’acquiescement d’un état, pour un temps. L’autorisation d’une façon d’être, finalement justifiée, et l’apaisement dans l’action. À répétition. C’est le cycle d’’Isabelle, confortablement engluée dans le joug maternel.
C’est sous un ciel assombri de septembre qu’Arthur a finalement quitté la Mère, la terre qui l’a vu naître et toute sa vie d’ici. L’air content, il a dit qu’il allait rejoindre un grand poète à Paris, Paul Verlaine, avec qui il avait correspondu au cours de l’été.
Elles connaissent ses aspirations littéraires.
(…)
Isabelle se lève et enfile son tablier gris.
Ce qu’il y a de bien avec le secondaire, c’est qu’il a une fin. On ne peut pas mieux dire. Un matin, on se lève et c’est fini. Viennent ensuite les choix de vie et la possibilité de respirer, enfin. Mais on reste meurtrie, renfermée, dans sa tête, repliée sur soi comme un origami informe, et on essaie tant bien que mal de faire confiance aux autres, on va vers autrui, on brise des murs, on pleure un peu, on passe à l’action, on boite, on ne marche pas droit, mais on marche, et on vit.
ouihilisme
n. m. 1. PHILOS. Point de vue philosophique d'après lequel le monde (et l'existence humaine) est truffé de sens et de signes, et qu'il syffit de dire «oui» aux choses et à la vie pour faire advenir les possibles. Vers les années 1993-2010, alors que le développement de la société de consommation avait atteint son paroxysme, le philosophe Kaploutch lançait ce cri d'alarme : «Ce que je raconte, c'est l'histoire des deux prochains siècles. Je décris ce qui viendra, ce qui ne peut manquer de venir : l'avènement du ouihilisme» (XX, 19, Ed. Néo-Candide). L'audience qu'a rencontrée la philosophie dite « ouihiliste », avec ses thèmes privilégiés comme l'apocalypse, la chute et la violence burlesques, les créatures imaginaires (nains, elfes, zombies...), la naïveté consciente, les rêves, les flâneurs-bouffons, l'infini, le livre sous toutes ses formes fabulées, confirme que l'humanité est entrée dans la période de l'après-fin, l'imaginaire allié avec l'esprit. 2. COUR. Disposition d'esprit caractérisée par l'optimisme, le musement et l'émerveillement au quotidien.
Encore peu d’Occidentaux connaissent le phénomène des hikikomori au Japon, une réalité qui touche les adolescents et les jeunes adultes, plus souvent qu’autrement les garçons et les hommes dans la vingtaine. Pendant des mois, souvent des années, les hikikomori s’enferment dans une pièce. Ils refusent toute communication, s’isolent de la société qui les a vus naître et qui les a moulés. Un geste de refus. Du monde. Du moule. De la performance. Coupés de tous, ils n’ont qu’un contact minimal avec la réalité extérieur; console de jeux, télévision, radio, Internet. Ils se font livrer le nécessaire, sans jamais sortir, ou très peu, tard le soir pour les emplettes, dans des konbini, des dépanneurs peu achalandés à ce moment, et ils occupent leurs journées avec les jeux vidéo, les mangas, les animes. Je ne sais trop comment ce phénomène a réussi à ignorer les frontières géographiques pour venir toucher ma famille, au Québec.
La Muette conservait tous les pépins de pommes, noyaux de vie et cadavres comestibles. Elle ne les mangeait pas comme nous toutes, mais les enfournait dans ses oreillers de plumes. Mamika seule devait connaître l’origine d’une telle habitude, elle nous répétait que sa protégée savait faire pousser ses rêves.
Quand nos parents se sont éteints, Marc a emménagé à quelques rues de chez moi. Une fois l’héritage familial partagé et les assurances encaissées, nous n’avions pas vraiment besoin de travailler tout de suite. Ils nous ont laissé à chacun un gros montant, assez pour que je ne m’inquiète pas pour mon avenir et que je puisse m’offrir ce périple. Après l’accident, j’ai pris deux mois de congé. Marc, quant à lui, avait besoin de plus de temps. Il disait qu’il n’était pas prêt à retourner au boulot. Je ne voulais pas le contrarier. La perte de nos parents nous avait bouleversés, et éloignés. On discutait moins qu’avant. Finalement, Marc n’a jamais repris le travail. Et j’ai ensuite hérité de la part de Marc… Résultats : j’ai beaucoup d’argent, mais je n’ai plus personne. Mieux vaut ne pas trop y penser.
Finalement, assise dans l’avion de la Japan Airlines (près d’un hublot, quelle chance), je repense à Marc et à ses jeux vidéo. Mon frère, vers la fin, avait une véritable passion, intense, pour les jeux en ligne et les jeux vidéo. Il passait d’une console à l’autre, la PS3, la Xbox 360 et encore d’autres, selon son humeur. Il connaissait le sujet à fond et commentait les nouveautés sur les multiples sites amateurs. J’aimais profondément Marc. Le souvenir d’un jeu de simulation de tir au PlayStation Move me revient à l’esprit quand l’engin prend son envol en vrombissant. Je regrette qu’il n’ait jamais eu la chance de prendre l’avion, réellement je veux dire, partager ce moment avec moi, avant cette forme de décollage pour un monde dont lui seul connaît le mystère désormais.
Alors, ils reconnurent que c'était une vrai princesse puisque, à travers les vingt matelas et les vingt édredons en plume d'eider, elle avait senti le petit pois. Une peau aussi sensible ne pouvait être que celle d'une authentique princesse - Hans Christian ANDERSEN
Et je me retrouvai, complètement ahurie, avec, entre les mains, mon âme, une arme de papier...