Serge n'avait pas rejoint sa classe. Il s' était enfermé dans le dortoir. Assis sur son lit, il relisait la lettre de sa mère. Pourquoi avait-il été incapable de dire à Madame Garnier toute la vérité ? Bien sûr, sa mère ne pouvait plus payer la pension. Mais le pire c'était que son père avait été arrêté. Des gendarmes Français - oui sa mère avait bien écrit Français - étaient venus le chercher à l'aube. Il n'était pas le seul, la rafle avait touché tout le quartier. Pourquoi ? On ne savait pas. Ils étaient des juifs étrangers, personne ne leur donnerait la moindre explication.
Pourtant, pendant les récréations le ton montait parfois entre les professeurs qui battaient la semelle pour se réchauffer.
"En avoir bavé dans les tranchées comme on en a bavé ! Tout ça pour que ça recommence, grognait Monsieur Prévost. Qu'est-ce qu'on attend pour leur rentrer dedans, aux boches ? Gamelin traîne trop. L'offensive, l'offensive, il n'ya a que ça de vrai ! "
Il se pencha brusquement, saisit la main de Lucie avec délicatesse et la baisa comme un vrai gentleman. Puis il sortit, tout rouge. Lucie, interdite, ne put s'empêcher de sourire. Ils étaient parfois bizarres ces petits Parisiens. Mais tellement sympathiques. Elle avait bien fait de changer leur nom. Juifs ou pas juifs, qui irait vérifier ? Maintenant tout était en règle vis-à-vis des Allemands. Quel soulagement !
Assez étonnée de trouver chez Marie ce mélange de candeur et de sens pratique -mais peut-être étaient-ils ainsi , ces enfants de la guerre que rien n'étonnait plus