Fèvres rouges de Judith Rocheman
p. 76 :
« Les Russes avaient un plan. Le froid, les crampes, la faim s’occuperaient d’elle. Ces renards avaient toutes sortes de méthodes pour atteindre leur but. La laisser croupir dans un camp n’était pas la méthode la plus efficace. Lui arracher les ongles non plus, au moins pour l’instant. Étant donné sa jeunesse et le fait qu’elle était une femme, sûrement plus influençable, elle pouvait certainement servir à d’autres fins. Pour le moment, il fallait qu’elle les craigne. Qu’elle n’ait aucune envie de désobéir. Elle semblait sincère. Un peu naïve et sans doute manipulée par ce Dimitrov. Sa ferveur les attendrit presque, d’ailleurs. Il y avait longtemps qu’ils n’avaient pas rencontré autant de fierté, de passion chez une militante. »
— Tu t’inquiètes, c’est ça ? Je vois que la demoiselle a besoin d’être rassurée ! Pour tout te dire, ce sera mon dix-septième avortement. J’ai commencé en utilisant des aiguilles à tricoter pendant la guerre, faut dire qu’on n’avait pas accès à grand-chose, à cette époque, mais depuis peu, j’utilise une sonde. Et je n’ai jamais tué personne. Je suis infirmière à la Salpêtrière. C’est un avantage, parce que je peux me procurer en douce de la pénicilline et des curettes, au cas où… Je t’expliquerai tout cela en détail, de toute façon. Tu seras allongée sur le lit de la chambre du fond.
Tenaillé par la faim, le corps de Julia criait de toutes parts, oppressé par les crampes, et éprouvé par d’insoutenables maux de dos. Elle décida de soulager son envie d’uriner. Peut-être que d’autres douleurs s’en iraient avec elle. Tant pis pour son joli tailleur. Regardant le liquide s’écouler sous elle, la jeune femme sourit en se souvenant qu’elle avait retiré ses bas le matin même. Une intuition, sans doute.