Retrouvez le coup de coeur de Julia pour "La pêche au petit brochet" de Juhani Karila aux éditions La Peuplade !
La pêche au petit brochet : https://bit.ly/3GbPyP5
Dans ce récit, l'auteur nous transporte dans son univers, nous y plonge et nous happe littéralement grâce à un effet de zoom dans lequel nous atterrissons dans un marais boueux et empli de moustiques. Elina dispose de trois jours pour pêcher un brochet et éviter que ne s'abatte sur elle une terrible sentence. Simple, me direz-vous : détrompez-vous ! Son parcours sera semé d'embûches tels que des créatures surnaturelles ou encore une inspectrice de police déterminée à l'arrêter. Une véritable course contre la montre s'enclenche et c'est avec une certaine fébrilité que nous accompagnons Elina dans sa quête.
Acceptez de vous laisser porter par la folie douce de ce récit plein de légendes, de malédictions et de monstres mythologiques.
Un premier roman particulièrement original à la fois drôle et touchant dans lequel la nature y tient une place centrale et dans lequel souffle un vent de merveilleux.
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De la végétation pointait sous le container. Achillée millefeuille, marguerites, plantain. Quand ce village avait été bâti, on avait creusé et compressé le sol. Avant de l’asphalter. Mais les plantes n’en avaient que faire. Elles transperçaient toutes les couches. Elles tiraient parti de la moindre fissure, du moindre trou, et aspiraient tous les nutriments qu’elles trouvaient dans le gravier comme si elles n’avaient jamais entendu parler de défaite.
Le rostre du moustique est un instrument magnifique, muni de six aiguilles. Il possède deux maxillaires, les perceuses, placées le plus à l’extérieur, suivies des mandibules qui maintiennent le trou ouvert et, entre elles, passe le tuyau de l’hypopharynx avec lequel le moustique injecte la salive qui empêche le sang de coaguler. Et puis il y a la paille. Le moustique suce le sang et le sépare de l’eau qu’il rejette en gouttelettes par son abdomen.
Ces appareils suceurs-reproducteurs assemblés avec raffinement s’acharnaient sur Elina par centaines.
Keijo portait en guise de chaussures une paire de fines semelles qu’il s’était peut-être procurées, des décennies plus tôt, sous le nom de tongs. En fait de pantalon, une guenille trouée au fond, sans rien en dessous. Sa chemise était d’un gris qui ne donnait aucune indication quant à sa couleur d’origine. Surmontant cet ensemble se balançait une tignasse pleine de nœuds pouvant abriter n’importe quel type de vie.
Sur un îlot boisé, de grands épicéas balançaient leurs branches, de-ci de-là au souffle du vent chétif comme si, eux aussi, cherchaient à attirer une proie. De temps à autre des oiseaux venaient s’y poser, qu’on ne revoyait plus.
Par un temps pareil, l’énergie, les êtres et les pensées circulaient entre les mondes. Ce savoir était plus ancien que le village même, que la construction des maisons en bois ou l’invention de la poudre.
(La peuplade, p.38)
On le prenait pour un toqué, car il parlait des oiseaux sur un ton chaleureux et ne faisait même pas partie de l’amicale des chasseurs.
La tourbière puait. Elle donnait l’apparence de la sécheresse, mais le pied s’enfonçait de quelques pouces à chaque pas et l’eau coulait en rigoles au milieu des herbes. Chaque décollement du talon s’accompagnait d’un bruit de succion très net comme si les jambes d’Elina étaient des sucettes au caramel que le marais lâchait à regret.
La jeune maîtresse d’Ylijaako avait toujours le nez collé dans ses bouquins quand elle était gamine. Voilà aussi qui aurait dû alerter les autres, le vice lui titillait déjà l’âme. Personne de normal ne lit autant. Et elle ne disait pas un mot de ce qu’elle lisait. Elle était comme un coffre qu’on ne cesse de remplir et remplir d’affaires, mais quand on soulève le couvercle il n’y a rien dedans. Le coffre est vide. Où est passé tout ce savoir, alors ? En Enfer !
Enfant, Elina avait demandé à Heta ce qui était arrivé à son œil. Heta lui avait répondu qu’elle l’avait placé dans une cachette secrète à Ylijaako pour pouvoir la surveiller quand elle n’était pas là. Elina avait fait des cauchemars dans lesquels elle se réveillait la nuit et l’œil de Heta reposait sur sa couette face à elle, gros comme un ballon de foot, et la fixait.
Ils parvinrent à l'étang. Celui-ci ressemblait à une fontaine à voeux laissée à l'abandon. Les nuages blancs tanguaient sur place au-dessus de ses eaux comme des navires mis à l'ancre, prêts au départ.