Donnez-leur du shampoing et du savon, ainsi que des vêtements propres, pour leur montrer qu’ils sont respectables, et fournissez-leur le livre sacré. Ils reviendront alors à nous, qui les avons aidés.
En un instant, par la grâce d'un imbécile, dont la haine avait enflé au point que son regard ne voyait plus chez ses semblables que des signes de la réprobation de Dieu, son Dieu, l'obligeant à mettre fin sans retard à cette contamination d'un mal dont il était mystérieusement préservé, j'étais devenue aux yeux des autres l'instigatrice de cette hérésie, son égérie, la femme fatale porteuse en son sein d'un futur barbu, en l'occurrence le petit Nadir qui se trémoussait sur son fauteuil de skaï en chantonnant un air idiot, entendu à la radio, plus redoutable encore dans son innocence feinte que celui qui s'était fait exploser avec son engin de mort.
Votre fonction vous oblige à bien connaître les préceptes de l'Islam de façon à réagir de façon inflexible face aux criminels qui prétendent agir au nom d'Allah. Votre rôle ne se limitera pas à des fonctions de police comme vous l'imaginiez peut-être, vous devrez défendre votre pays contre ses propres démons. Il n'est certes pas facile de lutter contre un incendie qui se déclare dans la forêt. Chacun sait qu'il faut l'arroser pour l'éteindre, sans relâche, puis noyer les braises pour l'empêcher de renaître. C'est ainsi que notre pays a retrouvé son indépendance. Nous avons chassé le colonisateur comme on lutte contre un feu dévastateur. Mais le brasier allumé par le diable est autrement plus difficile à éteindre. Tel sera votre combat. Vous devrez montrer à notre peuple comment distinguer le bien du mal, en lui servant de modèles par votre comportement exemplaire au quotidien. [...] Ne laissez jamais personne vous faire douter de votre propre foi, quoiqu'il arrive. Nous ne sommes pas des impies. Nous sommes musulmans. Nous portons la foi de notre pays. Nos ennemis sont les ennemis de Dieu !
Les potins étaient la principale distraction des femmes au hammam. Une séance n’aurait pas été complète sans son lot d’anecdotes piquantes dont la véracité importait peu. Une histoire est nécessairement vraie pour peu qu’elle soit bien racontée. On aurait pu les classer en trois catégories : celles à connotation sexuelle, assurément les plus drôles ; celles se rapportant à leur condition de femmes et aux stratégies mises en œuvre pour faire avec, et enfin toutes les autres, ayant trait à tout et à n’importe quoi, notamment la bêtise et la lâcheté des hommes. Chaque histoire pouvait être racontée autant de fois qu’un nouveau public l’exigeait, car il aurait été dommage d’en priver quiconque. La règle d’or était d’écouter la conteuse jusqu’au bout même si l’on connaissait la chute, et surtout de rire, rire encore et toujours, car les femmes étaient là pour ça.
J’avais encore peur aujourd’hui, non pas cette terreur enfantine ressentie autrefois mais l’angoisse de devoir affronter un changement imprévisible, une peur du monde inconnu, hostile et inquiétant. Je partageais sans doute ce sentiment avec les jeunes hommes qui s’accrochaient au bastingage, déséquilibrés par les mouvements erratiques de notre embarcation. Je crus un instant que mes camarades d’infortune allaient se mettre à prier eux aussi, car ils tournaient leur regard vers le ciel, avec l’air désespéré de ceux qui n’attendent plus que la pitié de Dieu. Mais ils se mirent à vomir, l’un après l’autre, rendant leur dernier repas pris au pays à la mer, en s’efforçant maladroitement de préserver l’espace du bateau et leurs voisins. Il était écrit qu’ils ne devaient rien emporter du pays.
Le rôle d'allumeuse lui est exécrable, avec comme seule issue l'emprise de l'homme excité, rendu bestial.
Les livres étaient le lieu de tous les possibles, y compris l'égalité entre filles et garçons.
Il revint régulièrement chez elle pour des lectures gratuites de versets coraniques, jusqu’au quarantième jour de deuil. Il lui apportait des mixtures composées de versets du Coran écrits à l’encre et dissous dans l’eau, ne cessant de parler du destin, et de l’heure de la mort qu’on ne peut ni avancer ni reculer. Il parvint ainsi par ses attentions répétées à reconquérir son autorité auprès de l’ensemble de la communauté, même si certains le croisaient encore avec un regard chargé d’appréhension, sinon de rancœur.
Elle se laissa aller à reprendre le refrain de Nhar Lefrak Bkit de Cheb Hasni qui passait à la radio du matin au soir. Elle était devenue plus attentive au contenu de ses chansons depuis l'assassinat du chanteur il y avait presque deux ans déjà, alors que leur mélodie suffisait à la combler de joie avant le malheur. Comment de telles paroles avaient pu conduire à tuer cet homme ? Il ne chantait que l'amour ! Il y avait sans doute autre chose, une histoire de femme peut-être ?
La tache rouge indésirable dans ma culotte avait fonctionné comme une alerte, le tintement de la sonnette chargé de me prévenir que mon bonheur d’enfant n’avait que trop duré, et qu’il était grand temps d’atterrir dans le monde bien réel des femmes, encombré des inconvénients de leur sexe. Chaque événement minuscule du quotidien viendrait désormais me rappeler que ce qui avait été autrefois permis ne l’était plus, se dénuder quand il fait chaud, sortir dehors pour jouer avec les autres, ou simplement participer aux conversations des adultes. Je devrais désormais faire attention à tout ce que je dirais. Il y avait des choses dont il ne fallait pas parler, des sujets tabous. C’est dans le regard désapprobateur des autres, singulièrement les femmes, que je décelais ces chapitres interdits qui me renvoyaient chaque fois à ma faute originelle, la faute de devenir femme.