Laetitia Argoud

Troublante, voire incompréhensible, cette scène lui parut sortir tout droit d’un film d’épouvante, où le paranormal était présent à chaque seconde. Et sans crier gare, un gémissement venu du palier la ramena à la réalité quasi instantanément. Ève sursauta et frissonna de peur.

Dans l’obscurité la plus totale, rien n’était perceptible, ou presque… Tous les volets étaient apparemment fermés, cependant, une fenêtre était bizarrement restée ouverte et la lueur qui se dégageait à travers le bois vermoulu des volets n’inspirait pas confiance.
Sur sa droite, Ève palpa fébrilement le mur du bout des doigts et parvint à déclencher l’interrupteur. Une lumière jaunâtre jaillit alors d’un lustre presque centenaire, et inonda aussitôt les lieux.

Visiblement, il devait s’agir d’un enfant, d’une fillette plus précisément. Tel un visage d’ange, son large sourire remontait jusqu’à ses oreilles. Et son regard pétillant, couleur océan, rappelait celui de Jules.

Quelque chose qui te ferait plaisir, comme un jouet que tu aimerais avoir… Ou plus simple, quelque chose qui te ressemble ! Ou bien encore… Quelque chose qui te manque… Quelqu’un que tu aimerais revoir…

On aime aussi dessiner, puis afficher fièrement les œuvres sur les murs de sa chambre, tel un trophée inestimable.

Peu importe le milieu social dans lequel on grandit, peu importe les personnes avec qui l’on vit, lorsqu’on a dix ans, on aime être entouré de sa famille.

Certes, Jules n’était qu’un enfant, mais il avait grandi en restant lui-même, comme si l’argent dont sa famille disposait ne l’atteignait pas. Comme si tout ce luxe ne l’ébranlait pas d’un millimètre. Il était resté lui, un jeune garçon simple et a priori, jovial. Finalement, Jules était loin, très loin, de l’image qu’Ève s’était faite de lui.

Jules n’est pas un mauvais garçon, il vit dans sa bulle, c’est tout. Il a juste besoin qu’on prenne soin de lui. Et moi, j’ai besoin de repos… Depuis le drame, je me suis occupée de lui jour et nuit, en me disant que personne d’autre que moi ne pouvait l’aider.

Les moqueries, les insultes dues à son mutisme, il n’en avait pas besoin. Et puis, nous avons les moyens, alors pourquoi s’embêter avec ça ?

Il est simplement devenu muet… Le choc, l’émotion de perdre toute sa famille, ça a été trop dur à encaisser pour lui… Et puis, à l’époque, il n’avait que cinq ans…

Entre jalousie et frustration, elle tenta de se convaincre que ce qu’elle avait à partager avec les gens, ce qu’elle avait à offrir, était bien plus important que tout l’or du monde. Et elle avait hâte de commencer.

Elle qui n’avait jamais eu de quoi subvenir intégralement à ses besoins, elle qui avait dû réclamer une bourse pour pouvoir envisager ses études, et avait dû faire face au suicide de sa mère seule. Pour elle, la vie n’avait été que déceptions et misère. Et en découvrant ce vaste domaine, elle se rendit compte que pour d’autres, la vie avait été une réussite. Un cheminement de succès, telle une effigie à leur gloire.

Ève avait eu l’étrange impression de s’être transportée dans un conte de fées, mais en même temps, ce lieu lui paraissait étrangement vide et silencieux, trop silencieux… Rien ne dépassait, rien n’avait l’air d’avoir été déplacé, comme si aucune âme ne vivait ici…

Et malgré le fait que ce petit bolide ne reflétait pas l’image honorable qu’elle aurait souhaitée à ce moment-là, Ève était bien heureuse de l’avoir. Car sans sa Clio aux couleurs décrépites, elle n’aurait jamais pu se rendre à son rendez-vous, au domaine des Delenoy, en plein cœur du massif de la Clape…

Au fond d’elle-même, Ève n’était pas dupe. Elle avait compris malgré elle qu’il lui faudrait passer par des petits boulots avant d’obtenir l’emploi de ses rêves, son Graal.
Ève était jeune, elle n’avait que vingt ans. Fraîchement diplômée, elle ne disposait d’aucune expérience dans son domaine et sans cet atout essentiel, aucune entreprise à laquelle elle avait postulé n’avait daigné la recevoir à un quelconque entretien.

Ses yeux, tout aussi sombres et ténébreux, renvoyaient la noirceur de son enfance. Et son visage pâle révélait le manque de soleil, de chaleur, et de gaieté peut-être, qui habitait son âme.

Ses sourires de façade, ses pensées positives sur l’avenir qui se profilait pour toutes les deux… Pour la jeune fille, les paroles de Nathalie n’avaient été que mensonges, fumisterie.

Malgré ça, Nathalie était une mère aimante avant tout, elle ne souhaitait que le bonheur pour sa fille, et rien d’autre. Mais le courage qui la nourrissait autrefois s’était envolé, et l’errance dans laquelle elle survivait pesait lourd sur ses épaules. Alors un matin, sans comprendre réellement pourquoi ni comment cette idée lui était venue à l’esprit, sa mère avait commis l’irréparable en se jetant sur la voie ferrée.

Rester assise, statique, à devoir expliquer à maintes reprises le détail du ticket de caisse à des clients récalcitrants qui la rabaissaient, voire l’humiliaient, par plaisir, et pour souvent quelques centimes d’euros.
Ève n’avait jamais souhaité travailler dans ce milieu, le commerce et la grande distribution. Son rêve était ailleurs.
Toute petite déjà, elle aimait être en contact avec les animaux, la nature, et plus généralement le monde qui l’entourait. Apporter son aide, se sentir utile au travers d’actions bienfaitrices centrées sur des valeurs humaines, voilà le but qu’elle s’était fixé.
Ainsi, des années plus tard, elle avait entrepris des études liées au social, à l’enfance et à la psychologie.
Analyser, comprendre et aider, voilà ce à quoi elle aspirait désormais. Mais la vie n’était pas aussi simple,

Analyser, comprendre et aider, voilà ce à quoi elle aspirait désormais. Mais la vie n’était pas aussi simple,