Laetitia Argoud

Rester assise, statique, à devoir expliquer à maintes reprises le détail du ticket de caisse à des clients récalcitrants qui la rabaissaient, voire l’humiliaient, par plaisir, et pour souvent quelques centimes d’euros.
Ève n’avait jamais souhaité travailler dans ce milieu, le commerce et la grande distribution. Son rêve était ailleurs.
Toute petite déjà, elle aimait être en contact avec les animaux, la nature, et plus généralement le monde qui l’entourait. Apporter son aide, se sentir utile au travers d’actions bienfaitrices centrées sur des valeurs humaines, voilà le but qu’elle s’était fixé.

Soutenir, redonner de l’espoir, là était son but à présent.
Après avoir retrouvé Kate, la chair de sa chair, Monique avait compris qu’à son tour, elle pouvait se rendre utile, à sa manière… Et en tendant l’oreille sur la conversation que Jennifer avait eue avec Daryl Merey, Monique avait conforté son pressentiment. Et si sa fille devait dès lors se rendre sur les lieux du drame afin de tenter de retrouver ce jeune homme, Monique ne pouvait être plus comblée.

Un simple message suffirait, elle ne voulait pas s’éterniser plus longtemps en spéculant à tout va. Elle n’en avait plus la volonté, c’était un fait.
Ainsi, tout en rédigeant un court SMS, elle se leva, rangea son ordinateur dans sa minuscule valise qui ressemblait plus à un sac à dos d’écolier, puis déposa sa tasse dans l’évier de la cuisine.

Les deux adolescentes avaient tant à réaliser, tant à découvrir… Toutes ses années gâchées, réduites à néant en l’espace d’une seconde. Tel un ouragan dévastateur, leur jeunesse avait été soufflée, dérobée. Et rien ni personne ne le leur rendrait. Seul le temps atténuerait sa peine et enfouirait ses années de maltraitance. Quant à la colère, la haine qu’elle éprouvait à l’égard de son bourreau, rien ne l’effacerait non plus.

Et si pour m’en sortir, pour tirer un trait sur le passé, supprimer ce qui me consume jour après jour, il fallait simplement que je replonge dans mes propres blessures ? s’interrogea intérieurement la jeune femme.

Ces voyages, ces fêtes, ces moments uniques qui lui semblaient si précieux aujourd’hui.
Sur les clichés, les sourires, la joie, le bonheur resplendissaient. Et à chaque fois qu’elle pénétrait dans ce lieu, Jennifer sentait tous ces regards posés sur elle. Et l’amour qui en émanait était, après réflexion, tout ce dont elle avait besoin à présent…

La solitude, le renouveau, voilà ce qui l’aiderait à tourner la page et ce à quoi elle aspirait désormais.

Renouer avec sa fonction de journaliste en griffonnant des articles aromatisés à l’eau de rose, voilà ce qui l’attendait désormais. En soi, rien de très exaltant aux yeux de Jennifer mais cela lui permettrait d’avancer, de se décharger du poids qui encombrait ses épaules depuis trop longtemps.
Les regrets, la culpabilité, son passé douloureux le lui rappelaient sans cesse. Alors, après avoir sagement pesé le pour et le contre, Jennifer allait sauter le pas en retournant vivre à Toulouse.

Seule face à ses difficultés après la mort de son époux, Jennifer avait rapidement baissé les bras en renonçant à ce qui les avait détruits.
Toutes ces enquêtes, ces criminels qui leur tournaient autour et qui représentaient bien plus qu’un simple danger…

Mais dans ce cercle vicieux qui leur demandait toujours plus d’efforts et de sacrifices, le couple d’enquêteurs s’était brûlé les ailes.
Toujours en chasse, ils opéraient sans relâche parmi les dangers et les obstacles de leur quotidien. Et jamais aucun des deux n’avait regretté ce choix, cette décision commune.
Travailler ensemble, prendre des risques mutuellement, pour vivre finalement au jour le jour, sans savoir où cela les emmènerait et ce que leur réservait l’avenir…

Au regard des articles chocs qu’elle avait rédigés pour le journal, tant sur la tragédie des jeunes filles kidnappées que sur la série de meurtres perpétrés à Collioure, M. Igor avait décelé en elle ses compétences, ses facilités à retracer les faits.

Jennifer était lasse, sa peine l’avait vidée de toute son énergie, de toute sa joie de vivre. La perte de Logan l’avait sensiblement fragilisée et les mois qui s’étaient écoulés depuis le meurtre de son mari avaient été l’une des épreuves les plus dures à traverser de toute sa vie.
Brusquement, elle se leva et fit quelques pas sur le perron, le visage fermé. Puis elle se murmura d’une voix décidée, comme pour mieux se convaincre, prendre enfin une décision et en accepter le choix… J’accepte… Que puis-je faire d’autre dýýýye toute façon ? Ai-je raison ou tort ? Seul l’avenir le dira…

À chaque couinement de la chaise, Jennifer percevait un nouveau flash, revivant malgré elle une période de sa vie à travers de vieux souvenirs remplis d’émotions et où ses flash-back étaient tantôt joyeux, tantôt douloureux…

Déconnectée de la réalité face à la violence de ses émotions, il lui avait fallu plusieurs jours, plusieurs semaines, avant de réaliser les dégâts que cela avait causés sur sa vie.

Le silence pesant de ces longues années avait enfin cessé et le mystère de sa disparition s’était dissipé.
Revoir sa sœur de ses propres yeux, la serrer dans ses bras, jamais Jennifer n’avait été aussi près du but.
Courant à toute allure auprès de Kate, Jennifer sentit une chaleur étouffante l’envahir, lui réchauffer le corps et le cœur.

Prendre du recul, rester objective, telle était la difficulté qui pesait sur ses épaules depuis la découverte de la lettre. Et pour mieux percevoir la vérité, elle [Gabriella] devait faire le vide et ne garder que l'essentiel ...

Sans réfléchir, il tira violemment sa femme contre lui et, de son autre main, lui saisit le cou. Suzie poussa un cri de stupeur et tenta de le repousser, en vain. Mike l’empoigna alors de toutes ses forces et la fit se rabattre au sol. Telle une proie cernée de toutes parts, elle glissa sur les gravillons du jardin sans se débattre, les yeux exorbités. L’oxygène commençait à lui manquer.

Jouer son rôle de femme modèle, fidèle et bienveillante, Suzie avait longtemps tenu cette ligne de conduite, sans jamais faillir. Mais la vie en avait décidé autrement et l’heure de faire tomber le masque était arrivée.

Dans sa projection, Mike avait également prévu un « après Hugo ». Sa propre vie et celle d’Hugo, une fois qu’il serait mort. Les alibis, les explications qu’il donnerait si on le questionnait… Cacher ses crimes et vivre comme si tout cela n’avait jamais existé, comme si Suzie et Hugo n’avaient jamais existé...

Cette maison, Mike y avait vécu et grandi, il la connaissait par cœur. C’était celle de ses parents, c’était la sienne. Tous les moindres recoins de cette habitation étaient mémorisés dans sa tête, tel un formidable labyrinthe.
Discrètement, il scruta méthodiquement chaque pièce à la recherche d’Hugo, puis il pénétra dans la cuisine.
S’emparant d’une bouteille de jus d’orange placée dans le frigo, il la décapsula et y vida le contenu d’un petit flacon de poudre blanche. Souriant à pleines dents, Mike exulta et se félicita des conséquences que cela entraînerait. Une mort lente et asphyxiante, douloureuse et angoissante… Tout est parfait !