Je fleurais bon l'esprit français, plutôt que la naphtaline. J'avais gagné ma place sur la devanture aux côtés de la baguette croustillante, des grands crus classés, du saucisson sec, du camembert normand, du 5 de Chanel et du béret basque. Je devenais fréquentable. (p. 46)
Courant de salon littéraire en signature chez les libraires depuis des mois, jouant les cautions intellectuelles dans des émissions que je ne regardais jamais, mon avis sollicité sur tout et n'importe quoi, lisant dans la presse des portraits de moi qui me décrivaient comme un séducteur à l'impertinence redoutable et à l'ironie mordante, ma vie m'échappait de plus en plus. Et progressivement, l'angoisse s'invita à la table de mes silences intérieurs.
Pressentiment ? Une pensée fugace, un simple effleurement fit son apparition. Celle qu'Alexis m'avait subtilisé mon identité. Sueurs froides et remontées de bile commencèrent à blanchir mes nuits.
L'écriture d'un livre est une période hors du temps. Suspendue entre deux dimensions. Celle de l'imaginaire et celle de la réalité. Connectée à une fréquence particulière, ténue, ne souffrant aucune interférence. (p. 122)
— L'imposture du Sphinx est un roman écrit par Alexandre Maigine. Pas une autobiographie ! Un roman ! La crédibilité d'Alexis a grignoté la mienne. Je veux remettre les pendules à l'heure. Je l'ai conçu comme une caricature. Pas comme mon reflet. Voilà pourquoi dans le second opus, j'ai accentué le trait, le noircissant à dessein. Alcool, drogue, sexe facile... Un gouffre le sépare de moi, tout le monde sait - et pour cause, c'est étalé dans tous les journaux - que je ne suis pas ainsi. La confusion entre nous ne sera plus possible.
Se duper soi-même n'est pas très compliqué, il suffit de puiser dans son orgueil, et parfois dans l'alcool. Duper les autres est encore plus simple. Il suffit de jouer sur les apparences. Je fis les deux.
Mon esprit sut très bien entretenir l'illusion que j'avais recouvré toutes mes forces, que j'avais encaissé les chocs. Ceux de la rupture avec Cécile, de sa liaison avec Minval, de sa grossesse. C'est pourtant à cette période-là que se produisit ma véritable dégringolade. Et elle fut vertigineuse.
La vérité, a fortiori quand elle est évidente, prend souvent des chemins de traverse avant de s'imposer à l'esprit. Le pire de ces chemins-là étant celui des sentiments. (p. 89)
Je répondis à des centaines de questions, croisai des centaines de visages, serrai des centaines de mains. Et me découvris beaucoup d'amis dont j'ignorais l'existence. (p. 37)
Certaines réalités imposent leur loi. La seule marge de manœuvre qu'elles laissent réside dans la plus ou moins grande dignité avec laquelle on les affronte. (p. 154)
J'en avais plus qu'assez que l'on ne me voie plus qu'à travers ce personnage dont j'étais par ailleurs contraint d'écrire la suite des aventures.
Famille, amis, lecteurs, critiques, qu'avaient-ils donc tous à nous confondre l'un et l'autre ? Les apparences sont trompeuses, c'est là une vérité couramment admise. Sauf en ce cas présent. Pour tous, j'avais l'apparence d'Alexis donc j'étais Alexis.
— Les éditions du Miroir, c'était ton père. Et ce qui me liait à lui n'avait rien de contractuel. Tu le sais pertinemment. Tu es peut-être un Vaudreuil, mais tu n'es pas Vaudreuil. Je te laisse à tes contrats, tes catalogues, tes références et tes bilans comptables. À tes chiffres. Plus rien ne me retient ici. Je repasse de l'autre côté du miroir. Celui des lettres.
LX se décomposa.