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Citations de Laurent Pépin (111)


Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer.
(Incipit)
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Et on ne peut pas se retrouver car sa chambre est à l'intérieur des murs sans portes et il n'y a pas d'entrée. Maintenant, je dois sortir du lit et hanter les couloirs en criant la nuit pour chasser les démons, et je ne peux pas dormir, et après je suis fatiguée, et je suis énervée. Je sais que Colombe-Blanche a peur, elle aussi. Mais parfois, j'oublie qu'elle existe et elle n'existe plus. Alors
je suis seule. Pour de vrai. Et je meurs tout le temps..
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J'y construirai une maison nomade posée sur rondins de bois qui rouleront sur les vagues de sable. Il y aura une salle des machines et un gouvernail. Il n'y aura pas de canon, car les Monstres n'existeront plus.
Ce sera gai. Je n'aurai plus besoin de mourir tous les huit jours pour me sentir moins seul, car il y aura des gens qu'on pourra rencontrer. Et on entendra le désert chanter, la nuit.
Alors mon corps se soulèvera, comme une montagne qui s'amuse. Et je jouerai à la marelle avec les zéphyrs et les alizés.
En plissant les yeux, à cause des grains de sable.
Je serai vivant.

Et alors, peut-être, elle reviendra.
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J’y suis allé, moi, à la fin du monde. Seulement, il ne faut pas croire, il n’y avait rien, après.
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Blanche-Colombe, par exemple, me déposait régulièrement son tamis de vent agglutiné qui lui servait à passer le temps, afin que je le répare. Je partais alors capturer les aquilons et les papéliotes en bas âge, dans le parc, avec une éolienne de poche, puis j’enfermais les vents dans le tamis.
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J’avais horreur de la résonance de mes propos dans l’esprit de ma psychiatre. Elle les convertissait automatiquement en termes de raisonnements pathologiques à épurer.
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Le sel coulait de ses yeux, sans eau, laissant des sillons arides sur ses joues. Son squelette tout entier semblait animé par le seul souffle de sa détresse, qui soulevait ses côtes comme des vagues dures contre son flanc.
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Et pendant que les voyageurs parlaient, on buvait avec eux. Mais il fallait faire attention au choix des boissons, parce que certaines permettaient de se remémorer l’époque où l’on était mort, quand on était petit.
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J’étais envahi par ma propre personne et je ne faisais attention à toi que dans la mesure où j’en avais besoin. J’ai aspiré ton énergie vitale et si tu n’étais pas partie peut-être que tu serais morte…
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Parce que nous ne sommes plus des inventeurs de mondes et que nous errons en regardant se dissoudre la langue les paroles écroulées, abattues comme des oiseaux morts à nos pieds…
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Et quand je suis avec toi, quand tu me touches, je sens mon corps qui se leste de plomb, comme le tien, qui devient lourd, envahi par la matière, je ne peux même plus partir... Là où je vais quand je suis seule, quand je fais le vide... Et il y a des couleurs qui disparaissent... Ce sentiment océanique, l'adhésion à un monde plein, disponible, fait d'impressions oubliées et tout à coup ressurgies, d'images vives, de résurgences archaïques, tout ça s'efface... Tu sais, par exemple, les souvenirs de papier glacé d'hiver comme des petits avions froissés? Tout ça s'en va... Quand je suis avec toi...

Et moi, je ne disais rien, pétrifié. Des larmes coulaient seulement de mes yeux, sans s'en rendre compte...
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En tout cas, j’étais fier de mon intronisation auprès d’eux. À présent que je faisais partie des leurs, ils m’avaient d’ailleurs confié quelques-uns de leurs secrets. J’avais appris, par exemple, qu’ils quittaient régulièrement le Centre, à l’heure des ombres. Qui à cheval sur un mouton d’écume, qui traversant des catacombes secrètes, d’autres encore attachés aux pattes d’oiseaux de nuit, ils s’en allaient rendre visite aux enfants malades.
Peut-être parce que je leur avais lu Les Araignées, de Boris Vian, en leur expliquant ce que voulait dire ce poème : les enfants malades veillés par les vieilles personnes n’y meurent pas de leur maladie, mais leur maladie est elle-même une construction des vieilles personnes qui engendre leur mort.
Alors, les Monuments s’en allaient et entraient par les fenêtres des enfants malades pour leur faire le récit de vies extraordinaires, de trouvailles miraculeuses : ils réveillaient l’imagination éteinte des enfants malades de la pensée filtrée. Puis ils revenaient et n’en parlaient plus. Sauf, à demi-mots, dans mon bureau.
Et parfois, ils ne rendaient pas visite aux enfants. Quand la pensée était trop lisse, qu’il n’y avait plus de prise pour y accrocher les émotions humaines et que la pesanteur s’en trouvait si complètement altérée qu’on ne pouvait plus marcher droit, ils s’amusaient à terrifier leurs parents. Enfin, ils considéraient cela comme leur devoir, mais il me semble tout de même que ça les amusait beaucoup. Ils les réveillaient en pleine nuit, dans leur chambre d’honnêtes gens anesthésiés, et ils leur parlaient des fantômes des noëls passés ou de la vieillesse en gelée qui vit dans la télévision. Je savais qu’ils pouvaient être très impressionnants. Si les honnêtes gens étaient trop sages, ils les secouaient doucement. C’était nécessaire. Et ils n’aimaient pas abîmer leurs affaires, mais en prélevaient des échantillons qu’ils rapportaient au Centre.
Quelques jours plus tard, ils retournaient voir les enfants. S’ils n’étaient plus malades et que leurs pensées avaient brisé leurs chaînes, il y avait des sourires d’enfants qui se dessinaient dans les fines particules au-dessus des oreillers, pour indiquer qu’ils rêvaient. Il faisait nuit, mais les sourires d’enfants qui rêvent projettent toujours une lueur pâle autour d’eux quand il y a des Monuments. Alors les Monuments rapportaient aux parents les échantillons de leurs affaires, emballés comme des cadeaux de Noël. Normalement, les enfants n’étaient plus malheureux, après.
Cependant, parfois, cela ne fonctionnait pas, lorsque les circonstances familiales étaient compliquées. Peu après, certains parents disparaissaient, sans laisser de trace. Comme ça, le hasard. Ou alors, les Monuments avaient simplement fait leur travail.
Puis, l’on pouvait voir des sourires revenir dans la chambre des enfants…
Certes, j’étais le plus souvent incapable de les suivre, n’étant en somme que novice dans le registre de la décompensation poétique, et mon esprit se perdait rêveusement au fil de l’onirisme ambiant.
En somme, j’étais là où je devais être depuis que je vivais dans le Centre. Même si je n’ai jamais cessé d’y penser avec nostalgie, comme si je savais déjà que cela prendrait fin prochainement.
Je savais que je devrais quitter le Centre, mais un retour à la vie normale me terrifiait.
Parce qu’il signifiait devoir réapprendre à faire avec moi-même et mes petits passagers clandestins…
À moins que…
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Avant, je croyais que tous les enfants étaient élevés parmi les Monstres. Du temps de mes études, je pensais même que l’on devenait psychologue pour aider ceux-ci à devenir des Elfes ou des Monuments. En ce temps-là, il est vrai, les dispositifs de purification de l’esprit cohabitaient encore avec les traditions humanistes dans les services pour patients volubiles…
Par exemple, j’ai toujours considéré que mon métier de psychologue consistait, en quelque sorte, en un poste d’assistant auprès d’inventeurs. Cela me semblait le seul positionnement défendable. Mais aujourd’hui, ce n’est plus cela qu’on nous demande. On attend du psychologue qu’il entrave l’avènement de la pensée singulière. On nous impose même des outils de mesure : on estime la quantité de pensée singulière d’une personne par rapport à une norme établie par des experts. Ensuite, en fonction des résultats, on la filtre à l’aide des nouvelles méthodologies en vigueur.
L’évaluation de l’efficacité de notre action est simplifiée par le fait qu’il n’existe plus que deux théories dans la psychiatrie contemporaine : si le patient n’obéit pas, c’est qu’on n’a pas crié assez fort, ou bien qu’on n’a pas tous crié de la même façon. L’idée forte, dans les deux cas, se résumant au fait que le sujet ne serait rien d’autre que la réponse inversée de la consigne qu’on lui a donnée. Les tenants des deux théories organisent des colloques, ils débattent, mais dans l’ensemble, ils s’entendent bien. Sur le terrain, pour faire consensus, on nous demande donc de crier tous très fort et de la même façon.
Et si ça ne suffit pas, on asperge les patients d’anesthésiant…
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J’habitais dans le service pour patients volubiles depuis ma décompensation poétique. Au fond, je crois avoir toujours su que cela se terminerait ainsi. Peut-être parce qu’il s’agissait du dernier lieu susceptible d’abriter une humanité qui ne soit pas encore réduite à une pensée filtrée suivant les normes d’hygiène. Ou plus simplement, parce qu’il n’y avait plus de place ailleurs dans le monde pour un personnage de conte de fées.
Je dois pourtant reconnaître qu’il n’y avait rien eu de féérique dans les événements qui avaient présidé à mon admission : ma rencontre amoureuse avec une Elfe avait terriblement mal tourné, et les Monstres de mon enfance en avaient profité pour ressurgir. Je m’étais retrouvé plongé à nouveau dans le désert de ma venue au monde, un monde étranger et dangereux, où je ne savais pas bâtir. Sur ma langue desséchée, les mots mouraient ou devenaient fous. Et parfois, mon corps se déchirait, sans savoir pourquoi.
Très rapidement après mon arrivée, cependant, le contact des Monuments m’avait permis de rapprivoiser la parole en m’enveloppant de leurs mots et de leurs images, avec lesquels ils fabriquaient le monde dans lequel ils vivaient. C’était une énergie constante, éminemment réconfortante. Puis, les Voix dans ma tête avaient appris à se taire. En tout cas, quand il le fallait. Et je pouvais désormais scruter pleinement le champ spectral sans craindre à tout moment d’y voir apparaître mes ombres familières.
Mais je savais pertinemment que je faisais tache pour la direction du Centre. D’après nos archives officielles, c’était d’ailleurs la première fois qu’un salarié s’y trouvait interné. Cela tombait d’autant plus mal que le service pour patients volubiles était en pleine mutation : il avait rompu pour de bon avec sa tradition asilaire au profit de nouvelles méthodes thérapeutiques consistant pour l’essentiel à l’élaboration d’un système de filtration de la pensée des patients. En somme, la psychiatrie ne prétendait plus offrir droit de cité aux décompensations poétiques des Monuments, mais concevoir des dispositifs d’épuration de la marge…
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Au fur et à mesure, mes yeux se décollaient de leurs sables mouvants et étincelaient de la beauté du monde qui s’ouvrait alors…
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On attend du psychologue qu'il entrave l'avènement de la pensée singulière. On nous impose même des outils de mesure : on estime la quantité de pensée singulière d'une personne par rapport à une norme établie par des experts.
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C'est terrible, la pensée filtrée...Parce qu'il n'y a plus rien, tout simplement. Plus d'image ni de parole. Les rêves n'ont plus de pattes ni d'ailes. Ils tombent au sol et s'assèchent...
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On aimait bien ça, jouer aux Monstres dans le noir : on prenait des airs d'écoliers, les yeux baissés, tout penauds, et on les regardait s'agiter et rugir en nous livrant leurs récits.
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A présent que je faisais partie des leurs, ils m'avaient confié quelques-uns de leurs secrets. J'avais appris, par exemple, qu'ils quittaient régulièrement le Centre à l'heure des ombres. Qui à cheval sur un mouton d'écume, qui traversant des catacombes secrètes, d'autres encore attachés aux pattes d'oiseaux de nuit, ils s'en allaient rendre visite aux enfants malades.
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Il y a des éléments, à un certain niveau, qu'on ne peut plus dévoiler aux autres. Parce que, sinon, personne ne voudrait plus connaître personne.
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