Hydrothérapie
Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante,
A couronné son chef d'un casque d'hidalgo
Qui, malgré sa bedaine ample et son lumbago,
Lui donne un certain air de famille avec Dante
Ainsi ses membres gourds et sa vertèbre à point
Traversent l'appareil des tuyaux et des lances,
Tandis que des masseurs, tout gonflés d'insolences,
Frottent au gant de crin son dos où l'acné point.
Oh ! l'eau froide ! oh ! la bonne et rare panacée
Qui, seule, raffermit la charpente lassée
Et le protoplasma des sénateurs pesants !
Voici que, dans la rue, au sortir de sa douche,
Le vieux monsieur qu'on sait un magistrat farouche
Tient des propos grivois aux filles de douze ans.
( Au pays du mufle - 1891)
Depuis le jour illustre où, vainqueur d’Antoine et rapportant à Rome, avec le trésor des Ptolémée, une gloire qui, désormais, n’aurait plus de compétiteurs ni de jaloux, Octave, à son retour d’Actium, ferma le temple de la Guerre et, mettant fin aux discordes civiles, annonça la « Paix Romaine » à l’Univers ! depuis le jour où, souveraine du Monde, ayant détruit Carthage et maîtrisé la Gaule, la Ville de César, après un labeur plusieurs fois séculaire, entra dans sa magnificence et promulgua des lois, tous les peuples qui, tour à tour, sont entrés dans l’Histoire, ont eu l’ambition de fermer, comme Auguste, le Temple symbolique, de fonder pour toujours l’ère du travail et de la paix.
Les plus rudes soldats, les tragiques moissonneurs de cadavres, les guerriers pour qui la bataille est un jeu où s’accoise leur manie homicide, ont eux-mêmes, entre deux carnages, appelé ces jours bénis. Les princes politiques et les furieux capitaines en ont uniformément rêvé. Charles XII et Napoléon, Cromwell et Frédéric le Grand, au milieu des gestes sanguinaires, des hécatombes humaines, des sièges, des combats, des sacs et des exterminations, tendaient à l’apaisement universel, demandaient aux armes la réalisation d’un idéal pacifique, la réunion de tous les hommes dans le même bercail, sous la houlette d’un pasteur magnanime et triomphant. Cette ambition des rois, des princes, des chefs militaires, les peuples, aujourd’hui, l’ont reprise à leur compte. Justement parcimonieux de leur vie et de leur fortune, ils demandent, pour trancher leurs différends et juger les procès de nation à nation, un tribunal plus équitable, une justice plus humaine que le hasard des combats. Au patriotisme étroit, agressif et borné des époques lointaines succède le patriotisme intelligent, respectueux du droit universel, qui n’estime pas absolument nécessaire de tuer ou de mourir pour vider une querelle et revendiquer son bien. Le pacifisme a conquis les plus nobles intelligences, ému les cœurs d’un zèle fraternel. La Conférence de La Haye, où savants, hommes d’État, légistes et docteurs ont préparé le Code pacifique, la législation qui mettra fin aux victoires sanglantes, aux entreprises meurtrières, marque une étape glorieuse de l’Humanité.
SONNET
Ton col surgit du sein comme une tour d’ivoire,
Jeune homme ! Les anneaux sombres de tes cheveux
Flottent sur sa pâleur, liquides et plus bleus
Que la Nuit aux yeux d’or en sa robe de moire.
Sous le maigre habit noir, tes flancs purs et nerveux
Des marbres consacrés éternisent la gloire,
Et ta bouche sanglante est le tiède ciboire
Où revit la senteur des chrêmes fabuleux.
Ton beau corps cependant, aux lignes cadencées,
Jamais n’assouvira l’amour des fiancées ;
Tes larges yeux, pareils aux gouttes de la mer,
Ne descendront jamais de leurs ciels poétiques
Où rêve dans le chœur des éphèbes antiques
Narcisse, l’enfant blond qui mourut de s’aimer.
Vitraux
TRISTESSE AU JARDIN
Le doux rêve que tu nias
Je l’ai su retrouver parmi
Les lys et les pétunias,
Fleurs de mon automne accalmi.
Mon rêve, par les allées,
Cueille des branches d’azalées.
La vigne pourpre aux raisins bleus
Festonne les murs du jardin
Où niche maint oiseau frileux
Sous le feuillage incarnadin.
Mon rêve, par les allées,
Cueille des branches d’azalées.
Dans le bassin qu’elle verdit
L’eau pleure inconsolablement
Et, mélancolique, redit
Les mots trompeurs de ton serment.
Mon rêve, par les allées,
Cueille des branches d’azalées.
Automne ! Deuil précoce et doux !
Sous le ciel aux feux apaisés,
Les languissantes roses d’août
Gardent l’odeur de tes baisers.
Voici que, par les allées,
Meurent les blanches azalées.
p.198-199
Si le Jour de l'an, Saint-Nicolas, si Noël, dernier terme de l'année civile ou, pour mieux dire, anniversaire de l'Astre nouveau né ; si, plus tard, les fêtes du Carnaval et de Pâques suspendent pour quelques heures, les haines et les rivalités du monde occidental ; si la table de famille, quand arrivent ces dates indulgentes, groupe autour des mets nationaux les peuples de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne ; si le gui, que les prêtres de Wotan, les Vellédas en robe blanche, cueillaient avec la serpe d'or, présage le bonheur aux promis du vingtième siècle, c'est que par un miracle de force et de beauté, le culte du Soleil persiste en dépit des traditions ineptes, des sacrements, de la théologie et des sinistres balivernes en faveur chez les chrétiens. Il rayonne encore, tandis que lentement, s'efface le crépuscule de tous les autres dieux.
Hélène
Des âges révolus j'ai remonté le fleuve
Et, le cœur enivré de sublimes desseins,
Déserté le Hadès et les ombrages saints,
Où l'âme d'une paix ineffable s'abreuve.
Le Temps n'a pu fléchir la courbe de mes seins.
Je suis toujours debout et forte dans l'épreuve,
Moi, l'éternelle vierge et l'éternelle veuve,
Gloire d'Hellas, parmi la guerre aux noirs tocsins.
O Faust, je viens à toi, quittant le sein des Mères !
Pour toi, j'abandonnai, sur l'aile des chimères,
L'ombre pâle où les Dieux gisent, ensevelis.
J'apporte à ton amour, du fond des cieux antiques,
Ma gorge dont le Temps n'a pas vaincu les lys
Et ma voix assouplie aux rythmes prophétiques.
S’il existait encore un sauvage, comme le Huron de Voltaire, indemne de nos erreurs et de nos préjugés, un homme simplement homme devant la Nature, homme ne connaissant du vieux monde ni les alcools frelatés, ni le général Marchand, ni la contagion syphilitique, ni les missionnaires, ni les gazettes, un homme enfin que n’aveugle aucune des tares léguées par deux mille ans de christianisme, il serait à peu près impossible de représenter à cet ingénu en quoi consiste la mécanique et le recrutement des armées permanentes.
À mesure que s’efface l’idée ancestrale de patrie, et les dogmes qui séparaient les nations, et les frontières naturelles qui circonscrivaient l’héritage des peuples, il semble que la tyrannie absurde et malfaisante de la chose militaire devienne plus oppressive et plus cruelle. Au temps où nous vivons, la force du militarisme résulte de l’organisation débilitante qui métamorphose le soldat et l’officier en ronds-de-cuir sustentés par le contribuable au même titre que les rats-de-cave ou les gabelous, organisation dont l’importance grandit à mesure que décroissent les instincts belliqueux. Le monde moderne harnache d’autant plus de militaires qu’il enfante moins de guerriers. Jadis, quand le courage personnel faisait partie des vertus requises pour tuer les hommes en bataille rangée ; quand il fallait apporter dans le carnage cette forme de bravoure qui jette aveuglément la brute sur son ennemi et que l’homme partage avec les plus immondes carnassiers ; quand la guerre n’était pas une destruction méthodique ordonnée par des ingénieurs et des chimistes, un fléau d’ordre expérimental que déchaînent les laboratoires ; quand, pour donner la mort, il fallait s’offrir aux coups de l’adversaire et le combattre face à face, la soldatesque n’était pas ce que plus tard elle devint : une source de ruines, un chancre dévorateur, un ulcère qui détruit les forces économiques des pays civilisés.
Sonnet liturgique
Dans le nimbe ajouré des vierges byzantines,
Sous l'auréole et la chasuble de drap d'or
Où s'irisent les clairs saphirs des Labrador,
Je veux emprisonner vos grâces enfantines.
Vases myrrhins ! trépieds de Cumes ou d'Endor !
Maître-autel qu'ont fleuri les roses de matines!
Coupe lustrale des ivresses libertines,
Vos yeux sont un ciel calme où le désir s'endort.
Des lis! des lis! des lis! Oh! pâleurs inhumaines !
Lin des étoles! choeur des froids catéchumènes !
Inviolable hostie offerte à nos espoirs!
Mon amour devant toi se prosterne et t'admire,
Et s'exhale, avec la vapeur des encensoirs,
Dans un parfum de nard, de cinname et de myrrhe!
Ballade de la génération artificielle
Méphistophélès. — Un homme ! Et quel couple
amoureux avez-vous donc enfermé dans la cheminée ?
Wagner. — Dieu me garde ! L’ancienne mode
d’engendrer, nous l’avons reconnue pour une véritable
plaisanterie. — … Nous tentons d’expérimenter
judicieusement ce qu’on appelait les forces de la Nature ;
et ce qu’elle produisait jadis organisé, nous autres, nous
le faisons cristalliser.
Gœthe. — Le second Faust.
Wagner, chimiste qu’exténue
Le grimoire du nécromant,
Distille, au fond de sa cornue,
La salamandre et l’excrément,
Et le crapaud que, doctement,
Assaisonne la verte oseille.
Pour que soit clos, en un moment,
L’homuncule dans la bouteille.
Catarrheux, il étreint la Nue.
Fi de la Belle-au-Bois-Dormant !
Fi de la galloyse charnue,
Du mignon et de la jument !
Gaûtama ! le renoncement
Absolu que Ton Doigt conseille
Préside à cet accouchement :
L’homuncule dans la bouteille.
Plus de vérole saugrenue !
Plus d’argent-vif ou d’orpiment !
Hélène, avec sa beauté nue,
Intoxique le jeune Amant.
… vous donc tout simplement,
Au coin du feu, sous une treille ;
Puis décantez modestement
L’homuncule dans la bouteille
Envoi
Fleur des gitons, Prince Charmant,
Nonpareille est cette merveille
Offerte à votre étonnement :
L’homuncule dans la bouteille.
p.56
BALLADE
SUR LA FÉROCITÉ D’ANDOUILLE
Le Serpens qui tenta Eve estait andouillicque, ce non obstant est de luy inscript qu’il estait fin et cauteleux sus tous aultres animans. Aussi sont Andouilles.
Pantagruel, livre IV, chap. xxxviii.
Loups-garous, stryges et harpie,
D’aucuns ont un mufle camard ;
Chez d’autres le groin copie
Estramaçon ou braquemard.
Empouse, lion de Saint-Marc,
Amphiptère jamais bredouille,
Crocute aux pinces de homard,
Qui plus est maupiteux ? L’Andouille.
Ogresse léchant sa roupie,
Babeau vêtu de poulemart,
Fane aux yeux clairs et malepie,
Caciques de Gustave Aymard,
Les Cauchemars goûtent comme art
Extasié la bonne « douille ».
Mais, du brucolaque au jumart,
Qui plus est maupiteux ? L’Andouille.
Chimère aux sables accroupie,
Nains cagneux supputant le marc
Du teston ou de la roupie ;
Voici, malgré Pline et Lamarck,
Entre Suresnes et Clamart,
Voici l’étrange niguedouille
Frémine avec son galimard.
Qui plus est maupiteux ? L’Andouille.
ENVOI
Prince, banneret, jacquemart,
Ferlampier et coquefredouille,
Rifflandouillez sur le trimard.
Qui plus est maupiteux ? L’Andouille.