Léa Perrin

Nous avions parlé d'avoir un bébé... bientôt... Nous voulions juste attendre encore un peu. On était ensemble depuis deux ans, à vingt-cinq ans, on avait le temps...
Finalement, du temps, nous n'en avons plus. Un enfant m'aurait peut-être raccrochée à la vie un peu plus vite.

Ma raison de changer, de devenir quelqu'un de bien, c'est elle. Indéniablement. Peut-être qu'un jour j'aurai le sentiment d'être celui qu'elle cherche, de la mériter. Et peut-être qu'à ce moment-là, j'oserai vraiment...

- Même si on se sépare, on s'aime toujours et ça reste plus fort que tout, plus fort que nous. Tu vois, l'amour, la haine… la ligne entre les deux est parfois si ténue qu'on peut la franchir dans un sens comme dans l'autre rapidement alors…

Certains individus n’étaient visiblement pas faits pour s’entendre.

J'ose m'avouer que l'idée qu'on se fait de la beauté est quelque chose de très personnel et que, peu importe à quoi elle aurait pu ressembler, quelque chose s'est imprimé dans mon cœur à l'encre indélébile le jour où j'ai croisé ses yeux de jade pour la première fois.

Ils sont tous assez beaux, charismatiques… et à défaut de l’être leur richesse et leur puissance fait le reste, les femmes tombent dans leur lit, alors pensez-vous qu’ils aient réellement besoin de faire appel à mes services ? Pourtant, eux comme vous viennent jusqu’à moi…

J’ai conscience de le torturer mais si je ne le pousse pas dans ses derniers retranchements, je ne percerai jamais ses secrets à jour et ce que je veux, c’est comprendre ce qui le retient encore.

Je piétine ce feu qui tentait de s’éveiller, j’éteins sans remords les braises que cet homme vient d’allumer au creux de ma poitrine. Je n’ai pas le choix si je veux que cette part de moi bien trop enjouée et qui aurait presque oublié les douleurs et les désillusions qu’elle a connues auparavant se taise. Il n’est qu’un client parmi d’autres, un homme que je ne reverrai jamais.

Son regard sur moi n’est pas celui des autres. Et mon cœur se met à battre plus vite. J’ignore comment, cet homme fait vaciller quelque chose à l’intérieur de moi. Quelque chose que je fais taire depuis longtemps et que je préfère laisser tapie dans l’ombre. Pourtant ce soir, cette chose cherche à s’éveiller mais je ne vais pas la laisser faire, je vais l’étouffer, de nouveau l’enfouir sans lui laisser la possibilité de survivre cette fois.

Ces dernières années, je peux me vanter d’avoir vu passer quelques hommes, mais jamais je n’en ai rencontré d’aussi résistants à leur plaisir que lui. Il a l’air hors norme. Je ne sais pas encore en quoi, mais une chose est certaine à cet instant : il craquera comme les autres. À ce jeu-là, ils sont tous faibles.

Si je n’étais pas consciente de l’effet que je fais aux hommes, je serais presque vexée. Je parviens le plus souvent à les séduire sans même avoir besoin de faire quoi que ce soit. Une robe sexy, un décolleté plongeant, une jambe légèrement dévoilée, parfois seulement un sourire ou un regard suffisent. La plupart du temps, je n’ai même pas besoin de me défaire de mes vêtements pour qu’ils bandent.

Ce type aurait presque le pouvoir de m’attendrir. Il faut que je me ressaisisse, les sentiments ne sont pas bons pour le commerce. En prenant de l’âge, mon petit cœur se ramollit, et ça, ce n’est clairement pas bien du tout. Je dois être vigilante, ne pas me laisser aller.
C’est le moment que je choisis pour m’approcher, féline, et me planter à quelques centimètres de lui. Et alors qu’il m’entend il relève la tête, nos regards se percutant comme irrépressiblement polarisés.

Je n’ingurgite jamais aucun liquide que l’on m’offre, me contentant simplement de tremper les lèvres pour donner l’illusion que je bois… Mais surtout, je ne bois jamais d’alcool. Je veux parvenir à tout maîtriser et l’alcool a cet effet désinhibiteur qui pousse les gens à faire n’importe quoi. Il m’est arrivé d’en boire lorsque j’étais plus jeune. Une fois. Rien qu’une fois. Cette fois-là. La fois de trop. Alors plus jamais.

Ce qui me laisse aujourd’hui perplexe vis-à-vis de l’amour, c’est que l’être humain a beau en souffrir, il le recherche encore et toujours. Il panse ses blessures, se persuade parfois qu’il ne peut vivre sans l’autre, envisage même le pire, puis espère à nouveau, repartant en quête de cette idéologie, de cette âme qui serait sa moitié ou à défaut la personne avec qui partager quelques années.

Pauvres naïfs qui osent encore croire encore à la beauté de l’amour, tels des enfants. Ne vous a-t-on pas expliqué qu’il était comme d’autres mythes auxquels on veut vous faire croire ? Le père Noël n’existe pas plus que cet imbécile de Cupidon censé tirer ses flèches pour faire matcher des imbéciles simplement en proie aux hormones. Réaction chimique qui n’a rien à voir avec les sentiments bien que l’être humain se plaise à le croire, à vivre en se projetant cette illusion…

Nos regards se trouvent, ses iris me retenant captive alors que sa voix rauque transperce d’un « bonsoir » le silence relatif de la rue, encore très fréquentée par la circulation à cette heure. Son large sourire me séduit bien plus que je ne le voudrais et tandis qu’il porte ma main à ses lèvres, comme lors de notre première rencontre, mon cœur manquerait presque un battement et je réprime ce sursaut inattendu d’enthousiasme, tout en remarquant que je le trouve presque plus beau que la première fois et que le smoking n’y est pour rien.

Sexy sans être provocante et de très bon goût, je me suis immédiatement imaginée la porter... puis l’ôter… Jusqu’ici, chaque fois qu’un client m’a fait envoyer des vêtements, je ne les ai jamais portés, aucun ne trouvant grâce à mes yeux mais aussi et surtout pour imprimer davantage dans les esprits que celle qui décide, c’est moi. Que même si cela part d’une bonne intention — ou encore de l’envie de m’acheter un peu plus

Je sens constamment sur moi son regard de chien battu empli de culpabilité, ça m’est de plus en plus insupportable. Je devine qu’il cherche à m’apitoyer pourtant, au lieu de trouver ça adorable, cela a sur moi l’effet inverse et à ce stade, je ne souhaite plus qu’une chose : qu’il me fiche la paix ! Parfois, j’aimerais presque ne plus le voir du tout. À tel point que je l’ignore la plupart du temps mais son insistance parvient à mettre ma volonté de ne pas m’en soucier à rude épreuve.

Et tandis qu’il tourne les talons pour repartir dans la direction opposée, je reste là, à le regarder s’éloigner. La seule chose que je suis capable d’analyser à cet instant précis, c’est que ce type bouleverse vraiment toutes mes habitudes.

Qu’ils soient dits ou écrits dans une langue ou dans une autre, c’est toujours la même chose. Certains les disent même sans vraiment les penser, alors pourquoi en faire un mur entier?