Léa Perrin

Comment pourrais-je faire comprendre un jour à quelqu’un que, fatiguée de m’être toujours battue pour l’amour de mes parents, quelque chose que j’aurais dû avoir naturellement, j’ai baissé les armes ? Comment puis-je expliquer que j’ai fini par me ranger de leur avis et qu’inconsciemment persuadée que je n’étais bonne qu’à devenir une seule chose, j’ai foncé tout droit dans cette direction ?

Tu devrais quand même parfaitement comprendre que quand on t’a injustement rabaissée toute ta vie et qu’on a essayé de te convaincre que tu ne valais rien, le but de cette vie devient très exactement de prouver tout le contraire ! D’abord aux autres mais surtout à toi-même !

Loin de vivre dans l’opulence ou d’avoir connu le même style de vie, ils font partie de la classe moyenne et ne rougissent absolument pas des métiers de comptable, de journaliste, de traiteur ou d’esthéticienne qu’exercent leurs parents. Pourtant même s’ils ne se plaignent jamais, je sais que de leur côté ce n’est pas toujours facile.

Tout le monde fait un peu la moue à ses paroles, même si en soi elle n’a pas tort. Mais sans lui demander de culpabiliser, un peu plus d’empathie serait la bienvenue…

Je suis prise au piège de mes propres mensonges à vouloir dissimuler ce que je suis en réalité à des gens que je côtoie au quotidien m’accule. Victime d’une situation que j’ai provoquée, je n’ai plus d’autre possibilité que les persuader que je leur servirai aujourd’hui la vérité. Une vérité que j’ai voulue suffisamment honteuse pour être crédible. Qui pourra encore s’imaginer derrière tout ça que je puisse avoir d’autres secrets plus avilissants ?

Parfois lorsque mon moral baisse dramatiquement au point de friser des délires utopiques, je sombre jusqu’à rêver que je pourrais tout leur avouer… tenter de me confier à Emma de qui je suis la plus proche, déjà… jauger sa réaction et si je la sens réceptive, pourquoi ne pas essayer d’aborder le sujet avec les autres, petit à petit, m’ouvrir lentement... Puis je me ravise. Je me figure déjà le regard de dégoût qu’ils poseront sur moi. Et ce regard-là, je l’ai déjà vu, je n’ai plus envie de le voir, je ne le supporterai pas.

Le mal était fait, jamais je ne retrouverais un semblant d’honneur en restant ici. J’avais fini par comprendre qu’il demeurerait bafoué tant que je vivrais dans cette ville de merde. Que personne n’oublierait et que jamais on ne cesserait de me mater comme si je me baladais avec une pancarte relatant la version la plus dégueu de l’histoire collée au front. Finalement mes parents avaient peut-être raison de me virer.

J’ai toujours été jolie, certains disaient même belle. Mais je n’en ai jamais joué. Je n’en ressentais ni le besoin ni l’envie, parce que mon cœur avait toujours été à lui… Je n’en avais jamais voulu un autre. Mais il m’a détruite. Mon cœur a été piétiné, mon âme salie, mon corps souillé, ma vie brisée. Je ne m’en suis jamais remise. Et après ça j’ai vécu en conséquence, essayant de rafistoler chaque morceau de mon être. Je me suis forgé une autre personnalité, forcée de m’endurcir et je n’ai pas vu d’autre choix que de me fermer à l’amour. Pour toujours. Parce que les seules personnes que j’avais jamais aimées m’avaient brisée.

J’ai même cru comprendre à une époque que le manque de considération de mes géniteurs envers moi avait mené à de nombreuses disputes avec leurs propres parents. Ces derniers avaient fini par rompre tout contact, me laissant réellement et définitivement seule au sein d’une pseudo-famille dans laquelle je ne pourrais jamais m’épanouir. Mes grands-parents n’avaient pas su me sauver de cet enfer.

Mon père n’a jamais aimé sa vie. Je ne sais même pas s’il a ne serait-ce qu’un peu aimé ma mère à un quelconque moment. C’était un coureur de jupons invétéré lorsqu’il l’a rencontrée. Il ne m’a d’ailleurs jamais vraiment aimée non plus,et m’a en quelque sorte toujours fait payer son enfermement dans ce carcan familial qu’il n’avait pas choisi. J’ai vécu ma petite enfance à souffrir de son indifférence, et tout autant de sa sévérité, de ses exigences irréalisables, de ses mots durs et blessants. Je ne sais même plus lequel de ces comportements je préférais qu’il ait à mon égard : l’indifférence ou le mépris.

J’étais un accident. Mais pas un accident qui procure du bonheur à sa découverte même s’il bouleverse les projets et l’ordre établi. Non. J’étais un accident dont on n’avait pas pu se débarrasser parce que découvert trop tard. Et ça, je l’ai entendu tout le long de cette parcelle de vie que j’ai partagée avec mes géniteurs puisqu’à présent je ne peux plus les qualifier que de ça. Ma mère me surnommait d’ailleurs ainsi les jours où sa rage débordait. « L’accident ».

Le fait de prendre du plaisir sexuellement n’étant pas toujours le véritable fondement qui motive la décision des clients. D’ailleurs il y a certainement une raison profonde si on l’appelle « le plus vieux métier du monde ». L’homme a toujours cherché à combler ses vides affectifs par l’acte de copulation.

Que l’on soit sur un trottoir, dans un hôtel de luxe ou dans l’appartement de son client, vendre son corps reste de la prostitution, quelle que soit la personne avec qui on le fait ou même la raison pour laquelle on le fait. Malgré tout de plus en plus de gens ont désormais recours aux services de personnes comme moi et ce pour des raisons diverses et variées : la solitude, le manque de temps pour trouver quelqu’un, ou pas forcément l’envie de s’investir dans une véritable relation…

Il faut savoir que le métier d’Escort est tout à fait légal en plus ! Bien entendu, louer les services d’une personne pour vous accompagner à un évènement quelconque est loin d’être interdit. Il est bien sûr de notoriété publique que cette désignation sert la plupart du temps de couverture à une autre activité, mais si rien n’est prouvé ni surtout le fait que cette autre prestation ait été monnayée, il ne peut rien arriver...

Et il est vrai que cette alternative restant un moyen rapide d’en récolter, le fric demeure un élément de poids dans les arguments avancés.

Et je n’ai que 26 ans. Malgré tout je continue à exercer et à vendre mon corps au plus offrant alors que je pourrais parfaitement arrêter.
Alors pourquoi persister si l’argent n’est pas le nerf de la guerre que je mène ? Tout simplement parce que contrairement à la plupart des Escorts, je n’ai pas choisi d’évoluer dans le milieu pour en gagner. Quand j’évoque le « plus offrant » la satisfaction que j’en retire n’est pas pécuniaire.

Certaines filles emploient le terme « métier » pour évoquer de leur activité. Pour ma part je n’y parviens pas, il y a certains mots que j’ai du mal à utiliser, même s’ils sont une réalité. D’ailleurs je n’en parle pas, sauf en de rares occasions avec les quelques autres filles que je peux parfois croiser dans certaines soirées. Trop tabou, même pour moi.

Le fait de le dire tout haut ne change pas grand-chose pour moi. Malgré tout, même si cet état de fait est censé susciter l’empathie je me refuse à mentir sur nos véritables relations. J’en suis parfaitement incapable. Jouer l’enfant éplorée par la perte des géniteurs malsains qui lui ont donné la vie serait au-dessus de mes forces et aurait certainement raison du peu de santé mentale dont je parviens à faire preuve.

Je n’ai pas une vie d’étudiante ordinaire, je n’en ai pas non plus le niveau de vie. Et n’ayant plus de contacts avec mes parents, il a bien fallu que je compose et que j’échafaude une histoire.
J’aurais pu inventer que ces derniers avaient du blé. Mais parler d’eux régulièrement, et surtout faire croire qu’ils subvenaient à mes besoins et que quelque part, ils se préoccupaient de moi, c’était au-dessus de mes forces. Alors j’ai trouvé autre chose.

Il faut dire que même lorsque j’étais plus jeune, je menais déjà peu la vie d’une étudiante lambda. Les sorties, les soirées où tout est prétexte à finir en beuverie, ce n’était pas vraiment mon truc. Enfin… J’ai testé ce genre de choses par le passé, évidemment il y a bien longtemps, comme la plupart des jeunes de mon âge.