Maude possédait, un peu pour cette raison, un pistolet. Aussi, disait-elle, parce que l’objet donne de la crédibilité. Elle avouait l’avoir brandi une fois dans une enquête de haut niveau. Le vol d’un serpent corail. Elle avait tiré dans le bras d’un trafiquant de reptiles manchot qui menaçait l’animal d’un canif tout en la sommant de reculer. L’ophidien fut blessé pendant l’altercation; le propriétaire refusa de payer pour ce salopage. Le manchot perdit l’usage de son bras. Un fiasco à la suite duquel Maude cessa graduellement de porter l’arme.
Elle ne la prenait que pour visiter ses clients les plus radins. C’était pour eux comme si l’arme justifiait ses tarifs. Sinon, pas besoin. Il suffisait de parler, de choisir les bons mots. Peu de mots. Se taire.
Elle était blonde dans un pays de brunes. Cela n’est pas sans conséquence: les hommes la dévisageaient. À cause de son visage aussi, menton fuyant, taches de rousseur, peau liliale. Elle possédait des traits d’étrangère, autrement dit de fantasme.
Trop de mer endort l'esprit. Plus de mer encore le tourmente. C'est que la surface de l'eau, d'abord hypnotique et envahissante, devient vite une feuille blanche et vide où nous devons écrire la suite de nos vies.
Maude faisait cependant son lit chaque jour dès son lever. Elle craignait en effet – car comment prévoir les coups du sort? – de quitter ce monde en ayant laissé derrière, dans le tumulte de draps retournés, des traces de son sommeil. Quelqu’un pourrait les lire comme les lignes d’une main. Inventer n’importe quoi. Déchiffrer ses rêves ou qualifier son réveil. Bref, reconstruire erronément une parcelle de sa vie. Un lit fait, croyait-elle, restait muet. Impossible de savoir si elle avait bien ou mal dormi, seule ou accompagnée. Il s’agissait de garder le mystère entier.
Il s’approcha. Maude craignit qu’il ne l’agresse, peut-être sexuellement. Ça arrivait souvent, avec ce genre d’individus. On passait un accord et puis non, ça ne suffisait plus. Ça exigeait ensuite une petite douceur, ça voulait voir un bout de sein. Un type lui avait une fois demandé si elle aimait le poil, le vrai. Bref, Maude refuserait nécessairement les avances de Chucho et ses espoirs de collaboration s’effondreraient. Elle espéra un assaut en règle. Un coup de poing était plus facile à gérer – à éviter – qu’un flattage de cuisse.
Le centre commercial était fréquenté par des clientes aux finances de micro-États caribéens. Elles dévalisaient généralement les boutiques en buvant des jus verts, achetaient – pour pavaner leur générosité – un petit quelque chose pour la bonne. Maude les jugeait durement, sa pensée obscurcie par des jalousies nées d’un budget personnel restreint. Son appartement, d’ailleurs, reflétait certaines limitations pécuniaires: quatre pièces minuscules; une salle de bain sans porte.
C’était une Mexicaine comme il y en a plein, mais comme les non-Mexicains pensent qu’il n’y en a pas. Elle semblait intelligente. Ses pupilles brillaient; on aurait cru deux lucioles perdues dans le noir. La grande offrait un profil plus classique de bombe latine: des formes, de la bouclure, du maquillage. Sur papier, franchement, elle ne possédait rien de bien particulier. Le cheveu était sombre, la peau brune, l’œil bistre. Comme si la décrire ne la décrivait pas.
L’amour n’a pas d’âge, dit Maude, presque tristement. Gilda acheva son horchata dans un bruit de maelström, puis révéla que Cindy sortait avec un voyou qui bossait Dieu sait où, sinon nulle part. Cindy l’appelait Chucho. Nom de famille Verdugo. Il la textait aux deux minutes. Il a l’air de quoi, Chucho? demanda Maude. Quique en saurait plus, dit Gilda. Il l’avait croisé quelques fois.
On en venait presque à penser que c’est excitant d’être paumé, quand être paumé c’est vivre dans un loft avec sa lesbienne à Stockholm. Les pauvres là-bas, c’est les nantis d’ici, les bas-fonds là-bas, c’est les sommets d’ici! On se demande même pourquoi ils en arrivent à se tuer, ces gens-là. Parce qu’ils s’ennuient?
Elle expliqua ensuite que l’humain n’était pas son domaine, qu’elle se tenait loin des affaires policières, qui sont dangereuses, impliquent des armes. Ça finissait tout le temps avec des narcotrafiquants, et puis, de toute façon, cette histoire ressemblait à un double suicide. Mystère résolu.