Parce que, où j'étais désormais, les fantômes n'avaient rien de mieux à faire que de se remémorer.
Le principe du Bien et du Mal se calque sur celui de la vie et de la mort. La vie n'est rien sans la fin de tout. Si la vie n'avait point de terme, l'immortalité s'abattrait sur la Terre. Ça n'a rien de positif, quand bien même la peur du trépas n'existerait pas.
À cet instant, une seule chose nous trottait en tête : la moindre seconde pouvait être capitale. Hélas, les miracles n'avaient lieu que dans les films et les livres.
D'après mon expérience, la vie ne se résumait pas à grand-chose.
Nous nous levions, vivions comme nous l'entendions dans le meilleur des cas. Le soir, nous nous couchions. Pour toujours répéter ce schéma. Tout au plus, nous
représentions un grain de sable dans un désert, et quand l'un d'entre eux disparaissait, seul son entourage s'en rendait compte.
Après un tel drame, comment croire que nous
influencions le cours des événements ? Le destin ne changeait pas, tout était écrit pour amener à la fin, au noir absolu du repos éternel. Nous ne pouvions pas soigner une personne atteinte d'une maladie incurable. On ne réchappait pas à la mort si elle avait jeté son dévolu sur nous. Personne ne le peut.
À de nombreuses reprises, j'avais appris qu'il fallait d'abord vivre pour soi. Si je ne le faisais pas aujourd'hui, si je ne me battais pas pour elle, alors que mon cœur résistait au pire grâce à notre amour, je le regretterais toute ma vie. Si je la perdais, mon existence tomberait dans un puits duquel je regarderais le ciel sans pouvoir atteindre mes rêves. Sans elle, je vivrais les yeux éteins, le cœur en lambeaux.
Le signal d'assaut avait dû être déterminé avant leur arrivée. Ils n'eurent aucune seconde d'hésitation, pas le moindre questionnement sur la signification d'un tel geste. Ils n'avaient donc jamais eu l'intention de repartir sans semer un carnage. Les transformations se multiplièrent. Les hurlements, les grognements, les mâchoires qui claquaient dans le vide en signe d'impatience créèrent une cacophonie sans précédent.
Tant qu'elle savait qui elle était vraiment, ce qui la définissait, elle restait Heaven, une combattante hors pair avec un passé douloureux et un avenir qui ne pouvait que s'annoncer plus prometteur.
Ces créatures, malgré leur aspect répugnant et leur voracité alliée à la cruauté, conséquences des actes des hommes, n’avaient pas mérité les mauvais traitements, l’enfermement à perpétuité dans une cage et cette mort. Comme les armes nucléaires de jadis, elles n’avaient été confectionnées dans des laboratoires que pour être des armes de dissuasion. Hélas, toutes les deux avaient fini par être utilisées pour montrer qui était le plus fort.
Et qui était le plus fort ? Personne. Tout le monde finissait par disparaître un jour. Pour la première fois de leur existence, ces animaux avaient vu le ciel. En quelques heures à peine, l’immensité avait été témoin de leur fin. Quant aux prisonniers envoyés aux Racines, gouffre d’obscurité, ils avaient oublié la beauté de l’extérieur, de ce lointain paysage. Des chanceux, comme mon frère et ses amis, s’en étaient échappés. En revanche, beaucoup avaient élu cet endroit comme leur tombeau. Toutes ces pensées, jaillies en quelques minutes seulement, me nouèrent les entrailles. La beauté résidait en ce monde, sauf que les hommes n’en étaient pas dignes. Ils n’avaient que le droit de régir leur vie, mais ils s’entêtaient à faire main basse sur celles des autres.
Je lus dans son regard une détermination que personne n'aurait pu manquer. Mélanger cet ingrédient à un amour indéfectible permettait d'obtenir une femme plus dangereuse que les guerres et les maladies réunies.