Des années plus tard
Parce que jamais je n'ai conçu un vers
qui se serait posé sur tes épaules
comme un bras chaleureux ou une écharpe,
mais que je t'accueillais dans la pauvreté
de mon langage ouvert à tous les vents.
parce que j'étais rongé par l'ambition
d'épeler dans un adultère verbal
le chagrin solennel d'enfants obèses
ou le minable marchandage d'un corps de jeune fille,
préparé depuis des années déjà à l'adieu,
pour un frisson et l'urgence de quelques pulsions,
pour mon incapacité de danseur impuissant,
mais pour la grâce disparue qui sans cesse nous habitait
comme une salle de bal nocturne déjà délaissée,
toute emplie encore de la tristesse des valses,
pour tout ce qui ne reste pas, tu me restes,
car tout passe, mais rien ne s'efface.
Sourdine
Et s’il n’y a plus de tendresse,
feignons la tendresse,
les mains bandées et les yeux clos,
couchés l’un contre l’autre telle une frontière.
Un mot alors ne peut plus s’appeler un mot,
mais une bouchée de consolation muette;
et le désir perd sa petitesse, plus profond,
plus vaste qu’un panorama
plein d’oiseaux d’été, accords de Mendelssohn, sfumato
emprunté à Vinci. Ta plus belle pitié, tu l’échangeras
contre mon plus cher chagrin; je temporiserai
avant de sonder plus avant le déclin de ton corps.
Oh, s’il reste alors de la tendresse,
craignons la tendresse comme
un mal très ancien. Tant de tendresse,
jamais homme ne le supporta.
Le perdant magnifique
J’aimais la gaze la plus fine du désir
comme le zéphyr le corps de la baigneuse
et partout où j’allais, me ceignait l’angoissant
agrément d’un voile de flétrissure.
Et tout au long d’une saison tombait le soir.
Et lorsque — le haut sur le vent —
le désir de blessa à la convoitise,
combien n’aimai-je pas cette perte magnifique,
comme si le souffle d’une passion me perdait,
encore qu’à peine on embrassait
l’ostensoir d’une seule bouche.
Et chaque soir venait l’automne.
Et chaque fois que le plus gracieux des automnes
m’offrait un gîte dans le vent,
je trouvais dans un bruissement, un tremblement,
une maison pour être sans abri.
Esthétique
Le plus gracieux n’est pas le cygne, mais
l’eau où, sans trace, le cygne se reflète,
rides d’un aimable frisson.
Le plus gracieux n’est pas ton corps, mais le miroir
où le corps à peine meurtri se reflète,
tandis qu’une main glisse sur ta peau
et qu’une caresse, alors, qui s’embrasserait elle-même,
se couche sur ton corps.
Tandis que mon regard incapable de capter
indéfiniment ce spectacle, reste captif et non embrassé,
comme celui qui invité un jour à la volupté,
reste à jamais l’otage de la douleur.