Madeleine St John

Plus besoin de penser du tout à Jonathan. Elle était libre, elle était horriblement, abominablement, libre. Était-ce, en fait, ce que Jonathan voulait pour lui-même ? Cette liberté, cette horrible, cette abominable liberté ? Elle se jura de le découvrir. Elle en aurait le cœur net.

Elle se reprochait les petits sarcasmes mesquins qui avaient été son seul mode d’attaque… elle s’en voulait car, même si ces piques avaient atteint leur cible dérisoire, l’orgueil blessé qu’elles reflétaient était – ou aurait dû être – le cadet de ses soucis. Elle trouvait que la blessure que Jonathan avait infligée à son cœur (son cœur aimant, confiant et fidèle) était plus grave et plus honorable que celle causée à son amour-propre.

 Quand je serai grande, j’aurai plus besoin d’être sage, parce que j’aurai mon argent à moi et que je pourrai m’acheter mes glaces toute seule. Je serai pas sage, et je m’achèterai mes glaces toute seule.

Elle se sentait froide comme l’acier en se mettant au lit ; son cœur était gelé. Il avait posé son livre et éteint la lampe et ils étaient restés étendus silencieux dans le noir. Il ne me touchera pas. D’ailleurs, je ne veux pas qu’il me touche. Au bout d’un moment il avait tendu la main et très lentement, très délicatement, avait commencé à défaire les nœuds qui tenaient les bretelles de sa chemise de nuit de satin blanc, et puis très lentement, très délicatement, il avait commencé, comme si rien ne clochait, à lui faire l’amour.

« Je veux bien que tu l’aimes encore, cet ignoble porc, au point de te plier à tous ses caprices, jusqu’à celui consistant à t’envoyer paître ; mais je ne vois vraiment pas pourquoi tu devrais te démener pour lui. C’est très noble et généreux de la part de Susannah de te proposer un toit provisoire, et je comprends que ça aurait de la gueule, d’une certaine façon, de disparaître de la vue faussée de Jonathan sans plus de cérémonie. Mais si j’étais toi je resterais exactement où je suis aussi longtemps que ça m’arrangerait. Il campera peut-être sur ses positions, mais il ne peut pas te mettre dehors.

La bague risquait de rester là à étinceler dans l’obscurité pendant des années, voire des décennies, jusqu’à ce que le bijou, à la mort de sa mère, lui revienne, à la manière d’un pigeon voyageur. Il se rappela soudain un autre détail à propos des pigeons. Ils s’accouplaient, paraît-il, pour la vie.

C’est une pierre magnifique, tu sais, les rubis sang de pigeon sont très rares, et la monture bien sûr est très ancienne, la bague vaut une petite fortune, j’ai été étonnée… je suis sûre que n’importe quelle fille l’adorerait. »

Bien sûr personne ne savait ce qu’était une âme, ni même si une telle chose existait objectivement, mais il ne faisait guère de doute, d’après Jonathan, que l’âme des femmes n’était pas du même ordre que celle des hommes. Jonathan était bien trop accablé et en colère pour avoir les idées claires.

Ce dialogue de sourds fut interrompu car ils avaient atteint leur destination. Ils se garèrent et se précipitèrent dans le cinéma juste à temps pour acheter les billets et s’installer dans la salle avant que ne commence ce chef-d’œuvre du muet.

C’est les pères qui sont censés être sentimentaux, pas les mères.

Elle était si parfaitement heureuse, ici. La fenêtre de la chambre donnait sur les jardins communautaires ; des enfants jouaient, et les cris qu’ils poussaient trahissaient cette forme de joie que seuls les enfants connaissent. Elle s’empara de l’économe et le contempla comme si elle ignorait à quoi il servait. « Je vais devoir trouver un autre endroit où habiter. »

Un homme qui peut se conduire comme ça n’en vaut vraiment pas la peine. Un homme qui vous fait pleurer de cette façon-là n’est jamais digne de vos larmes.

Alfred adorait les femmes, quand elles restaient à leur place, et, en tant que membre du barreau, il était toujours prêt à soutenir que certaines de ses collègues féminines étaient en effet très compétentes : oui, très. Lizzie, bien sûr, Dieu soit loué, n’était pas et n’avait jamais été une collègue.

Libre, et seul : être seul, c’était être libre.

L’amour pouvait refroidir et se changer en indifférence, en aversion, et même en haine.

Ce qui n’allait pas était une erreur, et dès qu’elle pourrait, elle découvrirait quelle était cette erreur et elle la corrigerait : à ce moment-là tout ce que Jonathan avait dit, et cru penser, serait aboli. Dès qu’elle pourrait !

– Alors qu’est-ce que tu pourrais connaître à l’amour ?
– Parce qu’il faut être tolérant, humble et doué d’imagination pour connaître quelque chose à l’amour ?
– Oui. 

Les salopards, je les connais. S’il y a une chose qu’ils adorent, c’est prolonger la souffrance. Tu promets ? Tu me téléphones lundi soir, d’accord, au plus tard mardi, que ce soit pour m’assurer que tout s’est arrangé, ou pour annoncer que tu débarques. C’est compris ?

Le problème avec les femmes, c’est qu’elles parlent trop, et avec les hommes, c’est le contraire.

Il l’avait rejetée et elle constata, comme c’était déjà arrivé, qu’elle ne pouvait parler, agir, et, dans une certaine mesure, se sentir, que comme une étrangère. Pourtant, au tréfonds de cette étrangère sonnée et médusée, se débattait, terrifiée, démunie et hurlant d’angoisse, une Nicola remplie d’amour et de confiance.