De grands et nobles animaux enfantés par la nuit des forêts et le vieux lui parla de leur vie de bêtes traquées. Il lui parla de leur vie de proies fugitives et lui parla de leurs moeurs. Il lui parla des rudes combats entre mâles et lui parla des femelles faonnant dans les chambres de feuillage.
Il lui dit qu’ils possédaient le ciel et il lui dit qu’ils possédaient la forêt et il lui dit qu’ils possédaient les poissons dedans la rivière et aussi les animaux de la forêt. Il lui dit qu’ils possédaient les plantes et il lui redit qu’ils possédaient le ciel et aussi les oiseaux dedans le ciel
La petite portait une robe chasuble de lin gris et elle portait des chausses de lin gris et elle portait des bottes de chanvre à lacets et elle avait, pour les temps froids, un gilet en peau de mouton que, lorsqu’elle ne l’utilisait pas, le vieux portait pour elle roulé en sautoir sur sa propre taille à l’aide de la longue cordelette de cuir qui était cousue au gilet en office de ceinture. La petite avait des cheveux très blonds, presque blancs à force de blondeur, qu’elle portait libres ou bien attachés par le vieux avec un lacet de cuir en une couette unique à l’arrière du crâne. Elle avait le nez retroussé avec beaucoup de taches de rousseur et elle avait les oreilles petites et décollées. Elle avait la peau très mate et elle avait des yeux gris et elle portait, autour de son frêle cou longiligne, un collier de coquillages marins dont les surfaces extérieures étaient parfaitement lisses ou bien naturellement sculptées de fines cannelures qui apparaissaient en relief mais dont la nacre des revêtements intérieurs était toujours brillante et grise.
La petite était sortie de l’infans. Elle avait les membres allongés et amincis par la croissance et elle était autonome dans ses déplacements et elle était capable d’un début de raisonnement et elle était capable de jugement et elle était aussi capable d’affirmer ses goûts naissants mais elle avait gardé cependant de la gaucherie et de la maladresse dans ses mouvements. Elle avait aussi conservé, comme une petite enfant, le besoin d’établir, à temps réguliers, un contact physique avec le vieux. Quelquefois aussi, la petite s’effrayait des choses et des êtres inconnus rencontrés sur le chemin et elle cherchait alors refuge dans les bras du vieux. Le vieux acceptait la petite dans ses bras chaque fois qu’elle le voulait.
Presque toujours en fin de journée, parce qu’elle était fatiguée, la petite demandait à être portée. Le vieux prenait alors la petite dans ses bras ou bien il la laissait grimper sur son dos. La petite s’affourchait sur le dos du vieux en accrochant ses bras autour du cou du vieux mais inexorablement, à cause des cahots de la marche, son corps finissait par glisser vers le sol et, de ce fait, elle étranglait le vieux. Le vieux tançait alors la petite et il lui demandait de mieux se tenir et, d’un brusque mouvement de hanches, il la remettait droite sur son dos mais quand, malgré ses remontrances, la petite recommençait à mollement se laisser aller et à l’étrangler de nouveau, le vieux la reposait à terre. Le vieux savait alors qu’il était temps de faire étape.
Depuis bien des jours le vieux cheminait avec la petite le long de la rivière. Quelquefois le vieux tenait la main de la petite mais, le plus souvent, il la laissait voyager seule autour de lui. À cette fin, le vieux veillait à libérer la petite de tout faix. Le vieux veillait aussi à toujours régler son pas sur celui de la petite. Le vieux marchait doucement et quand la petite découvrait une chose inconnue et qu’elle s’arrêtait pour l’observer et qu’elle s’accroupissait sur les talons et qu’en se grattant impudiquement les fesses elle questionnait le vieux, le vieux s’arrêtait aussi. Le vieux interrompait leur voyage et, chaque fois qu’il le pouvait, il nommait à la petite ce qu’elle voyait. Chaque fois qu’il le pouvait, le vieux enseignait la petite sur les êtres et sur les choses qu’ils rencontraient. Le vieux nommait à la petite toutes les choses qu’elle découvrait et, quand il le connaissait, il lui en décrivait l’usage. Souventefois aussi, la petite demandait au vieux l’origine des choses et le vieux faisait toujours l’effort de lui répondre le plus sérieusement et le plus complètement possible mais, quand il ignorait la réponse, le vieux l’avouait à la petite.