À vingt ans, on trépigne pour voler de ses propres ailes. À vingt ans, les mères ont peur de voir leur nid déserté en un claquement de doigts
Elle aimait les chiffres, bien alignés, les colonnes droites. Et que rien ne dépasse. Mickaël aimait aussi les lignes. Mais poudreuses et de préférence inhalées. Les cartes également. Roi de pique, as de trèfle, les dames et tout particulièrement celles de petite vertu et dépourvues de cœur.
Elle avait eu peur. Peur que son mari ne la retienne, lui qui n’avait jamais eu aucun soutien des siens et qui avait pris pour habitude d’avancer seul dans la vie. Peur que son père ne dise non, qu’il ne lui rie au nez, lui qui levait toujours les yeux au ciel dès que son gendre abordait son projet.
Je n’ai pas envie d’entendre ses jolis mots, de voir la douceur dans ses yeux, même pas de sentir son parfum sucré et réconfortant. Celui qui vous dit que vous êtes à la maison, en sécurité et que rien de mal ne pourra vous arriver. Je n’ai pas envie de goûter encore à ses tartes aux pommes, ses gâteaux aux prunes, ses moelleux au chocolat, ses confitures de rhubarbe, toutes ses merveilles culinaires qu’elle me réserve pour me remonter le moral, comme si un estomac bien rempli pouvait mieux endurer les injustices de ce bas-monde. Je veux rester dans mon huître, froide et sombre, avec l’écho de ma solitude sur son habitacle irisé.
Aurai-je la force de chercher aujourd’hui ? De fouiller,trier, puis répondre, envoyer, espérer, attendre. Surtout attendre. Puis, je sais que ce sera la colère, la rancœur, la détestation, le dégoût.
Vous ne m’aimez pas ! Et bien, moi non plus, je ne vous aime pas !
Une main qui relève ses tresses africaines, elle soupire. Résignée. Chaque matin, elle bine, désherbe, taille, arrose, bouture, plante, ratisse. Et moi, j’enrage.
Elle savait depuis longtemps que regretter le passé était stérile mais elle avait fini par comprendre que l’ignorer l’était presque autant.