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Citations de Marion Fayolle (98)


Dans la cuisine, la mère de la gamine parle de ce qu'elle doit faire, fait des listes, les répète tout haut, ça raccroche le premier avec le dernier mot, ça invente des boucles, ça devient infini, ça l'affole. Elle rejoint la mémé, elles échangent leurs listes, les font se regarder, se rassurer. Le ménage, les lessives, le repassage, les repas, maudits repas qui reviennent trois fois par jour, quatre-vingt-treize fois par mois. Elles ont les mêmes listes, les mêmes invasions. Vous pensez que ça se fait tout seul, tout ça ? Et la gamine qui aurait l'âge de les aider mais qui ne les aide pas. Elles ont beau lui montrer comment ça se lave, des toilettes, comment ça se cuisine, des repas. Tu pourrais au moins mettre la table, il faut qu'on t'explique tout. Comment tu feras quand tu seras en ménage ? Elles le plaignent, déjà, le pauvre homme qui tombera sur leur gamine. Elle ne voit pas quand c’est sale, n'a pas la tête faite pour ça. La sienne fait des listes aussi, mais de mots inutiles, de rêves, d'idées qu'elle note dans des carnets. Elle ne saura jamais tenir une maison, ça s'ajoute à leurs inquiétudes. Parce qu’au verso de la liste des choses à faire, il y a celle des inquiétudes. Plus longue encore, qui s’entortille, qui fait des lassos, des tentacules, qui aimerait enlacer les gosses mais les étrangle. Des boas sortis de leur ventre pour les amarrer là. Le soir, la gamine ouvrait les fenêtres, fait bâiller la maison, laisse les serpents s'enfuir.
(p.33)
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Elle espère ne pas lui faire de mal à son fils, ne pas l'engloutir dans son amour marécageux. Mets ton pied ici, cherche les mottes, prends ton temps. Voilà. C'est pas grave d'avoir une jambe dans l'eau. Dis-toi que c'est le paysage qui essaie de t'aimer, qui te demande juste de rester encore un peu. N’essaie pas de courir, je vais t'apprendre. Accroche-toi à Maman, colle-toi bien, je ne vais pas te lâcher, on ne va pas tomber.
(p. 94)
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La gamine pose ses mains sur son ventre, son bébé vient s’y lover. Elle se demande à quoi il va ressembler. Il s'imprime en taille-douce dans le revers de sa peau. Elle sait que l'encre se loge dans le fond des entailles, que toutes ses failles se verront sur lui. C'est par les brèches, par les blessures que les traits s’impriment, ce sont les écorchures qui font le dessin, elle aimerait les polir, les estomper un peu. Elle s'inquiète qu'il ait ses lignes fragiles, ses contours égratignés, ses crevés, ses bêtes trop noires aux mêmes endroits. Ce sera un garçon.
Il ne faudrait pas que son père à elle se surimprime sur lui, que ses acides mordent sa plaque, qu'il réapparaisse un peu partout, par taches, en transparence, qu'on le voie trop à travers. Elle s'angoisse. Et s'il naissait sur du papier de soie, qu'un rien le froissait, le déchirait, qu'il était forcé de boire, de faire comme son père à elle ou comme le frère du pépé, pour supporter tout ça. Il sera là dans quelques mois, elle a le sentiment d'avancer sans phares, lancée dans la nuit.
(p. 89-90)
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Le visage de la mémé est patiné par le vent et le soleil, ses hanches rembourrées par le fromage et la bonne viande de la ferme. Le paysage déborde sur elle, elle n’aurait pas pu vivre ailleurs. Elle a la même silhouette que le prunier du jardin, celui qui croule sous trop de fruits, qui s’affaisse sous le poids de sa générosité. Ses bras, son dos, ses jambes sont fatigués d’avoir passé toute une vie à donner.
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C'est l'adolescence, ça leur passera. Quand ils verront que ce n'est pas mieux ailleurs, ils reviendront, ils feront paysans, on ne veut jamais ressembler à ses parents quand on a quinze ans. Les jeunes se teignent les cheveux, mettent des habits de la ville, effacent là où ça pourrait se voir qu'ils viennent de la ferme. Ils n'aident plus pour nourrir les vaches, l'odeur, ça reste dans les cheveux, le sale ça se coince sous les ongles.
À cet âge où on se débat pour ne pas ressembler au père, le gosse, lui, il a fait le contraire. Il a fait tout pour ressembler, pour appartenir, pour qu'on ne lui demande pas de partir, pour qu'on oublie qu'il n'était pas le fils. Est-ce qu' il existe des hirondelles qui ne s'en vont jamais?
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est là, au pied de ce pâté de roches, que la Loire prend sa source. Ils sont tous là pour ça, var jaillir un fleuve, assister à une naissance, Au début, c'est minuscule, juste des filets d'eau. Les gens d'ici, ils appellent les montagnes des sucs. Et on dirait les sucs d'une montagne justement, ce liquide qui perle entre ses blocs de phonolite. On voit bien qu'elle transpire, qu'elle pleure, qu'elle sécrète, qu'elle perd les eaux en permanence. Elle accouche, sans douleur, devant une foule de photographes. Certains sont déçus, ils imaginaient sans doute un torrent, une cascade, un jet puissant. Ils ne pensaient pas s'être déplacés pour quelques larmes entre des caillasses.
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Ça saute, ça fonce dans les clôtures, ça lève le cul, ça se carambole, ça fait des glissades, ça pète. C'est la première fois que les petits veaux sortent de l'étable.
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 Elle a ramené des fleurs naturelles, c’est quand même plus joli que toutes ces compositions en plastique, mais avec le climat ça ne tient pas, ça crève. Des fleurs mortes sur des morts, ça fait triste, il faudra bien penser à venir les enlever si on sent qu’il commence à geler.
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Ce gosse, ce n'est pas vraiment le leur, mais il a passé tellement de temps avec le pépé que ses habits lui vont tout pareil. Ça fait des bosses et des plis. Au même endroit, ça se déplace au même rythme, ça fait illusion. Ça mouille les yeux de la mémé.
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Le visage de la mémé est patiné par le vent et le soleil, ses hanches rembourrées par le fromage et la bonne viande de la ferme. Le paysage déborde sur elle, elle n’aurait pas pu vivre ailleurs. Elle a la même silhouette que le prunier du jardin, celui qui croule sous trop de fruits, qui s’affaisse sous le poids de sa générosité. Ses bras, son dos, ses jambes sont fatigués d’avoir passé toute une vie à donner. Elle en a élevé, des gamins : les siens et ceux des autres. 
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Le corbillard fait le tour de la propriété pour que le pépé puisse saluer une dernière fois ses paysages. Pour que ses paysages puissent le saluer une dernière fois. Ça serre le cœur. Même son chien, ça le fait pleurer, il court derrière la voiture noire, la suit comme il suivait son maître quand il marchait, toujours très droit, dans ses immenses plaines. On aurait dû l’enfermer dans l’étable. Ce chien qui chiale, ça fait trop d’émotion. 
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En revenant, sur le sentier, il trouve des cailloux, les plaque contre son oreille. On l’entend discuter, raconter sa journée. C’est un caillouphone pour appeler les gens qui sont morts ! Tu veux parler à papi ? Allô ? Allô ? Il a raccroché. Peut-être que ça marche qu’avec les enfants. Papi, il dit qu’il n’a plus mal depuis qu’il est mort mais qu’il ne peut pas revenir maintenant qu’il va bien. C’est embêtant. 
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« Les enfants, les bébés, ils les appellent les « petitous ». Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu des arrière-grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Des petits touts.
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On n’a jamais vu une gamine comme ça, qui ne veut rien avaler, à qui aucun plat ne fait plaisir, même ceux avec des patates, avec du fromage fondu, avec du sucre. Pour la mémé, manger c’est ce qu’il y a de plus important ; cuisiner c’est une preuve d’amour. Alors ça la désole de voir la gamine rester des heures devant son assiette, à tout trier, à tailler les bords de sa viande parce qu’elle les trouve trop durs, à retirer chaque minuscule nerf. Une bonne viande comme ça, des bêtes de la ferme, qui ont grandi là, qui ont eu tout un paysage à brouter, une vie de travail. Et elle, elle en fait des petits tas, elle perfore la chair, enlevée des liserées, appuie dessus pour faire sortir le jus. Son morceau de viande ressemble au crochet que faisait l’arrière-grand-mère, elle l’ajoure, en picore des tout petits morceaux. On voit bien qu’elle ne le fait pas exprès, qu’elle a un palais trop délicat, mais quand même, c’est tout sa famille qu’elle dissèque, qu’elle décortique dans l’assiette. Le travail de toute une vie qu’elle abîme, qu’elle recrache, qu’elle n’arrive pas à déglutir, tout cet amour qu’elle refuse d’avaler, c’est ça surtout qui fait mal au cœur.
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Les jeunes se donnent rendez-vous dans les bois, se faufilent entre les arbres, cherchent un coin pour leur désir. Ici, c’est bien, on nous voit pas. Tu es sûr ? Ça fait
comme un lit. Et ils s’embrassent avec la langue, et ils la tournent dans tous les sens, et ils se lèchent dans le cou, et ils se mordent les oreilles. Il faudra cacher les suçons. Les mains s’introduisent sous les tissus, partent à la rencontre des seins encore timides, si menus, tout pointus, se glissent sur des tailles douces, défont des nattes rousses, s’attardent sur des ventres brûlants. S’ils n’avaient pas de ceinture, ils iraient plus loin, c’est sûr, mais là, ils font le tour, sans oser s’approcher plus, ils y glissent juste quelques doigts. Ils retirent le haut, se serrent, se respirent, se frottent, gonflent, mouillent. La forêt les regarde, les cache, les tamise, les éclaire en sélectionnant des endroits, la nuque, la cambrure, là où c’est le plus beau. Ils ont des copains qui l’ont déjà fait, comme ça, sans s’aimer, juste pour que ça soit fait. Entre leurs jambes, ça a envie de s’offrir, ça pulse, ça va chercher l’autre, ça ne leur appartient plus, ça devient sauvage. p. 57
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On ne lui a jamais connu de femme. Même pas une comme ça, qui lui aurait expliqué comment ça marche. Il a passé l'age maintenant et, quand il traine au bal, ce n'est plus pour les femmes mais pour les boissons. Dans sa tête c est resté un gamin. Alors vous imaginez bien que ce n' est pas facile quand il y a un si grand écart d'age entre le corps et le dedans.
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Je veux du raisin blanc. Du raisin blanc. Du raisin blanc. Blanc. Il faut sans doute y entendre : je veux de l'attention. De. L'attention. Il n'y a pas de raison pour cela, la gamine le sait, le serre fort contre sa poitrine, consolant son enfant, et dans le même geste la petite fille qu'elle est encore.
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Ils ne sont pas nombreux a avoir leur force de caractère, il en faut pour résister a la solitude et au climat. Ils aiment se rassembler, sentir qu ils ne sont pas seuls, qu il y en a d autres, des gens comme eux. Ils boivent, chantent, certains connaissent un peu la musique les jeunes prennent les anciens par la main pour les faire danser, pour les faire rajeunir. La gamine n a pas le sens du rythme, elle prefere rester en bordure de la fête, sentir juste ses eclaboussures.
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Ici, on fait toute sa vie sous la même toiture, on naît dans le lit de gauche, on meurt dans celui de droite et entre-temps, on s’occupe des bêtes à l’étable.
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Au lycée, les jeunes apprennent l’anglais et l’espagnol. C’est pas facile d’ailleurs, avec des gènes qui n’ont jamais quitté le village, de réussir à prononcer les sons d’un autre pays. Ils ont envie de partir, de débrider leur mobylette, de connaître ce qui existe derrière les montagnes, après les vallées, de l’autre côté des frontières. Ils ont eu un paysage entier pour grandir mais ça ne leur suffit pas. Au-delà de la ligne d’horizon, ils sont convaincus que c’est mieux. Ils n’auront pas de bêtes. Les bêtes, ils le savent, ça emprisonne. Regardez les parents, ils ne peuvent pas bouger, il faut qu’ils soient là, chaque matin, chaque soir, pour nourrir les vaches, les poules, les chiens et les chats. Même les week-ends. 
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