Les dieux forcent les hommes à aimer les femmes qui ne leur conviennent pas et à négliger celles qui leur plairaient. Suivant un jugement connu d’eux seuls, inaccessibles aux mortels, ils laissent mourir ceux qui devraient vivre et épargnent ceux qui n’ont pas leur place sur Terre.
[remerciements à propos de son roman "La Marche des Dix Mille"]
Je me dois de citer ici les travaux universitaires de J.K. Anderson, Edouard Délebecque, Simon Hornblower et A.M. Snodgrass, qui m'ont procuré de précieuses informations sur les armes grecques ou sur la vie de Xénophon. De même, plusieurs écrivains et essayistes modernes - certains n'ayant jamais parlé de la Grèce antique - m'ont beaucoup guidé dans mon travail, ne serait-ce qu'en me donnant de gros complexes par leur génie poétique et leurs capacités d'analyse historique : Robert Graves, Erich Maria Remarque et Marguerite Yourcenar, parmi tant d'autres.
On raconte l’histoire d’un jeune Spartiate qui avait volé un renardeau. Car pour les Spartiate, le renard est une nourriture comme les autres. Mais le propriétaire, qui l’avait vu s’enfuir, lui a couru après. Le garçon a eu juste le temps de dissimuler sa prise dans sa tunique avant d’être rattrapé. Il a tout nié en bloc, comme on le lui avait enseigné. L’interrogatoire s’est poursuivi jusqu’à ce que le garçon s’écroule à terre, raide mort. Le renardeau vorace avait dévoré ses intestins du jeune vaurien, mais celui-ci, fidèle à l’embrigadement spartiate, n’avait pas bougé, quitte à y laisser la vie.
La procession se poursuivait avec les six cents cavaliers formant la garde personnelle de Cyrus, ses « Immortels », qui n’avaient rien à envier aux Grecs en force et en discipline. Des hommes sélectionnés un par un dans toutes les nations sous contrôle perse, qui servaient à présent sous le même uniforme après s’être entraînés pendant des années à la seule et unique tâche de protéger le prince. Ils n’appréciaient guère de se voir relégués derrières les troupes grecques, mais Cléarque se mettrait en quatre les mois suivants pour s’attirer leurs faveurs dans la limite de ses maigres aptitudes sociales. Au final, Grecs et Immortels développeraient un certain respect mutuel.
[à propos de Cléarque] Ses hommes utilisent leurs boucliers comme oreillers et ne couchent qu’avec leurs lances, oui parfois les uns avec les autres. J’en ai parlé avec lui une fois, car je n’y voyais qu’une forme de spectacle destiné à préserver cette ridicule image de dureté attachée aux Spartiates. Après tout, c’est le général en chef de Cyrus, rien ne l’oblige à dormir dans la boue. Tu sais ce qu’il m’a répondu ? « Le moindre putain de porteur d’eau qui en veut à Cyrus sait où le trouver la nuit. Ainsi que la moindre garce courtisane, jalouse d’une autre garce de courtisane. Voilà pourquoi Cyrus a besoin de trente gardes autour de sa tente. Et qui ferait confiance à un garde ? Donc je préfère la boue, merci bien.
Les pièces grecques utilisent trop souvent à mon goût un artifice théâtral qui relève soit de la paresse intellectuel soit d’un trop grande piété, voire des deux. Quand le personnage principal est au pied du mur, quand plus rien ne semble pouvoir le sauver, un autre acteur déguisé en dieu bienveillant descend sur scène à l’aide de cordes et de poulies ; il fait semblant de projeter des éclairs sur l’ennemi, ou jette un sort qui réconcilie les amoureux, bref il recourt à toute la magie nécessaire pour que la pièce finisse vite et bien. Nous appelons cela le « dieu de la machine », une technique qui permet de résoudre des problèmes hors de portée des personnages humains.
Il y avait un nombre surprenant d’animaux qui donnaient à la ville un aspect barbare. Les statues de chevaux émanaient de généraux victorieux revenus avec de gris butin, ou d’anciens vainqueurs de la course de chars organisée à Delphes pendant les festivités. Un taureau de bronze avait quant à lui été offert quelques années auparavant par les habitants de Corcyre, en remerciement d’un pêche au thon miraculeuse survenue en pleine disette. Je croisai aussi sur mon chemin plusieurs statues de chèvres, dont celle donnée par une petite tribu qui avait échappé à la peste, sans oublier le loup installé près du grand autel, à l’extérieur du temple principal, et offert par les Delphiens eux-mêmes en l’honneur de la bête qui avait tué un voleur venu dérober l’or du sanctuaire. Et l’inventaire ne serait pas complet sans la statue de l’âne censé avoir prévenu ses maîtres d’une embuscade : les dieux semblaient chérir les animaux autant qu’il chérissaient les hommes.
Notre avenir à tous repose sur un fil éphémère tissé par les Moires, le choix d’une possibilité parmi des milliers d’autres. Si un homme s’avérait un jour capable de remonté ces fils jusqu’à leur origine, il s’approprierait les mystères de l’univers et la sagesse divine. Mais alors les dieux le frapperaient de toutes leurs forces, pour protéger leurs existences, comme Icare perdit la vie en s’approchant trop près du soleil.
Il vaut mieux ne pas chercher à démêler ces fils. Sauf qu’une telle résignation est par essence étrangère à la nature humaine. Quel cruel dilemme.
L’athlète de vingt-deux ans était champion de pancrace, cette forme de lutte qui autorisait pugilat et strangulation. Les Athéniens adoraient cette discipline pourtant brutale, certaines manœuvres les plus célèbres consistant par exemple à casser quelques doigts, donner un coup de pied dans l’aine ou déboîter un genou. Une autre série de gestes réglementaires répertoriaient tous les endroits où l’on pouvait planter le pouce ; les morsures et les attaques aux yeux étaient interdites, mais l’on sanctionnait rarement les contrevenants à cette règle.
Crésus demanda à la Pythie s’il devait déclarer la guerre aux Perses. La réponse de l’oracle lui parut très claire : « si vous guerroyer contre les Perses, vous détruirez un grand empire. » Fou de joie, Crésus prit la tête de son armée, qui marcha sur Sardes jusqu’en Perse, où elle fut taillée en pièces. Il dut battre en retraite, poursuivi par les troupes du roi, puis Sardes tomba à son tour après un long siège. Crésus passa le reste de sa vie à se plaindre d’avoir été trompé par l’oracle, qui l’avait poussé à déclarer la guerre aux Perses.