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Critiques de Michel Jullien (56)
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Esquisse d'un pendu

Michel Jullien nous décrit par le menu la fin d’un règne, celui de Charles V, et celui des copistes, nommés aussi «écrivains», de manuscrits sur parchemin. Il le fait à travers le quotidien de Raoulet d’Orléans l’un des copistes attitrés de Charles V.

Lassé de se voir proposer des bibles, Raoulet est convoqué pour une nouvelle commande, dans la tour où le roi a établi sa «librairie» (bibliothèque) et conserve ses précieux manuscrits enluminés. Ce sera à la retranscription des chroniques royales qu’il va devoir désormais s’atteler.

Et ce ne sont pas les livres seuls qui sont enluminées mais aussi les figures, il faudrait dire les tronches ou les trognes que nous décrit avec une verve parfois rabelaisienne Michel Jullien, dans la relation de la vie de Raoulet , de sa femme Maroise, de Oudette l’unique servante qui nourrit tout le petit monde des employés de l’atelier sis à Paris dans la rue Boutebrie.


«Maroise faisait les encres. Les noix de galle les plus fripées sont les meilleures, un apothicaire de l’île les lui choisissait, écartant les vesses-de-loup lisses, les bulbes fermes, lui réservant les avachies, sporulantes.» p 65



Dans une prose truculente, l’écrivain manipule la langue en démiurge. En utilisant des mots rares, goûteux, «des dégelées de verbes» qu’on a plaisir à savourer il sait donner à son récit puissance évocatrice et précision. 
Quelques métaphores surprenantes surgissent qui viennent nous relier au temps présent : nous décrivant Raoulet, «ses oreilles disquées, cernées du bel ourlet de leur circuit» l’auteur ajoute «Mais on ne les voyait pas, perdues sous ... son encoiffade exceptionnelle, fortement tignassée, à l’orange luminescent, d’un feu, d’un roux équivalent à ce que sont de nos jours les clignotants d’automobile.» P45 46

L’auteur nous rend palpable tout un monde disparu où la fabrication du livre et la vie de ceux qui participaient à son écriture et sa mise en forme se mêlaient pour ne faire qu’un, dans un mélange charnel d’odeurs fortes, de sons, un lien physique profond, direct qui va s’éteindre progressivement avec Gutenberg et disparaître complètement de nos jours.

Toute la vie grouillante du quartier où habite Raoulet d’Orléans participe aussi de son travail sans oublier l’ombre de Villon quand apparaît «la Machine» le gibet de Monfaucon qui occupe le premier chapitre (peut-être un peu long), et la fin de ce livre qui sort de l’ordinaire.


Toute avancée technique n’a pas que du mauvais : quelques manuscrits copiés par Raoulet d’Orléans, réservés à l’entourage royal, sont désormais accessibles dans leur intégralité et téléchargeables sur le site Gallica de la Bnf. S’interrompre dans la lecture «d’Esquisse d’un pendu» pour aller les feuilleter et mieux comprendre le travail de cet homme et des aides de son atelier est vraiment un superbe complément apporté à cette lecture en elle-même déjà passionnante.

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Au bout des comédies

Plusieurs récits mis en parallèle deux par deux autour du destin tragique des êtres humains.

Les descriptions sont minutieuses, aussi bien celle des techniques (peinture, horlogerie, navigation) que des personnages ou animaux dans les différentes manifestations de leurs maladies.

Ce livre est bien écrit, mais froid.

La plume de l'auteur se transforme en scalpel de chirurgien.

A vrai dire, pour ma notation, j'ai hésité entre trois ou quatre étoiles.
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Denise au Ventoux

Le narrateur veut faire connaître la montagne à une brave chienne qu'il a en garde et qui l'adore.

Même si j'ai trouvé la description de Denise (c'est le prénom du toutou, vous l'aurez compris) fort réaliste, cette lecture fut difficile pour moi, comme pour d'autres lecteurs et lectrices du cercle de ma bibliothèque. Les phrases sont trop alambiquées et rendent le style lourd, indigeste.

Je m'interroge :

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Yparkho

Ilias est sourd et muet, comme sa mère Maria. Tous deux vivent dans une petite maison crétoise, loin de tout. Maria est en bout de course. Totalement sénile. Ilias s’en occupe comme il peut. Dans la journée, il répare les camions venus trouver secours au seuil de son petit atelier. Le soir, il pêche dans les criques avec sa vieille barque. Un jour, entre deux falaises, Ilias entend le souffle du vent : « ses deux tympans s’ouvrirent, cravachés d’un coup de grisou expulsé du puisard. Quelque chose venait de hurler qu’il reconnut pour un bruit, le premier, entré dans sa tête. Un bruit neuf, distinct, pas de ces borborygmes claustrés tout le jour dans son immense caisse de résonance intérieure […] Un son intelligible, venu de l’extérieur. » Une impression nouvelle qui le bouleverse…





Que se passe-t-il dans ce court roman ? Pas grand-chose à vrai dire. La vie qui s’écoule, paisible. Silencieuse. L’écaillage d’un mérou, la réparation d’un camion, l’agonie d’une dorade, une séance de manucure, tout est prétexte à décrire le moindre geste, le moindre mouvement. Une écriture sensorielle à l’incroyable force d’évocation. C’est poétique sans être ronflant, imagée sans tomber dans la banale compilation de descriptions. Ça pourrait être très lourd, ça pourrait être de la pure esbroufe, de l’exercice de style sans âme. C’est au contraire une déclaration d’amour à la langue et au pouvoir enchanteur des mots. On sent un auteur exigeant, orfèvre, ciselant chaque phrase avec minutie et prenant un évident plaisir à le faire. Tout est là, je pense. Michel Jullien joue avec un lexique foisonnant, il créé une musicalité qui enchante et force l’admiration. Et le lecteur de se régaler de ces petits riens si joliment troussés. Juste somptueux.


Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Intervalles de Loire

La Loire est un fleuve nonchalant que l’avènement du train sauva du labeur. Quiconque la croit docile se fourvoie. Il y a les rives qui s’effondrent, les bancs de sables qui confondent, les courants trompeurs et la marée, près de l’embouchure, qui force la manœuvre. La Loire se mérite. La Loire se respecte. Michel Jullien la vénère, comme l’Amazone ou l’Everest.

Avec ses deux comparses, il entreprend de la descendre en barcasse, parodie de gabarre, d’Andrézieux à Saint-Nazaire. Le jour, ils souquent à tour de rôle, glissant entre les rives d’où les pêcheurs immobiles les observent. La nuit, ils campent sur de petits ilots, dérangés par le coassement des grenouilles.

Le héros de cette aventure, c’est la Loire. Michel Jullien en décrit magnifiquement les caprices, les bruits sur la surface (p33), les abandons (p42), les effluves délicates ou nauséabondes (p65) ou encore, la vision menaçante des centrales qui signalent leur sombre présence par d’interminables panaches blancs (p69).

Je suis grée à l’auteur de ne pas avoir gâté le voyage avec des considérations touristiques (à votre droite…) ou une introspection que la contemplation du fleuve aurait pu susciter. Il n’en a que pour le fleuve. Il en parle d’une langue poétique, vernaculaire aux abords des villages.

J’ai aimé donc, mais je ne suis pas objective. J’ai passé mon enfance près de Châteauneuf-sur-Loire. Avec mon grand-père, nous avons taquiné le goujon, rêvé de silure et guetté l’échassier. Quel bonheur de revivre son enfance sous la brillante plume de l’écrivain.

Bilan : 🌹🌹

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Denise au Ventoux

Prise de contact avec Denise au Ventoux : effarement. Impression de lire un roman de Francis Ponge. Attention, j’aime Francis Ponge, dix lignes, vingt lignes d’une écriture serrée, recherchée, dense, au mot rare, à la tournure désuète voire biscornue. Les choses vues de près, à la loupe, comme on ne les regarde pas, pressé que l’on est.

Mais un roman entier, même s’il ne fait que cent trente huit pages, un roman entier écrit ainsi…

Je n’aime pas renoncer, je m’accroche, je comprends que mon rythme n’est pas le bon, qu’il me faut contrôler mon souffle. Je ralentis, je prends mon temps, je passe sur les mots qui me sont inconnus, en apprécie les sonorités, en subodore vaguement le sens, me dis qu’un jour, peut-être, j’ouvrirai un dictionnaire. Je poursuis ma quête, commence à apercevoir le paysage autour, encore quelques pas avant d’atteindre le sommet. J’y suis, c’est beau, vraiment beau !

J’ai adoré Denise au Ventoux, j’ai aimé ce livre qui ne se donne pas, qui ne s’avale pas comme ça, en passant. Je l’ai achevé émerveillée par tant de beauté car le final est grandiose, d’une poésie peu égalée qui m’a bouleversée.

Que je vous présente Denise qui s’est appelée Cooky puis Athéna mais le narrateur « lui trouvait un air à s’appeler Denise » : « un indéniable féminin dans ses façons, un certain populisme de gueule avec ses permanentes aux oreilles et ses mèches frisottées, l’humilité de son port, l’inné naturel se dégageant de son regard en chandelle, sa brave mine sociable… »

Denise ? Un magnifique bouvier bernois femelle qui occupe royalement « le canapé, alanguie d’un bord à l’autre, couchée sur le dos, la colonne n’importe comment, grande scoliose indolente, le bas-ventre nu sous le grand toboggan du thorax, le gros du ventre aussi, le péritoine offert avec, plus bas, ses lignes de tétons et elle en avait tant, rosis, en chemin de pis, double fortins, des mamelles dans le crin, petits plots fripés, la vulve en cul-de-poule au partage des cuisses creusées d’un incarnat blanchâtre - là où manque son pelage naturel, une plaque qui ressemblait aux maladies, teinte crevette -, le cou cassé sur l’accoudoir, sa tête de chien déjetée sur le débord d’un coussin solitaire du convertible, une babine s’affaissant sous son propre poids, découvrant une cordillère de canines et de molaires, comme une géologie de pics et d’aiguilles blanches, un diorama - plus tellement blanches, teinte mastic à cinq ans -, tous les chiens ont en bouche une chaîne des Alpes. »

Oui, Denise est fatiguée car Denise est parisienne et les marches en montagne ne font pas vraiment partie de son quotidien ! Que fait Denise avec Paul, le narrateur, au mont Ventoux ? Alors là, c’est une histoire, une sacrée histoire que je ne vais pas vous raconter ! Il faut dire que Denise a choisi Paul qui a accepté Denise. Mais Denise n’est pas à Paul, Denise est à Valentine et Valentine est allée courir le monde avec un bel homme du nom de Joop Van Gennep (oui, hollandais) - un être extraordinaire dont les activités commerciales m’ont fait pleurer de rire, oui, vraiment ! Parce que, sachez-le tout de suite, ce texte est drôle, très drôle, la comédie humaine burlesque à souhait. L’humour est piquant, mordant (sans mauvais jeu de mots, bien entendu !) L’œil attentif et amusé du narrateur observe le monde : tout se passe comme s’il se sentait vaguement étranger à toute cette mascarade.

Donc Denise est à la montagne. Elle s’éveille enfin, se réveille, celle qui dort beaucoup, à l’affût de la moindre odeur, du son le plus ténu et ce qu’elle découvre sur les pentes du Ventoux la transporte follement. Alors, elle court, celle qui ne se promène qu’en laisse, elle grimpe, suivie de Paul : « elle rentrait ivre des grandes terres, d’une bambée comme jamais elle n’en avait connue car, en plus des distances, des bonds et des galops, nulle part de tout le jour elle n’avait senti l’homme à part moi, cette essence usuelle à sa truffe, disparue, on eût dit qu’elle s’en grisait, du manque. »

J’aime les chiens, j’ai toujours eu des chiens, de toutes les tailles, de toutes les races, je les observe avec plaisir, je guette avec délice leurs réactions, analyse leur caractère. J’aime les textes qui parlent d’animaux, ceux de Colette, Virginia Woolf, Elisabeth von Arnim, Romain Gary, Roger Grenier, Akika Mizubayashi, Timothy Findley mais franchement, j’ai rarement lu de description aussi juste du comportement animal. Michel Jullien a un chien, des chiens sûrement, j’en mettrais ma main au feu. Voici par exemple le repas de Denise : « Les chiens ont une façon de manger à l’envers, ils engorgent le meilleur, dilapident sans goût, bâfrent d’abord sans succulence et se délectent ensuite des traces subsidiaires, les seules sapides dirait-on raffinées ; tout se passe comme s’ils voulaient se débarrasser du principal pour en venir aux exquis rogatons, aux souillures collées sur les bords de l’assiette, les seules précieuses à leurs papilles. Lorsqu’il n’y a vraiment plus rien dans la gamelle, alors le chien commence à manger. » C’est génial, d’une pertinence absolue !

Evidemment, je me suis attachée à Denise, une bonne bête, vraiment ! Evidemment, Paul aussi s’est attaché à Denise, mais Denise n’est pas à Paul vous ai-je déjà dit…



Je parlais de Ponge, du Parti pris des choses, il y a, je crois, de cela chez Michel Jullien, une certaine attention aux choses et aux êtres, à ce qui fait le monde, une sorte de contemplation, amusée souvent, étonnée parfois, fascinée toujours, de la forme que prend ce monde, cuissots de chien ressemblant aux contours de l’Afrique, bêtes à quatre pattes « debout comme des tables », truffe de l’animal dessinant sur la vitre embuée l’esquisse d’une estampe japonaise. Les choses se font paysages, œuvres d’art, natures mortes, le vivant se réifie, encore faut-il prendre le temps de voir, d’observer, d’arrêter son regard, de cesser sa course.

L’écriture ici nous y aide, qui sert de frein.

Ralentir pour regarder dans le ciel le passage d’un avion : « Il me semblait qu’une certaine éternité naissait ou s’éteignait dans quoi nous étions désormais retranchés », vivre une espèce d’éternité commune, un face-à-face fou d’amour dans un paysage fou de beauté, homme et chien. L’animal, expert en attente. L’homme s’y initiant, contraint certes, mais refusant désormais le temps inscrit à son poignet.

Tous deux unis à jamais, quoi qu’il arrive. Mais j’en dis trop, j’en dis trop.



Une ode à la beauté, à la vie, à l’amour, au don de soi et au temps qui passe. Un texte fort et inoubliable.


Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Denise au Ventoux

"Denise au Ventoux", voilà un titre à la simplicité énigmatique qui a attiré mon attention lors de la dernière opération "Masse Critique". Quand j'ai compris en en lisant le résumé que ce prénom plutôt désuet était celui d'un chien, j'ai trouvé le concept assez drôle et j'ai postulé. Merci donc aux Éditions Verdier et à Babelio de m'avoir entraînée dans les pas de Denise.



Paul, la narrateur se voit confier par Valentine, une amie appelée à suivre un amour aux États-Unis, la garde de sa chienne Athéna. Devant la bonhommie de cette femelle bouvier bernois de 4 ans et de ses 45 kgs, il décide de la rebaptiser Denise. Peu importe son nom, l'animal a un véritable coup de foudre pour Paul et est prêt à tout pour être à ses côtés (comme s'installer sur la micro-place à l'avant d'une voiture de location plutôt que sur la banquette arrière). Pendant presque un an, à Paris, leur duo improvisé va se contenter d'arpenter le pâté de maisons pour les promenades quotidiennes, y ajoutant quelques dimanche au parc. Mais voilà que les amours de Valentine ayant pris fin, après un énième séjour à l'hôpital où la conduit régulièrement sa neurasthénie, celle-ci annonce son retour et sa décision de récupérer sa chienne. Paul décide alors d'emmener son binôme pour une dernière escapade de quatre jours dans le Ventoux, loin des trottoirs parisiens. Et là....



Au début du roman, j'ai été déroutée par le style de Michel Jullien que je trouve assez "tarabiscoté". Puis rapidement, je me suis laissée convaincre par la poésie qui se dégage du texte, par l'exacte précision pleine d'humour des multiples descriptions de Denise (alanguie sur le canapé, roulée en boule dans la voiture, marchant toujours devant mais en attente de la décision du maître à chaque croisement,...). Paul ne s'étale pas beaucoup sur son existence personnelle, j'ai eu l'impression que sa rencontre avec Denise avait comblé un manque. Compter pour quelqu'un est important même si ce "quelqu'un" est un chien. C'est cette relation animal-homme qui est détaillée de façon magistrale, mais cependant sans bêtifier (pas de chien-chien à son pépère...). Les comportements de l'animal sont si bien saisis sur le vif que sans cesse ils me renvoyaient à ma propre relation avec les compagnons de ma vie (un clin d'oeil à Jaye dont l'ombre n'est jamais loin de la mienne, une pensée pour Whisky, Dick et Vicky qui ont rejoint le paradis des chiens). A côté de l'imposante présence de Denise, vous ferez la rencontre de personnages truculents comme Joop van Gennep, l'amoureux de Valentine, ainsi que d'Eliette, la pittoresque propriétaire du gite et de feu son chien Tonnerre, mais c'est surtout le Ventoux et les beautés de sa nature sauvage et dangereuse qui tiennent le second rôle.



Je n'avais pas l'intention de mettre 5 étoiles à ce livre car l'écriture bien que belle, est complexe. Je ne voulais pas mettre 5 étoiles car j'ai terminé ma lecture en larmes...

J'accorde finalement 5 étoiles et un 20/20 car je ne peux pas mettre moins, cette histoire sonne terriblement juste à mes yeux et parce que Denise et ses regards enamourés les valent bien, les 5 étoiles. Un autre coup de coeur pour 2017 !
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Esquisse d'un pendu

Partons à Paris vers 1375 pour faire connaissance de Raoulet.

Raoulet d’Orléans est copiste, son atelier, composé de laïcs, travaille pour le roi Charles V, il fait partie de ces artisans relieurs, enlumineurs, libraires, qui travaillent par privilège royal

Raoulet n’est pas un patron très sage, non c’est plutôt un joyeux luron au gosier en pente et aimant la bonne chair, un de ses passe-temps favori est de courir les tripots de la ville, bouges, ribaudes n’ont pas de secrets pour lui, parfois curieux il assiste au spectacle donné à Montfaucon.

Le roi lui passe commande de deux livres peu ordinaires, finit les Bibles à répétition, le voilà charger de codex prestigieux un texte d’Aristote traduit pour la première fois en français, et Les Grandes Chroniques de France.

Deux livres très différents, un reflet de la pensée grecque, une oeuvre universelle et de l’autre, un livre de commande destiné à servir la gloire du roi et de ses prédécesseurs, moins noble, mais qui peut assurer la richesse du copiste.

Le travail sera long surtout que par sécurité Raoulet fait faire une seconde copie à son atelier, une sécurité, une assurance sur l’avenir.

Un travail long, après le travail des copistes le livre passe en atelier d’enluminure, une faute, une tâche, une coquille et toute une page est à refaire, la commande peut prendre du retard.



Le maître d’oeuvre est attentif à tout faux pas, c’est lui qui apposera sa marque, le « congé de l’écrivain » dans un « cul de lampe » à la dernière feuille. Pas question que cette signature soit entachée d’erreur ou pire d’irrégularité. Il en fait parfois des cauchemars surtout lorsqu’un soupçon de contrefaçon lui vient. Plagiaires et faussaires font leur apparition au mépris du risque encouru : une place sur le gibet de Montfaucon !!

Raoulet mène l’enquête, ne pensez pas pour autant être dans un polar, non rien à voir, Michel Jullien préfère plutôt la parabole.



Il met en scène un métier qui est sur le point de disparaître, tout près se profile la presse de Gutenberg qui va à jamais ruiner les ateliers de copistes

Raoulet est un peu inquiet mais cache cela derrière une jovialité moqueuse, quoique dangereux ce papier cet « attrape-nigaud » ne saurait perdurer n’est-ce pas ?



Le vocabulaire est d’une grande richesse et d’une grande précision, souvent on devine le sens des mots, d’autres exigent le recours au dictionnaire et de temps à autre les mots du moyen-âge viennent se frotter aux mots d’aujourd’hui avec un anachronisme réjouissant.

Le roman interroge l’époque actuelle : le moyen-âge connut le passage du livre réservé aux puissants à ce qui deviendra le livre pour tous. L’imprimerie a chassé les copistes, le numérique chassera-t-il le papier ?


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Denise au Ventoux

C'est un petit livre qui se mérite... Il faut entrer dedans, accepter de se confronter à l'écriture assez complexe de Michel Jullien, lâcher prise en quelque sorte pour se laisser emmener en dehors de sa zone de confort. Il faut accepter, oui, car le voyage est aussi difficile d'accès que les pentes escarpées du Ventoux, mais l'arrivée est belle, poignante, on atteint un état de plénitude qui justifie tous les efforts. Un peu comme une ascension...

C'est l'histoire de Paul et de Denise. Une très courte histoire. C'est Denise qui a remarqué Paul la première alors qu'il fréquentait sa maîtresse, en toute amitié. Ah oui, j'ai oublié de vous le dire, Denise est un chien, un bouvier bernois qui pèse bien ses 43 kg. Denise vivait avec Valentine (et s'appelait alors Athéna) qui s'en est trouvée bien encombrée lorsqu'elle a envisagé de suivre l'homme de sa vie (croyait-elle) aux Etats-Unis. Alors on s'est rappelé que Denise sautait sur Paul à chaque fois qu'elle le voyait. Peut-être que Paul ?... Et voilà comment il fut décidé que Denise habiterait chez Paul le temps de la virée américaine.

Michel Jullien nous parle avec beaucoup de talent de ce qui fait la relation entre un homme et un chien, en quoi cette relation influe sur le reste de sa vie et peut-être sur sa façon de regarder le monde autour de lui. Au bout d'un an de promenades dans le quartier parisien de Paul et d'escapades de fin de semaine au bois de Vincennes, Paul décide d'offrir à Denise un vrai bol d'air. Ce sera le Ventoux, Paul décidant de transformer une contrainte en opportunité. Quatre jours "en amoureux" dans cette nature immense, quatre jours pour se dépenser, faire le plein d'oxygène et de courses folles...

Dois-je avouer que j'ai fini ce livre en larmes et que j'en ai rêvé toute la nuit qui a suivi ? Les dernières pages sont sublimes et touchent au cœur. Alors oui, l'écriture peut déstabiliser un moment, mais l'ascension vaut le coup !



Alors une fois encore, merci à Babelio pour ces Masses critiques qui sont toujours l'occasion d'oser découvrir de nouveaux auteurs et de se lancer dans des lectures qu'on n'aurait peut-être pas osé aborder sans cela. Et merci aux Editions Verdier de s'être prêtées à l'expérience pour mon plus grand plaisir.

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Denise au Ventoux

Une ode d'amour ...au chien, enfin une chienne , à la montagne...ici le Ventoux , une ode simple, comme l'amour...le vrai, une ode poétique et cruelle aussi, comme la vie. On a tous connu, du moins je l'espère, un chien et croisé son regard confiant, entier plein d'amour, peut être pas tous parcouru les pentes d'une montagne petite ou grande, c'est de la grimper qui importe et que le regard prenne de l'altitude lui aussi. Grimper une montagne en compagnie d'un chien, partager l'effort et la joie avec un animal rapproche encore plus de la nature par la joie simple partagée et complice.

Aller vers l’animal pour se rapprocher de l'autre, des autres et de soi. La fin est cruelle comme toutes les fins, mais l'homme en sort grandi comme à chaque fois qu'il s'abaisse vers plus petit que lui.
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Yparkho

Récit insulaire aux confins du silence.

Le pécheur crétois, Ilias, vit avec sa mère Maria, tous les deux sont sourds et muets ; elle, sénile, ne quitte plus sa maison, lui est toujours en mer, ou dans son atelier et sur la route pour réparer de vieux camions tombés en panne.

Dans une prose poétique admirable où chaque mot fait sens, Michel Jullien décrit les gestes, les objets du quotidien, les rituels, les mouvements des éléments de la nature, les réparations...Il rend palpable le lien très fort qui unit l'homme à sa mère, à son milieu.

Des pages inoubliables : l'agonie des poissons dans la barque, le repas de la mère, l'attente des chats, le rituel du vinyle ( qu'Ilias fait tourner à tue tête!) et "la gueule à vent" qu' il croit entendre pour la première fios.

A lire très lentement et même à voix haute pour mieux savourer chaque phrase!
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Esquisse d'un pendu

Foin de douceur dès le début, mais la fascinante découverte de la Machine, à savoir le gibet de Mont faucon, extraordinairement et précisément décrit. Gibet disparu bien sûr, qui se trouvait en gros dans les environs du canal Saint-Martin.



"La Machine se dresse à la vue comme une tour de Babel à pendus, un gigantesque Rubik's Cube serti en plein pâtis, enraciné sur son écrin de tumulus."

"On y rencontre des contorsionnistes à jambes rebindaines, des équilibristes, des cabotins interdits de décubitus post mortem, on assiste à des numéros de trapèze, à des cabrioles d''estrangelez' qui ne sont pas sans rappeler les planches de Vésale, ses anatomies dégingandées, élastiques, arrimées à hue, retenues à dia, titubant contre un échalas, encagés dans les marges de la gravure comme les corps de Montfaucon sont empagés dans leurs fenêtres de pierre. C'est une forme de drive in en plein champ, sans billet d'entrée, un aquarium à pendus, un 'accrochage', un happening. Un grand code-barres mis en volume dans le décor."



Vers 1375, sous le règne de CharlesV. Raoulet d'Orléans est stationnaire rue Boutebrie. Son atelier s’attèle pour de longs mois à la copie de manuscrits, car Gutenberg est encore un nom inconnu. Son métier est associé à celui de parchemineur, enlumineur, relieur.



"C'est qu'avant la machine le manuscrit servant de guide au scribe, une fois copié, n'aboutit à rien d'autre qu'à un manuscrit, que le producteur d'idées fait œuvre d’écrivain comme après lui le tâcheron des copies continue de s'appeler écrivain. Les lettres de fer scinderont le verbe, feraient plus, diviseraient le geste : l’auteur demeurera assis, jusqu'à nos jours encore, quand le copiste, celui de 1368, sur le point de se lever de son siège, deviendra l'ouvrier typographe, travaillant debout, pour ne plus s'asseoir (du moins pendant six cents ans, jusqu'à l'intronisation de l'ordinateur, nouvel outil le priant de se rasseoir.)"



Raoulet a parfaitement existé. En dernière feuille de ses manuscrits, on peut lire son congé d’écrivain, fignolé à chaque fois, par exemple:

"Si fu prince sus nommé

Ce livre baillé et donné

Par le dit Jehan que je ne mente

L'an mil CCC XII et soixante."



Et l'histoire? Mis à part une vivante description de la vie de cet atelier? Tout simplement qu'en accomplissant une commande du roi lui-même, à savoir recopier les Chroniques de France (et pour Raoulet habitué à copier des Bibles, l'impression de voir le passé tout proche caracoler derrière son épaule, comme nous lisons sur internet les dernières dépêches), Raoulet s'aperçoit que quelqu'un en profite pour exécuter une copie pirate. Et ça, cela ne doit pas être! Comme une sorte de plagiat. Sa profession a des règles!



Ce roman historique à la langue si drue, à l'érudition digeste, ne pouvait que me plaire!
Lien : http://enlisantenvoyageant.b..
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Esquisse d'un pendu

1370, atelier laïque de copie et grand gibet de Montfaucon, dans une langue minutieuse et savoureuse



Publié en ce début 2013, le troisième texte de Michel Jullien chez Verdier peut désarçonner, voire légèrement agacer par moments, mais s'impose in fine comme un bien beau moment d'écriture.



C'est à une immersion intégrale dans une tranche de vie parisienne de 1370 que nous sommes conviés, en suivant Raoulet, artisan copiste tenant le haut du pavé, à l'atelier duquel le roi Charles V le Sage vient de confier la réalisation de deux volumes, une traduction de la "Politique" d'Aristote, et la mise à jour des "Chroniques royales" (précieux manuscrit aujourd'hui pieusement conservé à la BNF).



C'est donc l'occasion de plonger avec volupté dans ce monde ignoré, celui de l'univers laïque du manuscrit, avec tous ces professionnels gravitant autour de la mission de la propagation de l'écrit, support du savoir, à quelques années de l'arrivée de l'imprimerie. Loin de l'atmosphère monacale des ateliers religieux consacrés par l'imagerie du Moyen-Âge, Raoulet est un bon vivant, qui, tout en montrant un dévouement sans bornes à son métier, n'aime rien tant que se promener, rencontrer ses confrères, clients, intermédiaires et fournisseurs, arpentant le pavé (encore peu répandu d'ailleurs) parisien, d'estaminet en estaminet, pour finir souvent dans les tavernes hors enceinte de l'immense, monumental, gibet de Montfaucon, qui joue bien un rôle essentiel à la fois dans le paysage et dans l'intrigue quasiment policière qui va se développer sous nos yeux, d'abord comme incidemment, autour des enjeux cruciaux de la reproduction illicite de manuscrits...



Le travail d'immersion par le détail du vocabulaire, authentiquement recherché ou réinventé, est sidérant, et au premier abord, presque exagéré, d'autant que les quelques sauts métaphoriques tout à fait contemporains et les quelques maniérismes dans les comparaisons (avec d'obscurs jazzmen, par exemple) frôlent parfois l'accident d'écriture dans les 100 premières pages. Mais la constance et la qualité du propos, l'humour implicite des personnages et des situations, le sérieux de la reconstitution, parviennent à s'imposer face aux réticences éventuelles, pour ne laisser que le charme indéniable de cette histoire autre et pourtant si familière. L'apothéose finale, qui viendra comme boucler le cycle et justifier la surprenante introduction, en est un témoignage magnifique.



"Pour d'autres visées - compilation de génie civil -, l'opuscule servit encore Viollet-le-Duc, duquel il puisa l'essentiel de la trame afin de mettre au point, à la lettre F, entre "Four" et "Frise" de son Dictionnaire de l'architecture, l'entrée "Fourches patibulaires"."



"Retour à Montfaucon, parfois, Raoulet revit ce bagage aux allures de punching-ball, l'oeil fier, son gros secret, son rébus d'écrivain suspendu à l'empyrée de son casier particulier. Un jour prochain il y pensait, la besace ne serait plus, remplacée par un pendu flambant. Un jour bientôt mais comment s'en douter, à la veille de se perdre, le codex ne serait plus. Viendrait le livre, sa machinerie, l'imprimé, ses âges jusqu'à l'abus, son temps d'intérim puis d'autres suppléances après lui."

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L'île aux troncs

Il y a toujours une histoire entre un roman et son lecteur, un lien invisible se tissant au premier regard avec la première de couverture, le titre tinte un appel, puis le bandeau quelque fois accroche par son jeu de mots ou une gravure, un dessin et enfin le Graal par le quatrième de couverture, un extrait, une petite amuse-bouche, un concentré élégant distillant l’excellence du roman. L’île aux troncs de Michel Jullien, au titre magnétique, au bandeau avec une image de la reproduction de peinture Je ne veux pas une nouvelle guerre par Gennady Dobrov 1974 sur l'affichage à l'exposition les Manuscrits de la guerre à Moscou et ce quatrième de couverture soufflant la dernière inspiration pour s’attacher au livre, les doigts serrés à cette édition Verdier, créative de belles pépites, cette couleur caractéristique de la couverture, orange-jaune, je suis dans cet espace-temps statique où mon esprit façonne déjà une évasion littéraire unique, une prose nouvelle à gargantuatiser sans modération, ce lien est là, L’île aux troncs s’invite dans ma bibliothèque pour un jour s’ouvrir à mon âme.

Michel Jullien est un peu énigmatique, alors j’arpente pour découvrir cet auteur, né en 1962, proche de Paris, a fait des études littéraires, a enseigné au Brésil, puis a travaillé dans l’édition pour ensuite s’est adonné à l’écriture, il est l’auteur de six romans aux éditions Verdier, comme Denise au Ventoux, prix Franz-Hessel 2018, Yparkho, prix de Tortoni 2015 et des livres sur sa passion la montagne, Mont-Blanc, premières ascensions, éditions du Mont-Blanc, 2012 puis Alpinisme et photographie : 1860-1940, co-écrit avec Pierre-Henry Frangne et Philippe Poncet, Amateur éditions, 2005.

Les premières pages sont une énumération étrange de personnes estropiées, tous sans jambes, un à un dans une cellule numéroté, ces hommes sont surnommés des samovary, une description minutieuse, tous posés là, vivant leur mutilation comme les pièces d’un jeu d’échec, une comparaison légère et volatile, de ces hommes deux êtres deviennent des irréductibles compagnons, unis de leur solitude imposée, sur cette île de Valaam, titre de ce chapitre, reclus dans un ancien monastère, l’un est la curiosité de l’île, Kotik, l’Amputé, « une guibole singleton », l’autre un samovar ordinaire, Piotr voisin de cellule de son camarade, une amitié de plus de dix ans, les unit, puis les souvenirs de Nathalia et de sa gloire. L’âme Russe s’infuse dans ces hommes, un poème de Pouchkine, Poltava ruisselle les lèvres humides d’un de ces êtres bannis, les accords d’Igor Netcheporenko, des Bateliers de la Volga fredonne l’atmosphère de cette île de Carélie, et, ses noms et prénoms aux consonances salves respirent ce pays de Fédor Dostoïevski et Alexandre Soljenitsyne. Cette île est une île dans l’île, très poupées russes ironise Michel Jullien, lorsqu’il décrit avec beaucoup de justesse ce lieu, l’aquarelle du paysage, le moustique engrenage de ce lieu perdu dans une bestialité primitive, une nature férocement inhumaine, libre de ces âmes mutilées, jonchant leur sol, inerte à la faune et flore ambiante. Pour ensuite définir cette île, comme le timbre-poste de l’Union soviétique, devenant la retraite de ces « rabougris de l’Armée rouge », pour les cacher, sans honte et honte de ces infirmes.

Petit à petit Michel Jullien distille un souffle historique à cette intrigue, des dates, des lieus, des combats où ces hommes, ces militaires soviétique, ces demis hommes de leur tares, de ce cadeau militaire, une décoration gravée à vie, une cicatrice dévorante pour devenir ces hommes troncs s’illusionnant d’une utopie comme des icônes perdues sur cette île perdue entre l’Islande et le froid, entre prison et bannissement, ces êtres au cœur d’adolescent frissonnent le temps dans l’alcool, les jeux de mains et surtout les songes.

Ces hommes marqués par la guerre jouent de leur sort avec une drôlerie face aux sorts que la guerre leur a offert, cette mutilation et de leur pays lâche, les abandonnant dans un « drôle d’îlot glacière », les bannissant de l’horreur de la guerre par les stigmates recueillis, au lieu de les chérir de leur bravoure et de leur sorts, ils deviennent des parias, des invisibles, des intouchables, pour laisser seulement la façade propre, nettoyer l’indicible pour devenir l’éclat du paraitre, la guerre propre sans conséquences, c’est une évolution de la vie de ce pays, les traces de cette guerre lointaine, les premiers essais de la bombe nucléaire, le 29 Août 1949, la lassitude gagne les villes comme Leningrad, aseptiser ses rues, les passants sont las de ces estropiés baignés dans l’alcool, et d’un coup de balais faire partir ce contingent d’amputés vers une destinée lointaine et proche , l’île de Valaam avec ce monastère vide du XVIe siècle, où nos deux compagnons Kotik et Piotr y résideront comme des fantômes d’anciens militaires.

Michel Jullien à travers l’épopée de ces deux militaires déchus de leur handicap, une Russie hostile à ses propres enfants combattants l’ennemi allemand, une Russie malade, des difficultés dans l’administration des vétérans, des hôpitaux vétustes, des jeunes hommes rongés par l’alcool, dévorés par une guerre qu’ils n’ont pas choisis. La traversée invisible de ces deux anti-héros, ce couple unique par leur physique, ce pantomime à quatre membres, une jambe, trois bras, errent dans leur pays de Moscou à Leningrad puis sur cette île Valaam pour se perdre dans leurs illusions perdues, l’un dans la natation sans eau, sur une chaise, l’autre dans la sculpture d’objets et de femmes plantureuses et surtout leur amour pour une aviatrice Natalia Fiodoravna Mekline. Tous les deux aiment cette jeune Russe avec ce portrait enfuit sous les aisselles de l’un d’eux, puis découvert chaque jour pour leur rituel journalier, leur amour stérile, échappant de leurs petites cervelles une idée féroce d’aller la rencontrer, dans sa ville de Loubny, un périple fou pour ces deux fous si attendrissant. Michel Jullien ouvre son roman dans un romanesque attendrissant avec ces deux hommes encore adolescents dans leur esprit et l’âme perdue dans cette guerre, les privant de leur innocence, sans les perdre dans une conviction mature malsaine. Petit à petit la prose juste de notre auteur dérive vers la vie atroce de ces soldats, puisant des informations sur la publication Grandeur et misère de l’armée rouge. Témoignages inédits (1945-1945) par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, récoltant des témoignages des vétérans de l’Armée rouge, puis aussi avec le livre vérité de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne.

Ce court roman happe par sa force subtile, une découverte assez sombre de la Russie d’après-guerre, malmenant ces enfants de guerre, écho invisible à L’archipel du Goulag et à l’esprit Russe de ces auteurs comme Dostoïevski, Tolstoï que cite Notre auteur, lorsque nos deux estropiés perdus dans le froid ressemblent à deux de ces héros de Maître et serviteur, une nouvelle de Léon Tolstoï parue en 1895. Un roman courageux, fort bien écrit avec une âme tendre et amusante quelque fois, pour échapper à cet enfer, ces deux militaires restent des hommes touchants, inertes à leur sort, comme deux enfants.

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L'île aux troncs

Île de Valaam, nord-ouest de la Russie, dès la fin de la seconde guerre mondiale, les éclopés, culs-de-jatte pour la grande majorité d'entre eux, y sont relégués, dans un ancien monastère, pour ne plus mendier dans les grandes villes du pays. Là, vivent Piotr et Kotik. Piotr est comme beaucoup de ses voisins, amputé des jambes. Kotik, lui, a encore une jambe, un privilégié donc, mais n'a qu'un bras, les deux membres restants du même côté.



C'est sur cette base historique que Michel Jullien construit le roman de ces deux hommes qui vouent un culte à l'aviatrice Natalia Mekline (1922-2005), héroïne de guerre.



Le livre débute par un travelling absolument génial de la communauté îlienne. Dans une langue un brin précieuse -j'ai dû aller chercher la définition de quelques mots : "bollard", "piédouche", "paisseau", "tronchet", "cauteleux", "mofettes", "bagotter", "higoumène", "soulte", "empeigne", "dessiller", "embrever"- et en même temps d'une grande modernité, de belles longues phrases déstructurées, très ponctuées, assemblant en elles parfois plusieurs idées, Michel Jullien parvient à faire naître de nombreuses images. J'en ai apprécié chaque mot, chaque tournure, que j'ai lus lentement pour n'en rien rater.



Puis, le romancier, dans sa deuxième partie, s'attarde sur le duo Piotr/Kotik, avant qu'ils n'arrivent à Valaam, leur amitié, leur force malgré leur jeunesse. Tout n'est pas dit, et il faut deviner des traits de caractère, des conséquences de leur situation de mutilés de guerre, Michel Jullien parie sur l'intelligence du lecteur. Il continue sur le même rythme, le même style littéraire, qui, parfois, induit quelques longueurs, car je le disais plus haut, pour bien en profiter, il faut tout lire, prendre son temps, ce ne sont pas des longueurs rédhibitoires, elles participent à la bonne compréhension de la vie des deux jeunes hommes dans le monastère.



Cent-vingt pages qui peuvent prendre un peu de temps (avec en prime un court dossier sur l'île de Valaam et Natalia Mekline), mais qui sont d'une grande beauté, qui peuvent déplaire, mais qui, lorsque le lecteur s'y retrouve lui donnent une grande joie, un plaisir de lecture indéniable. Sans doute y aura-t-il des critiques plus objectives, plus construites que ma recension, mais je me suis totalement, et dès le début , laissé emporter d'abord par cette écriture si particulière, si belle, puis par le contexte et enfin par Piotr et Kotik. Comment aurais-je pu résister à un texte qui débute comme ça -avec cette première phrase que j'ai relue plusieurs fois, me demandant pourquoi elle était construite ainsi et finalement la trouvant parfaite ?



"A ce point que, de bonne foi, on n'aurait pu prétendre à un hasard. En effet, on vit sortir un mutilé de sa cellule, héros de l'île parmi d'autres, diminué sous le fessier avec un déhanchement inoubliable, une espèce de pendule volontaire, le corps oscillant d'avant en arrière à chacun de ses pas qu'il effectuait sur les mains, agile, plutôt souple et sans que rien ne pesât, les épaules comme elles travaillent aux arceaux, un magnétisme terrien, à peine empesé, les deux bras enroulés dans un fichu de laine, les paumes servant de talon, le poignet efficace, en soutènement, actif, un grand moignon, à lui tout seul se balançant entre deux foulées, le buste qu'il envoyait au sol comme un plot, une potiche mobile avec un peu de poussière flottant autour des hanches à chaque nouvelle tombée, un bassin qui servait de bollard." (p.11)



Alors, comment résister ? Et la suite est aussi réjouissante. Vive la préciosité -des imparfaits du subjonctif, des mots peu usités, des tournures de phrases osées- dont je parlais plus haut lorsqu'elle sert un texte si beau.
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Intervalles de Loire

Les trois rameurs sont les besogneux, la Loire est la vedette.



Un arrêt sur le pont de Loire à Nevers entre amis peut changer un moment de vie, tout comme fêter ses cinquante ans de façon bien arrosée.



Ils sont trois amis et, après (ou pendant) les libations lancent cette proposition « descendre la Loire en barque » Ben oui, pourquoi pas et le lendemain l’un d’eux ressort la proposition… c’est l’engrenage, surtout lorsqu’ils dénichent sur le Bon Coin une annonce « Vend barque ». Une grosse barque en alu à fond plat. Pour eux trois, cela devrait aller. « une ancienne barge de pompiers, une grosse ferraille rouge et piquée (peut-être moins rouge qu’entièrement rouillée), un parallélépipède évasant dénué de fuselage, fond plat, carène épaisse, des plats-bords ourlés, lippus, quelque chose d'immaniable, long de sept mètres pour deux de large, deux cents kilos à l'oeil, poids net. »



Et vogue la galère, pardon la barque ! Elle a un prénom « Nénette »



Les trois copains débutent leur périple à Andrézieux. Plus en amont, les dimensions de l’embarcation n’autorisent pas la navigation.



Le livre n’est pas un carnet de bord, mais les impressions de l’auteur, « à hauteur de paupières », à hauteur de sensations.



Michel Jullien m’épargne les descriptions cartes postales tout comme les bruits de son nombril.Tout n’est que sensations visuelles, auditives, olfactives. Oui, la Loire a une odeur (je suis assez souvent à son bord des heures à traquer oiseaux et autres libellules) une odeur sucrée de vase, poissons, limon et essences végétales diverses - quoi, ça pue !! mais non, c’est une sensation délicieuse, vous y êtes et ça se sent !



« La barque évolue dans une espère de silence engorgé de bruits, entendus de loin, à l’écho, des bruits dont on ne voit pas l’émission, l’origine » et puis, il y a le clapotis sur la coque ; le couinement des rames dans leurs dames de nage empêche de l’entendre, mais lorsqu’ils ne rament pas, ils perçoivent « un gargouillis de haute-contre… quelque chose de fin, posté entre le fredon et le cliquetis » Des fois, l’embarcation « froufroute de la coque » lorsqu’elle touche un haut-fond.



La Loire, tout comme l’Allier n’est pas si dolente qu’elle y paraît avec ses tourbillons, le passage des ponts, les hauts-fonds.



Pour dormir, il dégotte un îlot où, la nuit, les coassements des grenouilles et autres crapauds ne sont pas qu’un petit bruit de fond agréable.



Les trois rameurs sont les besogneux, la Loire est la vedette.



Qu’est-ce que j’ai aimé ce voyage sur la Loire. Rien de sensationnel, mais il faut le faire. Les sensations que Michel Jullien décrit avec un vocabulaire imagé sont emplies de poésie. C’est également une échappée littéraire car la Loire a connu moult grands écrivaines et écrivains que l’auteur insère dans le paysage tels Madame de Sévigné, Jules Renard, Paul Valéry… sans que ce soit redondant.



La Loire, fleuve royal et majestueux (n’oublions pas l’Allier!!), vivant, habité, Michel Jullien un auteur au talent certain, tout ceci en fait une très belle lecture.



Un bonheur de lecture où l'humour pointe le but de son sourire



J'en fais un coup de coeur de par son hymne à la Loire et à l'écriture
Lien : https://zazymut.over-blog.co..
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L'île aux troncs

Dans la glace et l’horreur, le feu et l’humour, l’incroyable odyssée d’une colonie de mutilés soviétiques de la deuxième guerre mondiale.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2018/09/01/note-de-lecture-lile-aux-troncs-michel-jullien/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Denise au Ventoux

Concernant Michel Jullien, on m’avait parlé d’écriture ciselée et d’optimisme, de joie, de vie. A la lecture de Denise au Ventoux, rien de tout cela, je pense être complètement passée à côté.



Pourtant l’histoire me tentait bien. Cette relation entre Denise et Paul m’intriguait.



Denise est un gros bouvier bernois qui tombe sous le charme de Paul. Paul, qui n’est pas son maître, accepte de s’en occuper – temporairement – et lorsqu’arrive le moment où il doit la rendre, il décide de faire une dernière virée. De quitter Paris pour le Ventoux avec Denise. C’est qu’il s’est attaché à ce gros chien affectueux !



Je suis plutôt quelqu’un de sensible et cette histoire aurait pu me faire pleurer. Elle aurait dû, d’ailleurs. Tous les ingrédients étaient réunis. Mais j’ai été gênée par le style de l’auteur. Je l’ai trouvé trop dense, trop touffu. J’aime la simplicité alors que la plume de Michel Jullien préfère la complexité. Et avec moi, ça n’a pas marché. Je suis tout de même passée lire les avis sur Babelio et ce roman récolte presque à chaque fois cinq étoiles.



Donc, ne vous arrêtez pas forcément à mon avis, et si vous aimez les chiens, vous pourriez tout à fait tomber sous le charme de cette histoire, qui ne manque pas d’humour. C’est juste que ça n’a pas été le cas pour moi.
Lien : https://mademoisellemaeve.wo..
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Esquisse d'un pendu

je n'ai pas aimé du tout ce livre truffé de synonymes ,ampoulé,très désagréable â lire.C'est plus un exercice de style comme si l'auteur voulait nous convaincre de sa connaissance de la langue médiévale.il fait un rapprochement avec le numérique mais que de déception ! je l'ai lu dans le cadre du prix jeand´heurs spécifique à ma région.
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Denise au Ventoux

Chaque année, ma famille et moi passons deux semaines au pied du Mont Ventoux, plus exactement à Malaucène.

Croyez-moi bien : lors de mes vacances 2023, l'âme de Denise planera sur nos vacances.

Non seulement l'auteur la gâte de ses caresses, mais il lui fait cadeau de son vocabulaire châtié, ses phrases bien sculptées, ses descriptions fines.

Je suis contente que le livre se termine sur, je dirais presque, un arrêt sur image. Au lecteur d'imaginer ce qu'il advient de cette pauvre Denise et de son maître.

Lecture passionnante, émouvante qui mérite bien d'être récompensée par "Trente millions d'amis".
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