Présentation en anglais d'une autre édition
Notre monde est celui qui existe dans les fissures du vôtre. Nous, on peut vous voir à travers ces fissures, mais vous, vous ne nous voyez que rarement, du coin de l'œil, fugitivement, avant qu'on disparaisse.
En avançant, votre monde nous a laissés en arrière.
Et vous nous avez oubliés.
Mais.
ON EST TOUJOURS LÀ.
Oubliés ? Oui.
Sans importance ? Non.
Parce qu'on connaît la vérité sur vous.
Sur ce qu'était le monde d'avant.
Sur la façon dont il a changé.
Sur ce qu'il est devenu.
[...]
Alors si, contre toute probabilité, vous trouvez cette cassette, que vous l'écoutez et que vous entendez ma voix, dans ce cas, je vous en prie, rappelez-vous que nous avons existé, que nous existons toujours, et que vous nous manquez.
Adieu.
Et s'il vous plaît...
Souvenez-vous de nous
J'ai senti mon esprit faire exactement ça, lâcher tout son bagage, tous ses jacassements internes.
Tandis que la lumière laissait place à une obscurité totale, je me suis aperçu que la voix de Danny disparaissait avec elle.
L'obscurité ne m'a pas paru bizarre, plutôt bienfaisante.
Bientôt, il n'est plus rien resté d'autre.
Rien que l'obscurité.
Et la paix.
[...]
Mon souvenir d'après, c'est le réveil.
Brutal.
Avertissement : cette unité de stockage de données, dit "livre", a été conçu pour reprogrammer le cerveau humain et lui permettre de reproduire un art disparu, autrefois appelé "lecture". Ce processus ne requiert qu'un simple effort d'adaptation et n'induit aucun effet secondaire négatif ou dangereux.
En quoi consiste la "lecture": les données, imprimées sur des feuilles de manière indélébiles, sont scannées visuellement, de gauche à droite et de haut en bas.
Ces données une fois scannées sont transmises par le cortex visuel directement au cerveau, où elles peuvent ensuite être consultées de la même manière que tout autre type de données.
Les cassettes Straker s’arrêtent sur cette supplique, un appel au souvenir. L’histoire de Kyle et de Lily s’interrompt ici, et nous ne pouvons que deviner ce que l’avenir leur a réservé.
Peut être ont-ils décidé de se joindre à nous et sont-ils entrés dans l’un des silos à grain dont parlait Kyle.
Nous ne le saurons jamais.
Les cassettes ne le disent pas.
Si on en croit cette histoire, nous avons désormais des réponses à des questions que nous ne nous posions même pas. Et que nous n’aurions jamais imaginé avoir à nous poser.
Qu’en est-il des 0.4?
Que pouvons-nous faire pour eux?
- Ça vous fait penser à quelque chose ? l’ai-je questionné.
- Je suis facteur, a-t-il déclaré.
J’ai cru qu’il était retombé dans sa crise de folie, mais il a continué :
- Ces dernières années, on a observé de gros changements dans le type d’objets qu’on livre. Certains de ces changements sont frappants : beaucoup plus de colis en provenance d’eBay ou d’Amazon ; beaucoup moins de cartes postales… les gens s’envoient directement des photos numériques.
« Mais le plus triste, c’est la disparition de la correspondance personnelle. A cause des nouvelles technologies, les gens ne s’en échangent plus comme autrefois. Ils ont le téléphone portable, les e-mails, Facebook et Twitter. On ne s’envoie plus de lettres, aujourd’hui ; on clique sur une souris et l’interlocuteur reçoit le message dans l’instant.
- Cette histoire a un rapport avec nous ? a grogné Kate avec impatience.
- Le rapport, c’est que si on veut entrer en contact avec une seule personne, on peut encore éventuellement lui envoyer une lettre. Un vrai bout de papier, concret, tangible. Mais si on veut se mettre en contact avec tout le monde et tout de suite…
- … on le fait numériquement, a complété Lily.
Mr Peterson a approuvé d’un signe de tête.
- Electroniquement, a-t-il confirmé. Par ordinateur.
- Une invasion numérique, ai-je murmuré. Mais quelle forme est-ce que ça pourrait prendre ?
- Mystère, a-t-il répondu. Pourquoi pas quelque chose qui ressemble à ce qui se passe aujourd’hui ?
Oui, c'est sûrement l'impression que je donne, a-t-il admis. ça ne veut pas dire que ça résume ce que je suis, ou ce que j'ai été. Facteur, c'est un bon métier, honnête, et je suis heureux de le faire. Tout le monde n'a pas besoin d'avoir un poste à responsabilités pour prouver qu'il existe. On est quelques-uns à se satisfaire d'occuper un emploi modeste et de prendre le temps de profiter du paysage.
Je savais que ce sourire était destiné à Simon, et pendant quelques secondes, j'ai senti le serpent de la jalousie qui se déroulait dans mon ventre.
NOTE - "Le serpent de jalousie"
Cette expression est assez déroutante. On ignore le rapport qui relie le serpent avec le sentiment de jalousie. Selon Kenton, il s'agirait d'une sorte de métaphore pour exprimer la sensation physique et primitive que ressentait l'individu. Cependant, LeGar attire notre attention sur un fragment de texte intitulé Stargate SG-1, qui suggère que ce type de créatures parasites étaient peut-être présentes dans l'organisme de certaines personnes.
J'étais toujours parti du principe que les adultes avaient toutes les réponses.
C'est ce que leur comportement laisse supposer.
En voyant le visage de Mrs O'Donnell, j'ai soudain compris que c'était faux. Les
adultes se contentaient d'inventer des trucs au fur et à mesure qu'ils avançaient. Et quand ils avaient peur, ils n'avaient pas plus de réponses que nous, les jeunes.
L’un des tableaux préférés de mon père est une toile étrange de Much intitulée Le Cri. […] J’ai contemplé ce tableau des centaines de fois dans le bureau de mon père, en essayant d’imaginer ce qui se passait dans la tête de ce personnage pour qu’il ait l’air aussi désespéré. Je ne le sais toujours pas, mais j’ai vu la même expression gravée sur les visages de tous les habitants de Millgrove.
Tous sauf quatre, bien sûr.
Appelez cela le hasard, le karma ou la chance, le résultat était le même. On s’était fait entuber.