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Payot - Marque Page - Morris Gleitzman - Menteur, menteur !
La réplique préférée de Zelda "T'es bête ou quoi ?"
Et là, je m'aperçois qu'il y a quelqu'un d'autre dans la pièce.
Oh.
C'est un petit enfant, d'environ deux ans, dans une chaise haute.
Je ne peux pas dire si c'est une fille ou un garçon parce qu'il y a trop de sang sur son petit corps.
Oh.
Je hurle le nom de Barney.
Celui-ci arrive en courant et manque de tomber de tout son long en découvrant cet affreux spectacle, mais presque aussitôt il m'attrape et me traîne dans le couloir.
Je suis secoué de sanglots.
C'est un bébé, dis-je. On ne tire pas sur les tout-petits.
Les tétons du garçon passèrent aussitôt en mode "crevettes à l'ail". Pendant un instant, il fut complètement perdu. Comment un simple "bonjour" pouvait-il être un mensonge ?
- Ce n'est pas la faute de mes parents, lui dis-je. C'est celle de mon grand-père. Il était encore en vie quand j'étais bébé, et il les a obligés à le faire. Il disait que sinon je tomberais malade.
- Faire quoi? demanda Zelda?
- Couper un prépuce en parfait état, lui explique Génia.
Maintenant, Zelda aussi regarde mon zizi.
Mais très brièvement. Après quoi elle me jette la serviette en même temps qu'une œillade compatissante.
Genia, elle, ne compatit pas du tout.
Très malin ce grand-père, dit-elle en me prenant la serviette pour me frotter le dos. Désormais, tous les nazis qui tuent des juifs peuvent te repérer à un kilomètre. - Il était très religieux.
Il faut soutenir son grand-père, même quand il a mis votre vie en danger sans le faire exprès.
- Religieux, raille Genia. Ce n'est pas là mon idée de la religion.
( p 219)
Dehors, les gens hurlent, les chiens aboient, les soldats crient, mais le bruit le plus fort est celui des coups de feu.
Bang. Bang. Bang.
Et là, je me rends compte que ce ne sont pas des coups de feu. Je comprends ce que les soldats sont en train de faire. Ils clouent les portes des wagons.
Un jour, je me suis effondré en larmes dans la rue parce qu'il y avait des nazis partout et qu'aucun adulte ne pouvait nous venir en aide : ni papa, ni maman, ni mère Minka, ni le père Ludwik, ni Dieu, ni Jésus, ni la Vierge Marie, ni le pape, ni Adolf Hitler.
Vous voyez de quoi je veux parler, quand vous sautez d'un train en route pour un camp de la mort nazi, avec deux amies, et que vous manquez vous assommer mais que vous réussissez à garder toute votre tête, même que vos lunettes ne sont même pas cassées, mais que votre amie Chaya n'a pas cette chance et qu'elle est tuée, alors vous l'enterrez sous des fougères et des fleurs sauvages, ce qui demande beaucoup d'énergie, si bien qu'il ne vous reste plus beaucoup de forces pour courir et grimper ?
C'est tout à fait Zelda et moi en ce moment.
Oliver aurait voulu autre chose.
Pas des millions de dollars, ni des jets privés, ni un sac à dos à fermetures éclair en or massif.
.....
Mais tout de même, il aurait voulu mieux que ça.
Mieux que tenter d'être l'ami d'un chien derrière la vitrine d'une animalerie, au milieu d'un centre commercial bondé.
Ce qu'aurait voulu Oliver, c'était un éclair noir et blanc bondissant, jappant de joie, lui faisant la fête...
Pendant un instant, il se sentit si faible qu'il eut envie de demander une pilule à sa grand-mère. Puis il se força à se clamer, car elle avait quatre-vingt-trois ans et la mémoire presque aussi déglinguée que la voiture de son père.
Tout autour de moi, ces pauvres enfants pleurent leurs familles mortes.
Mes larmes à moi sont différentes.
Je me sens très chanceux, parce que quelque part, je le sais, mes parents sont encore en vie.