Momo petit prince des Bleuets
Il sort le livre de son sac en plastique. Sur la couverture blanche est dessiné un petit bonhomme aux cheveux jaunes, tout de vert vêtu, avec un noeud papillon rouge, les mains dans les poches, debout sur une sorte de grosse pierre où poussent quelques fleurs. "Dans sa cité à lui, il a au moins des fleurs", pense Momo. Il ne voit pas le petit mouton dessiné en haut, à gauche, juste au-dessus du nom de l'auteur, Antoine de Saint-Exupéry. Il ne regarde que le petit garçon avec son drôle de noeud papillon qui fait un peu ringard.
Momo pense que monsieur Edouard est son meilleur ami et qu'un ami c'est parfois plus important que la famille, parce que la famille, elle est déjà toute faite quand on arrive et on ne peut pas la choisir, tandis qu'un ami, on prend vraiment celui dont on a envie.
Le vie n'est pas drôle tous les jours pour Momo de la cité des Bleuets. D'abord, les bleuets, il les a cherchés partout, Momo, mais jamais il ne les a trouvés. Ni bleuets, ni arbres, ni bosquets, d'ailleurs.
Et si on appelle "pelouse" le grand rectangle de terre caillouteuse où les enfants jouent au foot, c'est uniquement pour rire, bien sûr.
Yasmina montre à Momo un grand et vieux bâtiment où il est écrit bibliothèque municipale. Intimidés, ils franchissent la porte et suivent la flèche Accueil. Derrière un bureau, une dame tapote sur un ordinateur. Elle est très concentrée. Les enfants attendent qu'elle ait fini de se concentrer. Comme ça dure longtemps, Yasmina toussote.
Pendant que la dame disparaît dans une allée bordée de longues rangées de rayonnages métalliques remplis de livres, Momo regarde autour de lui. Alignés comme des soldats sur des étagères courant le long des murs, des centaines de livres attendent là, patiemment, leurs lecteurs. "Un jour, je les aurai tous lus", pense Momo, émerveillé.
-Je comprends, me fait-elle. S'il en est ainsi, sache que tu n'as pas fini de pleurer, malheureusement. Et si tu n'as que les larmes pour te défendre, pour te protégé, tu t'y noieras très vite. Ce n'est pas en pleurant que l'on avance dans la vie mais en se battant, en surmontant ses faiblesses, en dépassant ses limites, en se jouant de ses difficultés. Là est le mérite. Alors, converse ton capital de larmes pour d'autres circonstances, plus graves, qui ne manqueront pas de surgir au cours de ta vie.
Il n'y a que toi et toi seule qui puisses t'aider à t'en sortir. Car personne ne peut ressentir ce que tu ressens, personne ne peut partager ta douleur. Ta famille éprouve bien sûr de la douleur, mais elle est différente de le tienne. On est toujours seul dans cette douleur là. Mais on peut s'en sortir aussi.
Dans la salle, l'émotion est à son comble.
Car tous connaissaient à présent l'histoire de la rencontre de ce vieux professeur de musique juif et du petit garçon musulman.
En plus, j'ai désormais l'impression de faire bloc avec ma petite bande, comme si nous partagions un destin commun. C'est un curieux phénomène, auquel, paraît-il, se trouvent souvent confrontés les auteurs, quand leur propre texte, leurs prores personnages leur échappent et prennent le contrôle. Et là, tout à coup, j'ai la furieuse envie de dialoguer avec eux, de leur demander ce qu'ils attendent de moi, ce qu'ils ont envie qu'il leur arrive...
Quand Simon rouvrit enfin les yeux, charmé par ce qu’il venait d’entendre pour la énième fois, il eut un léger mouvement de surprise en découvrant la présence de Malik. Il avait failli l’oublier, celui-là, alors que c’était pour lui qu’il était venu. Il se leva pour remettre à sa place le disque emprunté, puis revint auprès de son élève et jeta un œil sur la pochette vide posée sur ses genoux. Du Schubert, remarqua Simon, pas mauvais choix ! Il observa alors le gamin. Les yeux fermés, un sourire accroché à ses lèvres, Malik fredonnait en dodelinant la tête. Son visage trahissait un immense bonheur. Ce n’est pas du cinéma, se dit alors Simon, ce gosse-là aime vraiment la musique !