Contrairement à la ville de Kertch, la rue de Kertch n'a pas de héros.Dans la ville assiégée, où l'armée nazie exterminait la population juive et non juive, dix mille soldats soviétiques livrèrent un combat acharné avant de subir une défaite définitive. Et c'est peut-être pour cela qu'après la guerre le pouvoir soviétique refusa à Kertch le titre de " ville héros ".
Cela signifiait qu'aucune subvention de l'état ne lui serait accordée et que la ville devrait se reconstruire par ses propres moyens.
On suspend des voilages en dentelles aux fenêtres, on répare l'installation électrique, on allume les lumières. Le soir, quand on voit de l'extérieur le bâtiment allongé pareil à un wagon, on peut imaginer qu'un bal s'y déroule et que des gens heureux dansent et se jurent un amour éternel.
( p.130)
Les enfants l'écoutent attentivement. Ils aiment les histoires dans lesquelles le protagoniste n'a pas de mère ou a grandi sans famille.
Un jour, Aksana disparut elle aussi.Lela a oublié quand c'est arrivé.En général, les enfants n'étaient jamais avertis des départs et il n'existait aucune tradition d'adieux.Les enfants n'apprenaient la nouvelle que si leurs yeux remarquaient l'absence.
( p.51)
Après la chute de l' Union soviétique, l'internat se métamorphosa peu à peu.Le changement affecta tout: des robinets au balcon effondré. Au fil des années, les biens de l' internat disparurent.En revanche, les habits de seconde main et des aides humanitaires, que personne ne connaissait auparavant, firent leur apparition.Mais les enfants en voyaient rarement la couleur.
( p.57)
Tous les enfants de l'internat sont invités au mariage. Ils semblent heureux d'être ensemble.Dans un cas comme celui- ci, les pensionnaires de l'internat expérimentent une sensation étrange, inédite, inhabituelle : ils deviennent les hôtes. Ce sont eux qui reçoivent ; c'est chez eux que viennent tellement d'invités ; chez eux que la table est dressée et qu'autour d'elle de nombreux inconnus bien habillés viennent s'asseoir.
Les femmes de l'immeuble d'à côté s'affairent déjà dans le réfectoire. Même si les voisins ne vivent pas toujours en oarfaite harmonie, la coutume est celle- ci: en cas de décès, les voisins préparent le banquet funéraire et, en cas de mariage, ils s'occupent de la réception. C'est une coutume, un usage, la règle d'un groupe, qui est sans doute vouée à se perdre et à disparaître un jour.
( p.68)
Les nouveaux arrivants se faisaient rares, même parmi les élèves.Comme si les parents étaient devenus plus humains et ne voulaient plus se séparer de leur progéniture. Peut-être existait-il de meilleurs internats ? Ou bien les idiots ne naissaient-ils plus en ce monde ?
( p.58)
Il faut dire que l'apparition des Americains impressionne moins les habitants du quartier qu'autrefois l'arrivée de Marcel, le jeune Noir.En revanche, elle fait oublier aux élèves comme aux enseignants leur propre existence et leur rappelle qu'un autre monde existe en dehors de la Géorgie, de Tbilissi et de la rue de Kertch.
( p.130)