À l'occasion du festival "America" 2022, Nathan Harris vous présente son ouvrage "La douceur de l'eau" aux éditions P. Rey.
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Note de musique : © mollat
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En fait, cela aurait arrangé George que le trajet ne se termine jamais, car son retour signifiait qu’il devrait des explications à Isabelle. Bien sûr, il avait l’intention de prendre soin d’elle. Bien sûr, il voulait l’aider à faire face au malheur. Mais ce qu’ils avaient en commun avait ses limites. Réunis au départ par une passion partagée pour l’indépendance, la capacité de traverser une grande partie de la journée en silence, ils avaient, pour exprimer leurs sentiments, seulement l’échange de regards et d’effleurements. Ainsi le lien qui les unissait s’était solidifié au fil des années, mais si ce lien était peu enclin à plier, il présentait néanmoins un point de faiblesse, un seul, du fait que son existence même était pour eux une source d’embarras. Ils étaient deux à prétendre n’avoir besoin de personne et voilà à présent qu’ils avaient désespérément besoin l’un de l’autre.
Jusqu’où pouvaient diverger les chemins d’un frère et d’une sœur, sans que jamais soit rompu le lien qui les unissait ? Elle avait failli le rappeler pour le remercier d’être venu, mais elle s’était retenue. Avec un frère comme le sien, elle n’avait pas besoin d’exprimer sa gratitude. Il poursuivrait sa route comme si elle n’avait rien dit.
Les enfants s’arrangent comme ils peuvent de ce qu’ils sont obligés de supporter.
Il remonta de la cave et passa dans l’obscurité du dehors. Le temps que ses yeux s’habituent, la maison était déjà loin derrière lui. Ses pas n’étaient plus attachés à rien. Old Ox n’était plus chez lui. Il n’avait plus de foyer. Même la maison en rondins ne lui paraissait plus familière. Il aurait juré que sa chambre était plus petite, le couloir menant à l’escalier plus étroit. À croire que l’espace, en son absence, s’était adapté à l’usage qu’en faisaient ses parents, oubliant l’enfant qui en était parti. Pourtant, dans le tréfonds de son cœur, il savait que la maison n’avait pas rétréci. Il avait tout simplement appris combien le monde était grand. Et tout homme qui revisitait son enfance devait constater ce phénomène.
Finalement, aucun danger ne surgit sous les pas qu’il plaça l’un devant l’autre. Le grand inconnu déboucha seulement sur de nouvelles clairières, sur des échappées de soleil plus éblouissantes. Il comprit qu’il y avait moins à craindre qu’il ne l’avait imaginé et que, comme il le pensait depuis longtemps, tout danger comportait une dose de réconfort, toute injustice pointait vers une possible justice. Sinon comment expliquer que ce monde cruel ait recelé la joie immense qu’il avait éprouvée un dimanche après-midi en regardant sa mère danser, envoûtée par le crincrin de Little James, et que dire des délices d’une paillasse fraîche et de la douceur de l’eau après une journée de cueillette dans les champs de coton ?
Peu d’hommes étaient dupes des onguents et des fards avec lesquels elle se blanchissait le visage, mais ils étaient en revanche nombreux, par une soirée solitaire, disposés à se satisfaire, et cela en dépit de son teint cuivré, des rumeurs sur son passé, de ses origines. Ils étaient désireux de découvrir ce qu’elle leur dévoilerait. Rares étaient ceux qui médisaient d’elle, car ils ne regrettaient sans doute pas l’expérience. La société fait des exceptions en matière de grande beauté.
Les choses vont continuer comme avant. Ces Yankees avec leurs petits uniformes et leurs épées, ils sont pas là pour toujours. Ils retourneront d’où ils viennent. Et ces Nègres, ils continueront à se plier à ce qu’on veut. Le ramdam que vous faites vers chez vous, eh bien, les gens d’ici y mettront aussi le holà. Ça a toujours été ainsi. Parce qu’on est comme ça dans le pays. Et ce qui est comme ça restera comme ça.
Beaucoup d’éminents penseurs avaient réfléchi à la question du vieillissement et de la mort, ce qui ne les avait pas empêchés de mourir dans les mêmes conditions que les imbéciles.
[Sa mère] lui avait manqué tout autant que leurs mères avaient manqué aux autres soldats. Dans son esprit, le foyer n'était pas tant la maison que l'endroit où sa mère se trouvait, guettant son retour, ses bras ouverts d'avance. Lorsqu'ils s'étreignirent, lorsqu'il sentit contre lui sa douceur maternelle, il eut l'impression de redevenir un jeune garçon, et songea qu'il aimerait tant pouvoir retrouver cette sensation à volonté.
La routine variait rarement et ce jour-là n’était pas différent des autres. Les hommes qui n’étaient pas en train de couper du bois allumèrent les feux sous les chaudières. Il y en avait quatre en tout, alignées en batterie. Lorsque la première était en ébullition, le jus de canne était transféré au moyen de cuillères dans la grande marmite suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce que le sirop réduit fût arrivé jusqu’à Caleb, qui surveillait son déversement dans le tonneau. Lorsque celui-ci était plein, il fixait dessus un plateau, le déplaçait dans un coin pour le laisser refroidir et le remplaçait par un tonneau vide.
La chaleur s’accumulait irrésistiblement et ils toussaient sans arrêt, une toux pareille à de longs aboiements qui trahissait la pénibilité de leur labeur. À la fin de la journée, afin de délasser leurs corps après avoir touillé sans fin debout pendant des heures, ils se ruaient à la rivière et se laissaient flotter sans bouger dans ses eaux glacées.
Caleb se rappelait que pendant sa première semaine, un garçon pas plus vieux que lui avait par inadvertance lâché sa cuillère. Le sirop avait coulé comme de la lave, et ils avaient assisté à son supplice muet : ses yeux qui lui sortaient de la tête, ses poings qui se serraient comme des boules de douleur. Un spectacle si fascinant que personne n’avait bougé : la vue du sirop dégoulinant à l’intérieur de sa botte et la perspective d’avoir à l’enlever, alors que le cuir avait déjà adhéré à sa peau. Plus tard, le garçon leur avait décrit la douleur quand le médecin s’y était appliqué : comme si on lui avait arraché la langue. Caleb n’avait pas oublié. Il aurait été étonné qu’un seul d’entre eux eût oublié.