Citations de Nell Leyshon (92)
oui. c.o.m.m.e.n.c.e.m.e.n.t. on dit commencement. au commencement.
dans mon lit j'ai rouvert le livre à la lumière de la bougie et j'ai lu en passant mon doigt lentement sous chaque lettre. au commencement.
j'ai dessiné les lettres sur mon lit. je les ai toutes faites pour les graver dans ma tête parce que je ne voulais pas oublier.
j'ai soufflé la flamme. Edna dormait mais pas moi. je traçais les lettres sans m'arrêter sur le drap.
au commencement.
P137
j’ai tiré mon livre de sous les draps. ...
je l’ai ouvert et j’ai étudié la première page. je me suis approchée de la flamme pour mieux voir. c’était une bouillie de traits noirs et de points mais j’ai pris mon temps jusqu’à tant que j’en trouve un. la.
j’ai continué jusqu’à tant que j’en reconnaisse trois. la la la
je les ai lus.
mes deux premiers mots.
j’ai passé mon doigt sur la couverture du petit livre noir. je sentais les lettres gravées dans le cuir et je les lisais tout haut. la. bible, j’ai dit. la bible.
il a frappé dans ses mains. félicitations. tu vas progresser vite. il a montré le livre que je tenais. c’est pour toi. et chaque fois que tu souhaiteras te souvenir de ce que tu as appris tu n’auras qu’à le regarder.
il est à moi ?
mais oui. tu peux le garder.
j’ai serré le livre de cuir. je l’ai serré contre moi.
ne le perds pas.
ça risque pas et si vous croyez une chose pareille, vous êtes un foutu imbécile.
mary !
pardon. pardon révérend. je voulais pas dire ça. c’est sorti parce que je suis trop enthousiasmée.
enthousiaste.
enthousiaste. oui. je me suis levée. merci. merci. je me suis dirigée vers la porte.
mary. le plateau.
alors nous nous sommes mis à table. mais avant que j’avale une bouchée il a fait un signe pour m’arrêter.
nous allons réciter le bénédicité.
il a fermé les yeux et joint les mains et dit que nous devions remercier le seigneur pour la nourriture qu’il nous donnait.
je l’ai écouté et j’ai pensé à la journée que j’avais passée et aux poireaux que j’avais ramassés sous la pluie.
pourquoi est-ce qu’il faut remercier dieu quand c’est moi qui ai cherché les légumes et qui les ai préparés ?
mary. il a tendu le bras pour me faire taire.
et c’est moi qui nettoierai après manger.
il a ri. tu n’es qu’une mécréante.
il a posé son couteau et sa fourchette sur son assiette.
vous avez mangé autant que notre cochon le matin.
il a souri. mary, permets moi de te donner un conseil. ne compare pas ton employeur à un cochon.
oh. je voulais pas être malpolie. nous aimons beaucoup notre cochon.
ce n'est pas une raison. ton employeur est sensé se situer au-dessus du cochon dans la hiérarchie des êtres vivants.
il s'est essuyé la bouche avec une serviette.
les humains et les animaux sont très differents.
pas tant que ça. y'a des choses qu'ils font pareil.
j'ai dit belle journée et j'ai mis une framboise dans ma bouche
ah bon.
j'ai regardé le ciel.
le soleil est là même s'il est caché par un nuage.
est-ce que tu vois jamais le mauvais côté des choses ?
j'aurai bien le temps d'y penser quand je serai morte.
je ne sais pas lire l'heure madame.
on ne t'a jamais appris ?
on n'en a guère l'usage à la ferme.
mais comment faites-vous pour connaître l'heure ?
on se lève quand il fait jour et on se couche quand il fait nuit. les animaux ils ont pas de pendule. ça les empêche de rien que je sache.
quand on a un bébé on a l'impression qu'il est toute notre vie et on n'imagine pas que l'enfant grandira, qu'un jour il n'aura plus besoin de nous et qu'il voudra partir.
on ne peut pas les empêcher de grandir.
bien sûr. mais tu ne peux pas savoir ce que c'est. on renonce à tout pour s'en occuper et le protéger puis il s'en va. c'est comme s'il t'avait consumé pour construire sa propre vie.
tu es vive. je ne parlerais pas d’intelligence parce que tu n’es pas instruite, mais tu as quelque chose.
quoi donc ?
une astuce innée peut-être, de l’esprit.
et c’est pas comme un cerveau instruit ?
non, je ne crois pas. c’est informe, plus animal, plus primitif.
animal ?
je ne voulais pas t’insulter. les animaux sont des survivants. ils n’ont pas besoin qu’on leur enseigne quoi que ce soit.
je m'inquiète pas. quand je peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas. si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
"ceci est mon livre et je l'écris de ma propre main.nous sommes en l'an de grâce mille huit cent trente et un, je suis toujours assise à ma fenêtre et j'écris toujours mon livre. ça me fait deuil de vous raconter tout ça. il y a des choses que je n'ai pas envie de dire. mais je me suis juré que je dirais tout exactement comme ça s'est passé. j'ai promis alors je dois continuer."
j'avais dit au révérend que tu ferais des problèmes quand il a annoncé que tu venais. je l'avais prévenu. je lui avais dit qu'il devrait pas embaucher une des filles de la ferme. vous avez toutes hérité du sale caractère de votre père.
vous avez pas le droit de parler de lui comme ça.
pourquoi ? tu ne vas pas essayer de me faire croire qu'il est pas comme il est.
non mais y a que moi que je peux causer de lui comme ça. pas vous.
je m'inquiète pas. quand je peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas, si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
maintenant c'est l'an de grâce mille huit cent trente et un et j'ai quinze ans, mais je pense encore à cette soirée, il faisait bon dans la cour, le grand-père avait sorti sa chaise et on nettoyait la grange toutes les quatre et la mère nous donnait un coup de main. l'air était tiède, il sentait l'été et la ferme.
si je pouvais arrêter le temps, alors je vivrais cette minute toute ma vie et pour l'éternité.
mais une minute ne peut pas durer l'éternité.
alors de quoi est-ce que vous voulez discuter? vous m'avez pas appelée ici rien que pour boire le thé et causer de la pluie et du beau temps?
tu es vive. je ne parlerais pas d'intelligence parce que tu n'es pas instruite, mais tu as quelque chose.
quoi donc?
une astuce innée peut-être, de l'esprit.
et c'est pas comme un cerveau instruit?
non, je ne crois pas, c'est informe, plus animal, plus primitif.
animal?
je ne voulais pas t'insulter. les animaux sont des survivants, ils n'ont pas besoin qu'on leur enseigne quoi que ce soit. mais ne t’inquiète pas de ça.
je m’inquiète pas. quand je ne peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas. si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
le révérend a joint les mains.
tu sais que tu aurais beaucoup à apprendre au reste du monde?
j'ai ri. et moi je crois que j'ai rien à apprendre à personne.
mais si . mary.
les gens ne voient pas le mal quand il est trop près d'eux. comme la truie dans sa fange.
fais attention à ce que tu dis.
pourquoi ? j'ai pas le droit de dire ce qui est vrai ?
t'as une bonne place ici.
c'est pas une place. je suis pas payée. on m'a juste donné l'ordre de venir ici, de vivre ici et de travailler ici au lieu qu'à la ferme.
ton père reçoit de l'argent pour ce que tu fais.
mais pas moi.
tu as un toit sur ta tête. tu as un lit. tu as les vêtements que tu portes. tu manges bien. prends garde.
edna brandissait son rouleau à pâtisserie.
à quoi que je dois prendre garde ? à ce rouleau ? vous allez me frapper avec.
je le lui ai pris des mains et je l'ai posé sur la table.
de toute façon j'ai pas de reconnaissance et j'en aurai jamais pour ce que j'ai ici.
c'est à cause de ce que le père il a besoin de nous à la ferme. il peut pas se permettre de nous envoyer à l'école pour apprendre des choses inutiles. et c'est vrai, est-ce qu'on a besoin de savoir lire et écrire pour jeter des pierres dans un seau ou tirer le lait aux vaches ?
t'es malheureux des fois ?
jamais bien longtemps.
moi non plus. et quand je suis triste je dois faire un effort pour me souvenir pourquoi, sinon je redeviens heureuse.
je m'inquiète pas . quand je peux rien faire pour changer les choses, je n'y pense pas, si je peux les arranger alors je le fais et je n'y pense plus.
il y a une chose qu'il ne faut pas oublier.
j'écris ces mots de ma main en l'an de grâce mille huit cent trente et un et j'en suis fière.
vous comprendrez pourquoi ?
je m'étais promis de tout vous raconter, mais je ne l'ai pas fait, j'ai menti.