AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Nicolas Remin (83)


Le capitaine, qui commençait à se demander si le cauchemar qu’il avait vécu au cours des dix dernières heures prendrait jamais fin, tourna la tête. Un nuage sombre passa devant ses yeux, puis les détails se dégagèrent avec une merveilleuse netteté : l’homme couché sur le dos avec les deux impacts dans la tempe et, derrière lui, la jeune femme, tout aussi inerte, la poitrine couverte de morsures, la gorge marquée de traces d’étranglement. Soudain, Landrini eut la désagréable sensation de se retrouver dans le vide, comme si l’air de la cabine avait été aspiré et que les cloisons pouvaient à tout instant s’abattre vers l’intérieur. Sans le vouloir, il monta d’une octave :
— Qui est cet homme ? Et cette femme
Commenter  J’apprécie          10
Ce fut le matelot qui les aperçut en premier. Mais comme il bégayait et que personne ne le comprenait, il fut contraint de saisir le capitaine par la manche et de le tirer vers le lit.
— Là ! s’exclama-t-il.
C’était le seul mot qu’il parvenait à prononcer sans peine. En temps normal, il aurait au moins essayé de dire quelque chose du genre : « Mon commandant, deux cadavres gisent sur le lit » ou bien « Je crois que cette odeur pénétrante provient de la niche ». Mais compte tenu des circonstances, il était hors de question qu’il achève une phrase.
Commenter  J’apprécie          10
Emilia Farsetti releva son col et pressa le pas. Une bourrasque gonfla sa cape telle une petite voile noire et lui fit ressentir un court instant le froid humide qui venait de l’est. Elle s’attendait à voir surgir d’un moment à l’autre la cheminée de l’Archiduc Sigmund car les paquebots de la compagnie du Lloyd Triestino n’avaient presque jamais de retard. Pourtant, il fallut encore une bonne heure avant que le bâtiment ne s’approche de l’embarcadère à la vitesse d’une tortue. On aurait dit qu’il avait échappé de peu à la tempête dont les signes avant-coureurs avaient effleuré Venise au cours de la nuit.
Commenter  J’apprécie          10
Il était neuf heures et quelques quand Emilia Farsetti sortit du labyrinthe de ruelles qui entourait le campo della Bragora et prit à droite sur la riva2 degli Schiavoni, l’imposante promenade qui s’étendait de l’Arsenal au palais des Doges. Il ne neigeait certes plus, mais le ciel au-dessus de la lagune ressemblait toujours à un sac fragile qui pouvait à tout moment se déchirer pour répandre sur la cité une nouvelle cargaison de flocons.
À sa gauche, où les voiliers étaient amarrés les uns contre les autres, une forêt de mâts se perdait dans la brume qui montait de la mer. La trompe de l’île Saint-Georges (on ne distinguait même pas l’église et le cloître qui se dressaient de l’autre côté de l’eau) fit retentir son signal monotone. La lourde silhouette d’une frégate à vapeur se dessina dans le brouillard, suivie d’un trait de fumée.
Commenter  J’apprécie          10
Bien que ce fût dimanche et que neuf heures n’eussent pas encore sonné, le petit café tenu par un couple d’un certain âge, à l’extrémité ouest du campo, était déjà ouvert. La patronne – une femme rondouillarde qui poussait la neige devant sa porte à l’aide d’un balai de ramilles – adressa un signe aimable à la comtesse. Celle-ci lui rendit son salut l’esprit serein, sûre que l’autre ne savait pas qui elle était et à quelles occupations elle vaquait tous les matins.
Commenter  J’apprécie          10
— Quel âge a-t-elle ? demanda-t-il.
— Treize ans, répondit le curé avant de pincer les lèvres. Elle allait faire sa communion.
— Sait-on ce qui s’est passé, maintenant ?
Il fit non de la tête.
— Il semble qu’il n’y ait pas de témoins. La ferme des Galotti se trouve en dehors du village. Le chemin pour y aller est pratiquement un cul-de-sac.
— Donc, personne n’a rien vu ?
— Le garçon qui l’a découverte a croisé en chemin une troupe de chasseurs croates, stationnés à Fusina, qui venaient de la ferme. Je sais en effet que des soldats ont patrouillé ce jour-là. Ils passaient la région au peigne fin à la recherche de rebelles.
— A-t-on interrogé l’officier qui avait le commandement ?
Le prêtre haussa les épaules :
— Les carabiniers n’ont pas le droit d’interroger des officiers de l’armée autrichienne !
— Se pourrait-il que son père ait caché quelqu’un ?
— Vous voulez dire : qu’il ait fait partie de la résistance ?
Le curé esquissa un petit sourire. Ses sourcils voletèrent comme des ailes d’angelots.
Commenter  J’apprécie          10



— Avons-nous bien fait de la transporter ici ?
La voix du curé trahissait l’inquiétude. « Ce serait un bel homme, se dit l’autre, si les yeux bleus sous ses épais sourcils ne divaguaient pas autant. » Le médecin avait l’impression que seul le droit le regardait tandis que le gauche oscillait sans repos entre la jeune fille et l’extrémité du lit.
— Cela ne fait pas le moindre doute. Vous n’auriez jamais pu soigner ses plaies. Et je ne crois pas qu’elle ait souffert du voyage en sandalo1.
« La traversée de l’ouest de la lagune, se dit-il, avait sans doute duré au moins quatre heures. »
— Est-elle consciente ? demanda le curé.
Le médecin lui adressa un sourire blasé.
— Elle mange et boit un peu. On n’a pas besoin d’être très conscient pour cela.
— Elle n’a donc pas parlé ?
— Non. Et quand bien même elle le pourrait, il n’est pas sûr qu’elle se souvienne de quoi que ce soit.
Ce n’était pas tout à fait exact, mais il avait de bonnes raisons de mentir. Il fit une brève pause avant de reprendre :
— Elle a des saignements dans la région de l’abdomen. On dirait presque qu’elle a été…
Il préféra ne pas prononcer le mot, surtout en voyant la mine bouleversée du prêtre.
Commenter  J’apprécie          10
Le visage de la jeune fille aux joues creusées était plus pâle que tous les cadavres qu’il avait jamais vus et lui faisait penser à un masque de carnaval qu’on n’avait pas encore peint. Sa respiration était si faible qu’au premier abord, on aurait pu la croire morte. L’air au-dessus de sa couche semblait immobile.
— On dirait quelqu’un qui…
Le père Abbondio (le médecin se réjouissait d’avoir retrouvé son nom) ne savait manifestement pas comment finir sa phrase et se contenta de hocher la tête.
— … quelqu’un qui n’a presque rien mangé pendant deux semaines et qui a bien failli mourir, constata le docteur Falier avec détachement.
Commenter  J’apprécie          10
— C’est un miracle qu’elle vive encore, dit le docteur Falier au prêtre grisonnant qui se tenait au pied du lit.

Ils regardaient tous deux la jeune fille inerte aux yeux clos. Le médecin s’appuya contre le rebord d’une des six fenêtres de la salle d’hôpital qui était entrebâillée et laissait passer une brise étonnamment chaude pour un mois d’octobre. Il aurait volontiers remplacé par des arbres la façade grise qui tombait en ruine et le linge qui flottait au vent de l’autre côté du canal. Car s’il pensait, en toute modestie, que l’Ospedale Ognissanti était devenu le meilleur établissement de Venise depuis qu’il en avait pris la direction, la vue qu’on avait des fenêtres n’en restait pas moins d’une certaine laideur.
Commenter  J’apprécie          10
Il s’arrêta pour observer son chef. Son visage exprimait un mélange de surprise et d’admiration. On aurait dit qu’il ne trouvait pas le mot juste. Tron s’appuya sur son dossier et haussa les sourcils d’un air amusé.
— Que je quoi ?
— Que vous pouviez être aussi énergique, commissaire.
Tron éclata de rire.
— Vous voulez parler du coup de pied dans l’entrejambe ?
Son assistant sourit.
— Le coup de pied sur le nez n’était pas mal non plus !
— Je ne voulais pas courir de risque, précisa le commissaire avec une mine sérieuse. Cet individu a quand même tenté de commettre un crime.
— Tout le monde était très impressionné, dit Bossi. Cette histoire fait déjà le tour du commissariat.
Son sourire s’accentua encore.
— Ce qui plaît le plus aux collègues, c’est que cet individu était autrichien.
Il jeta alors un coup d’œil sur la lithographie de l’empereur et poussa un soupir.
— Mais que ferons-nous s’il s’agit vraiment d’un colonel de l’armée impériale ?
Tron tendit résolument l’index vers le reste de chantilly à la surface de son assiette.
— Nous y réfléchirons le moment venu.
Commenter  J’apprécie          10
Tron n’éprouvait certes aucun sentiment patriotique. Parmi les partisans de l’unité italienne, il avait même la réputation d’un dangereux régionaliste. Cependant, il était peut-être habile de songer de temps en temps à l’après. Les Autrichiens ne pourraient pas occuper la Vénétie éternellement. Et un commissaire qui avait collaboré de manière trop étroite avec les forces d’occupation aurait de mauvaises cartes dans son jeu le jour où la Vénétie rejoindrait le royaume d’Italie. On pourrait avoir l’idée de nommer un autre commissaire de Saint-Marc. Peut-être l’inspecteur Bossi ? Ce dynamique adepte des techniques d’investigation modernes ! qui ne cachait pas son impatience de voir enfin les Autrichiens se retirer.
Commenter  J’apprécie          10
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, il pouvait être fier de lui. Il avait retiré de la circulation ce fou dont les intentions criminelles ne faisaient aucun doute. En outre, poursuivit-il en pensée, le fait que sa botte eût défoncé le nez d’un Autrichien conférait à son geste une note patriotique. Un talon italien sur un nez autrichien ! Et en plus le nez autrichien avait saigné ! Pas étonnant que les gens aient autant applaudi.
Commenter  J’apprécie          10
Alvise Tron, commissaire du secteur de Saint-Marc, repoussa au centre de son bureau l’assiette où des traces de chantilly se mêlaient à des miettes de tarte et lécha avec soin sa fourchette à gâteau. Ensuite, il but une gorgée de café, se cala dans son fauteuil grinçant et s’étonna lui-même. Avait-il vraiment maîtrisé l’homme dans le poste de garde de trois puissants coups de pied ? Lui ? Lui qui préférait d’ordinaire des paroles aiguisées comme un fleuret ou une fourchette à gâteau ? Avait-il perdu le contrôle de lui-même ? La bête sauvage qui se tapit, paraît-il, en chacun de nous avait-elle pris le dessus ?
Commenter  J’apprécie          10
— Je veux un rapport, Bossi, dit-il à l’inspecteur en uniforme qui s’était approché, la mine surprise. D’ici une demi-heure dans mon bureau.
Le commissaire jeta un regard de dégoût sur le sol et ajouta
— Et qu’on me nettoie ce sang !
Commenter  J’apprécie          10
L’Italien, soulagé, tomba à genoux tandis que le public, qui avait accompagné l’assaut du commissaire de murmures d’approbation, applaudit à tout rompre. M. Grenouille trouvait le coup de pied sur le nez assez brutal. Mais il fallait reconnaître que, d’un point de vue artistique, il parachevait l’ensemble. Les Italiens, comme on le sait, adorent les effets dramatiques.
Le commissaire se retourna sans se presser et rajusta sa pochette. Pendant un instant, M. Grenouille aurait parié qu’il allait saluer. Il se contenta toutefois d’un bref sourire.
Commenter  J’apprécie          10
Le geste fut rapide, guère plus qu’une rotation énergique du poignet. La tasse s’éleva et le café brûlant atterrit sur le visage de l’Autrichien qui lâcha son couteau en hurlant et s’essuya les yeux à deux mains. Le commissaire en profita pour lui envoyer son pied dans l’entrejambe, puis à la hanche. Quand l’homme eut touché le sol, il le frappa une dernière fois au nez, d’où un flot de sang jaillit aussitôt.
Commenter  J’apprécie          10
Il poussa cependant un cri strident et retira sa main rougie comme s’il venait de se brûler à une flamme. Et voilà ! Il était enfin là, ce sang que les spectateurs avaient tant espéré. Certes, il y en avait à peine quelques gouttes, car la lame avait juste effleuré la main, mais quand même. Un murmure d’approbation se fit entendre.
Commenter  J’apprécie          10
À vrai dire, quelques gouttes de sang n’étaient pas non plus pour lui déplaire. Cela marquerait son voyage à Venise du sceau de l’aventure.
Commenter  J’apprécie          10
Une petite douzaine de personnes issues de diverses couches de la société, toutes venues au commissariat avec une quelconque requête, s’étaient approchées gaiement pour ne rien perdre du spectacle excitant qui s’offrait à elles de manière inopinée. Un homme au tablier vert déboucha tranquillement une bouteille de vin. Un autre, qui tirait des marrons chauds d’un cornet en papier, en proposa à son voisin d’un air aimable. M. Grenouille, venu déclarer le vol de son passeport, sentit que les spectateurs brûlaient de voir couler du sang. Ils auraient ainsi une histoire à raconter en sortant.
Commenter  J’apprécie          10
Un sergent en uniforme se tenait à côté d’eux, mais ne faisait pas mine d’intervenir ; il se contentait de joindre les mains et de crier sur un ton de supplique : « Prego, signori ! Prego1 ! » Ce sur quoi l’Autrichien au couteau lui répondit sans le regarder : « Je vais le refroidir ! Je vais le refroidir ! » On aurait dit un duo dans un opéra de Verdi.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Nicolas Remin (137)Voir plus

Quiz Voir plus

Jouons avec John Ford

John Ford adapte en 1935 l'écrivain républicain irlandais Liam O'Flaherty. Victor McLaglen incarne Gypo Nolan, un ivrogne qui dénonce son ami membre de l'IRA pour 20 £ de récompense . Le film s'intitule:

L'Homme tranquille
Le Mouchard
Quand se lève la lune

14 questions
7 lecteurs ont répondu
Thèmes : cinéastes , cinema , cinéma americain , realisateur , hollywood , adaptation , adapté au cinéma , littérature , western , romans policiers et polars , roman noirCréer un quiz sur cet auteur

{* *}