Oliver Harris

Tant qu'à jouer les revenants, autant renaître avec une cuiller en argent dans la bouche !

Belsey jeta un coup d’œil autour de lui pour repérer d’éventuelles caméras qui auraient pu l’avoir filmé la veille. Il n’avait aucun souvenir d’avoir franchi la grande porte d’entrée, mais se revoyait traverser le damier du sol. Une inscription en grands caractères hébraïques, en haut d’un mur, accrocha son regard. Il reconnaissait les mystérieux hiéroglyphes et le vague sentiment de malaise qu’ils dégageaient. Il se rappela s’être déjà interrogé sur leur sens.
— Je peux vous demander ce que ça veut dire ?
— L’inscription, là-haut ? La pierre écartée par les maçons est devenue la clé de voûte. Psaume 118, verset 22.
— Ce qui signifie ?
— Ah… soupira le chauve, à présent tout sourire, en raccompagnant Belsey. (Ils avaient déjà franchi le seuil, sous un soleil pâle.) C’est une longue histoire !
— Et si je voulais faire partie du truc ?
— Vous envisageriez de devenir franc-maçon, vraiment ?
— J’y pense.
— Je pourrais vous mettre en contact avec un membre déjà intégré. (Hors de son temple, l’homme parut se détendre.) Le mieux, pour commencer, ce serait d’assister à quelques-unes de nos rencontres. Pour bavarder un peu. Vous savez, il y a tellement de préjugés qui circulent… Venez donc un soir à l’office.

Belsey reconnut autour de lui le paysage du Heath, le grand parc de Hampstead. Il était couché sous un bouquet de pins, au sommet d'une butte entourée d'ajoncs et séparée du reste du monde par une petite clôture métallique - sûrement pas le pire endroit où chercher refuge, si telle avait été son intention, se dit-il.

il sortit du parking et partit à pied le long de l’ample courbe qui reliait Downshire Hill à South End Green. Il marchait lentement, le chandelier à la main, laissant le Heath sur sa gauche, et sur sa droite les propriétés de milliardaires. Pas un bruit, pas un frisson, nulle part. Chaque journée avait son moment d’état de grâce, songea-t-il – ainsi que toute enquête. Un créneau, une occasion à saisir, juste avant que la ville ait eu le temps de fixer sa version des faits. Comme il tentait sa chance auprès de quelques voitures en stationnement, il tomba sur une Vauxhall Astra qui s’ouvrit en ferraillant. Il inspecta la rue dans les deux sens, monta et trouva une poignée de menue monnaie dans la boîte à gants. Un peu plus de trois livres. Il les empocha et remit pied à terre, en refermant délicatement derrière lui.

La nuit précédente avait été une ligne de démarcation dans sa vie – c’était du moins son impression. Une zone coupe-feu. À tâtons, il remonta le temps jusqu’à la voiture de patrouille martyrisée, pour plonger dans la nuit qui l’avait amené jusque-là. Un véhicule du poste de Kentish Town… Il avait dû sillonner le quartier en quête d’un dernier verre, avant d’échouer dans le secteur. Il avait le vague souvenir d’être allé acheter des cigarettes dans un café sur Fortress Road et d’avoir vainement cherché son portefeuille… Or, ce bar était à deux pas du poste de Kentish Town.

Au poste de Kentish Town, la permanence était tenue par un jeune stagiaire, un blond oxygéné, dix-neuf ans maximum, frais émoulu de l’école. Belsey lui mit son insigne sous le nez.
— Nick Belsey, CID de Hampstead. Il paraît que vous avez un véhicule porté disparu ?
— Exact, oui.
— Depuis quand ?
— On nous l’a signalé à trois heures dix-sept, ce matin.
–L’inspecteur Gower demande les enregistrements vidéo.
Le bleu parut hésiter.
— Ceux du parking ?
— Oui. Vous savez où ils sont ? Les disques durs ?
— Oui…

En contournant les éclats de verre, il faillit trébucher sur un grand candélabre échoué à ses pieds, qu’il ramassa. Un lourd chandelier en bronze ouvragé. L’objet avait dû percuter le pare-brise quand il avait pilé. Une chance qu’il ne l’ait pas reçu sur le crâne. Qu’est-ce que c’était, ce truc ? Drôle de style… Maçonnique, peut-être. Le fil de sa mémoire était cassé. Reposant l’objet, il rassembla une poignée de feuilles humides pour nettoyer le volant, le levier de vitesse et les poignées des portières.

Il se rendit au bureau local d’information municipale et citoyenne1, où il prit un dépliant intitulé : Gérer votre surendettement. Puis il continua à pied jusqu’à une officine de bookmakers. Ils avaient un distributeur de boissons chaudes et il lui restait juste de quoi s’offrir un café. Il alla s’asseoir dans le fond et avala quatre comprimés de paracétamol en parcourant le dépliant : Faites – honnêtement – la liste de vos dépenses quotidiennes… qu’il retourna presque aussitôt, pour ne plus le voir.

Le constable Robin Oakley avait surgi en arrière-plan. Belsey se sentit flageoler. Oakley avait fait ses stages pratiques avec lui. La grande gueule de base, le genre à rouler en GT-R Nissan et à collectionner les accessoires d’arts martiaux.
— Nick ! fit Oakley, le regard rivé sur ses estafilades. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
— On ne vous aurait pas rapporté un téléphone ou un portefeuille, cette nuit ?
— Pourquoi ?
— J’ai perdu les miens.
Oakley avait peine à cacher sa joie.

— Bonjour, inspecteur. Qu’est-ce qui vous arrive ?
— Je suis allé faire quelques brasses. Ça fait un bien fou.
— OK, inspecteur.
Ils encaissèrent ses achats en souriant d’un air gêné, sans un regard pour le candélabre.
— Je ne suis toujours pas passé inspecteur, notez.
— Ah, d’accord, chef.
Les deux frères évitaient son regard. Ses plaies et ses bosses devaient bien les inquiéter un peu, mais ils ne tenaient surtout pas à en savoir davantage.