Me voici en tête.
Je sais que je suis parti pour trois ou quatre heures.
Il y a quelque chose de grisant à cela.
Je suis bardé comme un baudet,
Ficelé dans mes sangles comme un rôti,
Harnaché comme un percheron.
Harnaché de plomb, de cuivre, de ficelle, de sangle, de ferraille.
Je me sens bien, comme protégé par tant de matériau.
Dans sa diversité, il me rassure, comme si j'étais prêt à affronter toutes les ruses de la paroi.
Je renifle le monde par les yeux :
Il me pénètre à pleins poumons.
Chaque pas exige une réflexion.
Poser le point.
Le tester. S'assurer qu'il ne va pas lâcher sous son poids.
Se hisser dessus. Calmement.
Ne pas montrer sa fébrilité au point.
C'est un jeu de patience entre la montagne et moi.
Un jeu d'apparence : rester impassible.
Une partie de poker.
La montagne excelle à ce jeu-là.
Je m'éloigne au-dessus de mes compagnons.
Très lentement : dix mètres à l'heure.
Est-ce plus ou moins que l'escargot ? Je gage que moins.
Ils s'amenuisent et je les oublie.
Ils sont à leur somnolente tâche et ne se préoccupent pas de moi non plus.
En cas de chute, le matériel fait son office tout seul.
Je suis seul.
Inexorablement seul.
Seul sur la paroi lisse et glacée.
Je dois trouver une solution à chaque mètre.
À chaque pas.
La montagne est un sphinx permanent.
C'est un drôle de grain,
Polyèdre épais aux arrêtes irrégulières.
Un gros grain.
[...]
Ce n'est pas le granit de Chamonix,
Compact, rose et soudé, presque infrangible.
Ici, la roche semble friable, ses gros grains se détachent,
Surtout dans les encoignures et les fissures,
Glissent sous les ongles où ils trouvent parfois un refuge inespéré,
Véritables bernard-l'ermite des hauteurs.
Sur le coup, ce grain gris me paraît moins beau,
Moins noble que son confrère alpin.
Ce n'est qu'avec le temps que j'apprends à l'apprécier,
À sentir sa puissance tout autant que ses faiblesses.
Et aussi ses pièges.
Gros grain gris grège.
Quand il pleut, nous mettons une bâche sur nos têtes.
Nous sommes sous la tente.
Et sous l'attente,
Nous plaignons le combattant qui ruisselle.
La rencontre de ceux qui ont vu l'ours est plus courante que celle de l'ours lui-même.
Pour ma part, j'ai hâte de me retrouver museau contre museau.
Me faudra-t-il badigeonner le mien de miel ?
– ce que je sais le mieux, c'est mon commen- – ça va ? Mais oui, comment ça va depuis le mois dernier ? – le moi dernier est très différent du moi d'aujourd'hui : c'est le conflit entre le moi et le surmoi – entre le moi et le surmoi, il y a des hauts et des bas – entre le moi et le surmoi, il y a des collants. Le surmoi colle au moi. Mais ce que je disais, c'est que ce que je sais le mieux, c'est mon commen- – taire ?
Le zeugme, ou zeugma (du grec ancien zeûgma, « joug, lien ») est une figure de style qui consiste à faire dépendre d'un même mot deux termes disparates qui entretiennent avec lui des rapports différents, en sous-entendant (le plus souvent) un verbe déjà exprimé.