"Des mots d'autrefois résonnaient dans son esprit :"On n'est jamais vraiment disposé à écouter si l'on n'est pas préparé à changer."
Le conteur, cependant, prétendait toujours le contraire. Il recourait à tous les subterfuges possibles pour masquer l'effet de la beauté produisait sur lui. C'était probablement pour cette raison qu'il avait accédé à la demande de la Bégum en lui racontant une histoire sur l'impossibilité de l'amour. La réponse de la Bégum l'avait délivré de la crainte de se voir rejeté, mais elle l'avait également pris au piège. Alors qu'il n'avait pas voulu que lui démontrer l'impossibilité de l'amour, il aspirait à présent à gagner son estime.
"Après les adieux (dit le conteur) vient le départ.
Et une fois parti, on découvre les dix mille choses que l'on porte encore en soi - les souvenirs d'un toucher, d'une senteur, d'une vision.
Après le départ vient la découverte que notre cité intérieure a changé et que ses voies conduisent désormais vers d'autres destinations.
Après le désamour vient le détachement, et l'on peut se lancer dans la quête infinie de tout ce dont on doit se séparer et, d'une manière ou d'une autre, abandonner ; et l'on peut résister à ces voies nouvelles et tenter, inutilement, de redevenir tel qu'on était avant.
Il existe, cependant, un autre choix. L'amour est pour moitié dans la découverte que l'on en fait quand on le laisse derrière soi. Et avec cette découverte vient la connaissance que notre voyage n'est pas encore achevé. Les cartes ont été modifiées, les continents ont dérivé et les horizons ne sont plus ceux dont on se souvient.
Malgré tout, la route s'ouvre devant nous, et il y a tant de choses à voir.
Mais seulement si l'on a le courage d'accepter que le premier pas est toujours un départ.
"Barab leva une des pièces sculptées représentant un soldat muni d'un sabre.
"Il n'existe pas deux soldats semblables. Ce ne sont pas seulement la position et la distances qui décident de l'issue d'une bataille, mais la volonté et la détermination." L'émir hocha la tête.
"Oui, c'est vrai, mais les pions n'ont pas de volonté, toi seul en as une.
- Je ne comprends pas, répondit Barab.
- Tu commets l'erreur de tous les débutants, expliqua l'émir. Demande-toi comment un homme s'y prend pour diriger les autres. Ce n'est pas en leur disant d'aller dans telle ou telle direction. Aucun capitaine mène ses hommes comme s'ils étaient le sabre qu'il tient à la main, car ils ne sont qu'un prolongement de lui-même."
L'émir ramassa une pièce et poursuivit :
"Un pion, un soldat ne sait rien et ne peut que prendre soin de lui-même, mais un capitaine sait tout, perçoit tout ce qui se passe sur le champ de bataille. Si tu considères ce plateau uniquement comme un espace où tu peux déplacer des pions çà et là, tu perdras toujours. Mais si tu décides de les regarder comme des émanations de ta volonté, de ta volonté opposée à la mienne, alors tu auras une chance de gagner."......Barab, que la bataille avait grisé, comprit alors que ce que l'émir attendait de lui, c'était sa folie et rien d'autre. Cela, il pouvait l'accepter ; après tout il ne s'agissait que de soldats de bois sur un plateau."
"Oh, je ne doute en rien de leurs bonnes intentions - il ne faut jamais douter des bonnes intentions de qui que ce soit. Mais, voyez-vous, je n'y crois plus. Que vont-ils trouver ? Jimmy n'est que la conclusion d'une longue histoire, et plus personne ne s'intéresse aux longues histoires de nos jours. Deux gros titres, une photo, et avant qu'on s'en aperçoive, ils parleront de nouveau de cricket, ou de Bollywood. Probablement des deux." (Philippe Picquier - p.8)
"Est-elle responsable de tout ce qui s'est passé ?
C'est difficile à croire, tant elle était calme, elle qui avait connu tellement peu de joies dans sa vie, et qui est morte depuis si longtemps maintenant. Elle l'aimait profondément son lal. Sa lune, son astre, c'est comme ça qu'elle l'appelait, il était l'accomplissement de ses rêves, à tel point qu'elle n'avait plus le moindre rêve à nourrir quand il est né.
Difficile de penser à elle de la sorte, à sa responsabilité dans la mort de son fils, à son amour instable qui l'a conduite au cimetière, où il l'a suivie peu de temps après, comme le fils obéissant qu'il était.
Qui pourrait accuser Shaista d'autre chose que d'avoir aimé son fils, de l'avoir trop aimé ? Et quelle mère indienne n'est pas coupable du même crime ?" (Philippe Picquier - p.25)
"Ce fut l'un des gardes qui parla le premier :
"On dirait que vous n'aimez pas beaucoup les pillards, ni les capitaines qui montant à l'assaut des remparts fortifiés pour faire trembler les arrogants dans leur insouciante débauche."
Le conteur tressaillit, mais il n'avait jamais courbé la tête devant personne, et certainement pas devant un garde ignorant, guère différent des barbares qu'il combattait.
"J'ai peu d'affection pour les fossoyeurs de la civilisation, et encore moins pour ceux qui ne savent pas ce qu'ils détruisent, pareils à des enfants sans cervelle tout juste fiers de leur capacité à saccager, ou à des asticots qui pensent avoir vaincu un tigre parce qu'ils se repaissent de sa dépouille en décomposition."
L'amour est pour moitié dans la découverte que l'on fait quand on le laisse derrière soi. Et avec cette découverte, vient la connaissance que notre voyage n'est pas encore achevé.
"Il se peut que, dans tout ce que je vous raconte, rien n'explique cette ville, ce quartier ou ce garçon. Nous comprenons si peu de choses en réalité..." (Philippe Picquier - p.155)